0-3-2-2 Les particules discursives

En dehors des particules casuelles, le coréen possède des particules qui ont pour rôle de rattacher l’énoncé au reste du discours. C’est le cas, par exemple, de [nIn], [to] ou [man], parmi d’autres. Ces particules ne sont pas de nature syntaxique, c’est-à-dire qu’elles n’intègrent pas le N dans le groupe verbal (ou phrase). Elles sont de nature essentiellement discursive, elles contextualisent l’énoncé, en lui donnant une place dans un débat ou un discours argumentatif.

Par exemple, [nIn] peut topicaliser un terme qui a été déjà employé précédemment par quelqu’un d’autre dans la conversation et qui est topicalisé à cause de son caractère thématique. Mais ce caractère thématique ne représente pas une condition nécessaire à la topicalisation d’un CN par [nIn]. Il peut arriver que le terme topicalisé s’oppose à un terme thématique, avec lequel il entre en contraste, comme nous le verrons bientôt.

Parmi beaucoup d’autres particules de type discursif ou contextuel, citons la particule [to], qui, elle, n’est pas contrastive, mais additive, avec un sens proche du français aussi. Commençons par une phrase simple ne comportant que des particules casuelles, donc non marquée discursivement. Soit la phrase avec le verbe trivalent [cu-ta] (donner) :

  • (Ex18)

  • a. ppol-i / sOnmul-I l / mali-eke / cu-n-ta /
    Paul-p.nom / cadeau-p.accus./ Marie-à / donner-inacc-STdécl./
    →Paul donne (un) cadeau à Marie.

A chacun des arguments du verbe [cu-n-ta] (donne), il est possible d’ajouter la particule discursive [to], de nature additive. De même que aussi peut s’ajouter à n’importe lequel des arguments du verbe, de même [to] peut affecter l’un ou l’autre d’entre eux. Nous verrons ci-dessous comment il peut affecter, au choix, soit l’argument 1 (sujet), soit l’argument 2 (objet), soit l’argument 3 (oblique). Dans chacun des exemples qui suivent, [to] se substitue au marqueur syntaxique, autrement dit cette particule discursive recouvre la particule casuelle :

  • b. ppol-to / sOnmul-Il / mali-eke / cu-n-ta /
    Paul-p.disc.(aussi) / cadeau-p.accus./ Marie-à/ donner-inacc-STdécl./
    →Paul aussi donne (un) cadeau à Marie.

  • c. ppol-i / sOnmul-to / mali-eke / cu-n-ta /
    Paul-p.nom / cadeau-p.disc. (aussi)./ Marie-à/ donner-inacc-STdécl./
    →Paul donne aussi (un) cadeau à Marie.

  • d. ppol-i / sOnmul-Il / mali-to / cu-n-ta /
    Paul-p.nom / cadeau-p.accus./ Marie-p.disc.(aussi) / donner-inacc-STdécl./
    →Paul donne (un) cadeau à Marie aussi.
    La particule discursive [to] qui se substitue ci-dessus aux trois particules syntaxiques, [i] (allomorphe de [ka]), [Il] (allomorphe de [lIl]), [eke] (sans allomorphe), peut également s’ajouter à certaines particules syntaxiques, mais pas à toutes. Parmi les trois précédentes, la seule avec laquelle elle soit cumulable est la particule -eke.

  • (d’) ppol-i / sOnmul-Il / [mali-eke-to] / cu-n-ta /
    Paul-p.nom / cadeau-p.accus./ Marie-à-p.disc.(aussi) / donner-inacc-STdécl./
    →Paul donne (un) cadeau à Marie aussi.

La particule [to] est également commutable avec la particule locative, abblative, commitative, instrumentale, etc. En somme, avec des particules casuelles correspondantes à un sémantisme précis. Les deux particules casuelles avec lesquelles la particule discursive n’est pas cumulable, sont la particule nominative [ka/i] et la particule accusative [lIl /Il].

Cela vient certainement de ce que le sujet et l’objet sont aisément reconnaissables dans la plupart des cas, car ils sont exigés par la valence verbale et occupent une position déterminée, tandis que les compléments, appelés traditionnellement circonstanciels, qui sont fort nombreux, de nature variée et hors de la valence verbale, ne seraient pas identifiables, s’ils n’étaient accompagnés d’une particule spécifique, qui permet de repérer, par exemple, un complément d’accompagnement ou un complément d’opposition, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Les particules comme [to] et [nIn], qui ne jouent aucun rôle dans la grammaire de phrase, mais seulement dans la grammaire de texte, sont parfois appelées « particules auxiliaires ». Cette appellation n’est pas très heureuse, car elle sous-estime systématiquement tout ce qui relève de la grammaire de texte. Le choix de ce mot « auxiliaire » est d’autant plus malheureux qu’en coréen comme en japonais, les particules en question recouvrent et occultent régulièrement les particules casuelles les plus importantes telles que [ka] ou [lIl], comme nous l’avons vu. Cela revient à dire que dans le système de la langue coréenne, les particules discursives sont considérées comme plus importantes que les particules casuelles. C’est donc une profonde erreur de les appeler ’auxiliaires’. C’est être prisonnier d’un point de vue ethnocentrique qui projette la structure des langues occidentales — où les marqueurs syntaxiques jouent un rôle prééminent — sur celle des langues orientales, où les marqueurs syntaxiques passent au second plan derrière les particules contextuelles ou discursives, notamment celles qui topicalisent ou focalisent. Ces dernières particules peuvent être appelées également ’particules pragmatiques’, puisqu’elles règlent la communication entre énonciateur et co-énonciateur. Nous préfèrerons parler, quant à nous, de « particules discursives » dont le rôle est d’intégrer des énoncés dans la progression générale du discours.