0-3-3 Faut-il parler de particule thématique ou de particule topique?

Soit un groupe de personnes parlant de la campagne coréenne. Quelqu’un fait remarquer qu’elle se dépeuple, et la conversation continue quelque temps sur le même thème, jusqu’à ce qu’un autre interlocuteur, prononçant le nom de [s O ul] ( Séoul ) pour la première fois, fasse observer, par contraste, que la capitale voit sa population augmenter très vite. Cela donne en abrégé la conversation suivante :

Comme la conversation s’articule autour de la campagne, la particule [In] qui s’adjoint au mot [sikol] (campagne) peut être appelée à bon droit particule thématique, puisque le thème de la campagne a déjà été posé préalablement. L’emploi du mot thème est donc conforme à son étymologie grecque « ce qui est posé ».

Quant au [In] qui s’ajoute à [sOul] (Séoul), il serait abusif de le présenter comme thématique, puisqu’il n’a pas été question de la capitale coréenne préalablement, dans le cours de la conversation. Il n’y a donc pas eu position de thème. En fait, la mention de [sOul] (Séoul) vient ici en contraste avec [sikol] (campagne). On parle parfois de thème contrastif. Mais c’est forcer le sens des mots, puisque ce fameux thème contrastif est ici nouveau dans la conversation, donc plus rhématique que thématique.

On sait également que la particule [nIn] est utilisée dans le cas des énoncés génériques. Or un énoncé de ce type peut très bien être complètement nouveau dans la conversation et, par exemple, apparaître inopinément comme un proverbe auquel on a recours pour éclairer une situation spécifique.

Quelqu’un peut très bien énoncer ce proverbe au cours d’une conversation, sans qu’il ait été question de [hanIl] (ciel) auparavant : ce mot arrive ici en première mention.

Dans tous ces cas, extrêmement nombreux, où le CN affecté par le morphème [nIn] — ou son allomorphe [In] après consonne — apparaît pour la première fois dans le discours, il est parfaitement inapproprié de désigner [nIn] comme une « particule thématique », si on ne tient compte que du sens étymologique de thème.

Il est beaucoup plus adéquat d’utiliser l’expression particule topique, d’autant que c’est souvent un lieu qui apparaît en position frontale. Or, on le sait, topos en grec veut dire ’lieu’. Dans beaucoup de structures tandem, l’élément frontal, marqué par [nIn], délimite un lieu ou un domaine de validation.

Naturellement, rien n’empêche le topique d’être, de surcroît, thématique, mais ce n’est pas là une condition nécessaire pour l’apparition de la particule [nIn] en position frontale, puisque, nous l’avons vu, le CN muni de [nIn] peut très bien apparaître pour la première fois dans la conversation. Pour couvrir tous les emplois de [nIn], les thématiques et les non-thématiques, il nous paraît plus judicieux de parler de particule topique.

Bien entendu, rien n’empêche de reconvertir un CN topique en un CN sujet ou objet selon les cas. Par exemple, Ciel, dont il a été question ci-dessus, est par excellence un lieu, un topos. Mais, sémantiquement, il peut toujours être interprété comme l’agent du procès dans le proverbe cité, puisque c’est lui, le Ciel, qui apporte de l’aide aux humains qui le méritent. En effet, sémantiquement, il est aisé de glisser, par métonymie, d’un lieu inerte aux agents qui occupent ce lieu. C’est ce qui advient en français, quand on passe de l’énoncé familier (a) Le gouvernement, ils n’ont pris aucune mesure contre cette crise à l’énoncé standard (b) Le gouvernement n’a pris aucune mesure contre cette crise. Il est évident qu’un lieu ne peut pas répondre, ni faire quoi que ce soit. Mais, par métonymie, on peut transférer au lieu les propriétés actives des agents qui l’occupent. Voilà comment un lieu, qui devrait a priori occuper la position locative, en vient à fonctionner à la façon d’un sujet agentif. Dans l’exemple (a) français, le topique Le gouvernement n’a aucune fonction syntaxique dans la phrase ils n’ont pris aucune mesure contre cette crise. C’est vraiment un CN hors-phrase, dont le seul rôle est d’établir sémantiquement un cadre de validation à l’intérieur duquel la phrase bien formée qui suit peut être validée ou invalidée.

En coréen, quand on a un topique frontal, il peut arriver qu’on ait le même phénomène qu’en français, avec cette différence que la position sujet de la phrase est inoccupée, alors qu’en français elle est occupée par un indice de sujet indéfini : ils ou on. En pareil cas, le coréen n’exprime pas le sujet.

Dans l’ex. (26b), le terme frontal, affecté par la particule [ka], allomorphe de [i], peut être assimilé, sans problème, à un sujet, et qui plus est, à un sujet agentif. Par contre, dans l’ex. (26a) il y a un flottement syntaxique qui autorise au moins deux interprétations sémantiques différentes du topique. Ou bien on considère que la particule topique [nIn] recouvre la particule locative [esO], avec laquelle elle pourrait se combiner, et l’on considère alors [cONpu] (gouvernement) comme un simple lieu inerte. Dans ce cas, on doit postuler, pour le verbe de la phrase, un sujet agentif non-réalisé, équivalant au français on ou ils. L’interprétation est la suivante, si l’on traduit en français Le gouvernement, ils n’ont pris aucune mesure contre cette crise / Au gouvernement, on n’a pris aucune mesure contre cette crise.

Mais il n’est pas interdit non plus de considérer que le topique [nIn] occulte un [ka] casuel et l’on considère alors [cONpu] (Gouvernement), non comme un lieu inerte, mais comme un agent potentiel. Cela dit, si deux interprétations sémantiques sont possibles, c’est que le rôle syntaxique du topique est ambigu, flottant, et inassignable, comme si le topique était périphérique par rapport à la phrase, et syntaxiquement en suspens.

Dans certains cas, le topique est tellement extérieur à la construction verbale qu’il peut être mis en facteur commun à deux verbes de sujet différent. Mais d’abord prenons un exemple français avec un nom topique en position frontale, qui est mis en facteur commun à deux prédicats dont l’un est impersonnel et l’autre, personnel. Michel, ça va mieux, mais il se remet très lentement. Il est grammaticalement impossible d’identifier Michel comme le sujet syntaxique du verbe aller, du fait que celui-ci est ici un quasi-impersonnel, et est appuyé sur un flexif d’avant (ça), référentiellement vide, ou en tout cas, fort indistinct, et, de toute manière non-coréférentiel de Michel. Si l’on peut, à la rigueur, considérer le topique Michel comme le sujet profond du verbe se remettre, puisque il est coréférentiel de Michel, la même opération d’identification est impossible avec le premier verbe (aller). Il est donc plus raisonnable de présenter Michel comme un simple topique, dépourvu du rôle syntaxique.

La démonstration que nous venons de faire pour le français sur le caractère non syntaxique du terme topique, est également valable pour certains exemples du coréen :

[misel-In] (Michel-p.top) est, de toute évidence, un topique en facteur commun aux deux phrases qui suivent. Ces deux phrases ont chacune un sujet différent : la première a pour sujet [kOnkaN] (santé) et la seconde a un sujet non-exprimé, ou si l’on veut, la position sujet y est occupée par un anaphorique zéro coréférentiel de Michel. Il serait naturellement tout à fait abusif de considérer Michel comme le sujet commun à chacune de ces deux phrases, puisque celles-ci ont un sujet différent. Mais, bien que l’erreur soit moins évidente, il est tout aussi illégitime de présenter Michel comme le sujet de la seconde phrase, sous prétexte qu’il n’est pas répété dans la coordonnée, mais qu’il est représenté par un anaphorique zéro. Une fois de plus, la seule solution défendable est de représenter [misel-In] (Michel-p.top) comme un CN topique qui constitue un cadre de validation pour les deux relations prédicatives qui suivent, y compris pour celle de la seconde phrase, qui comporte son sujet propre, sous la forme d’un anaphorique zéro, coréférentiel de Michel.

On peut considérer en conclusion que le topique peut se présenter sous deux formes différentes : ou bien il se laisse interpréter, à la rigueur, comme un sujet ou un objet ou un oblique dont la particule spécifique a été recouverte ou occultée par une particule topique, ou bien il est strictement impossible de lui affecter l’une de ces trois fonctions sujet, objet, oblique, et, restant complètement extérieur au groupe verbal structuré qui le suit, il constitue un simple référentiel, un domaine de validation pour la ou les relation(s) prédicative(s) qu’il encadre, mais à l’intérieur desquelles il ne s’intègre pas.