2-1 Quels rapports les formes verbales avec suffixes terminatifs et suffixes conjonctifs ont-elles avec les constructions de phrases complexes en coréen ?

En français, lorsqu’une proposition, phrase participant à la construction d’une phrase complexe, est coordonnée avec une autre, ou subordonnée dans une autre pour former une phrase complexe, elle est généralement marquée par un morphème, ou une suite de morphèmes, traditionnellement nommé « conjonction ». Le français possède de nombreuses conjonctions réparties entre « conjonctions de coordination » (par exemple, et, ni, ou, mais, car, or, donc) et « conjonctions de subordination » (que, comme quand, si, lorsque, etc. Ces dernières, susceptibles d’être composées de plusieurs mots, peuvent former des locutions conjonctives telles que parce que, avant que, afin que, à moins que, etc. Comme on l’observe dans les phrases complexes suivantes : l’économie marche très bien, mais les impôts augmentent / Pierre ne viendra pas, parce que Marie est malade, la conjonction de coordination dite aussi « coordonnant » mais et la conjonction de subordination appelée également « subordonnant » parce que, se placent devant les propositions, devenues chacune coordonnée et subordonnée. En introduisant ainsi une proposition coordonnée et une subordonnée, le coordonnant et le subordonnant servent à indiquer les rôles sémantico-syntaxiques que ces propositions remplissent par rapport aux autres propositions dans une même phrase complexe.

En coréen, de nombreux morphèmes assument un rôle comparable à celui assumé par les conjonctions du français. Ce sont par contre des éléments non autonomes, contrairement aux conjonctions du français, puisqu’il s’agit de suffixes verbaux qui s’attachent à la fin des formes verbales des propositions, pour que celles-ci deviennent des propositions subordonnées ou coordonnées dans les phrases complexes. Il existe ainsi une différence radicale, à savoir que si les conjonctions du français marquent le début des propositions subordonnées ou coordonnées, en se plaçant devant celles-ci, les suffixes verbaux correspondants du coréen marquent la fin des propositions subordonnées ou coordonnées, en se fixant sur leur forme verbale qui se trouve systématiquement en fin de ces dernières29.

Précisons que pour désigner l’ensemble des suffixes verbaux servant à relier une proposition à une autre, nous nous proposons de les appeler « suffixes conjonctifs », par analogie avec la dénomination française « conjonctions ». Ce terme, choisi en tant que terme générique, fait défaut dans les grammaires courantes du coréen30, qui ont coutume d’employer, faute d’un terme générique, les diverses dénominations qui sont celles de plusieurs sous-classes de suffixes conjonctifs, comme « suffixes déterminatifs », « suffixes nominalisants », « suffixes subordonnants » et « suffixes coordonnants », etc. Pour notre part, l’utilisation d’un tel terme générique est utile, dans la mesure où nous nous limitons, dans le cadre de ce chapitre, à présenter les emplois généraux des suffixes conjonctifs, sans préciser leurs sous-classes. De surcroît, l’usage du terme « suffixes conjonctifs » est d’autant plus pratique qu’il permet de mieux faire la comparaison avec les autres suffixes verbaux appelés « suffixes terminatifs », et ainsi, de mieux cerner les caractéristiques des constructions des phrases complexes en coréen.

Alors pourquoi est-il aussi important de parler des suffixes terminatifs que de parler des suffixes conjonctifs ? Quels rapports ont-ils entre eux dans les constructions des phrases complexes en coréen ? En effet, les suffixes terminatifs comme les suffixes conjonctifs sont des suffixes verbaux qui ont en commun de marquer la fin des formes verbales. De ce fait, on les considèrent parallèlement comme des « terminaisons » des formes verbales. Mais excepté ce caractère commun, ces deux types de terminaisons sont différents à bien des égards, notamment par la distribution, les valeurs et les rôles qu’ils supportent, qui sont bien distincts dans les constructions de phrases complexes.

En général, les suffixes terminatifs peuvent fonctionner dans les formes verbales des phrases simples aussi bien que dans les formes verbales des phrases complexes. Par contre, les suffixes conjonctifs ne figurent que dans les formes verbales des phrases complexes. Ainsi, lorsque les suffixes terminatifs et les conjonctifs apparaissent dans les constructions de phrases complexes, ils n’occupent pas la même place, comme on peut l’observer dans l’exemple suivant :

  • (Ex1)

  • mali-ka /1/ aph-as O /2/ ppielI-ka /3/ kInjO-tEsin /4/ w-ass-ta /5/

  • Marie-p.nom /1/ être malade-SC (parce que) /2/ Pierre-p.nom /3/ à sa place /4/ venir-acc-STdécl /5/

  • →Parce que Marie était malade, Pierre est venu à sa place.

On constate dans cet exemple que le suffixe conjonctif, en l’occurrence [asO], se trouve dans la forme verbale d’une proposition qui est reliée à une autre proposition, alors que le suffixe terminatif [ta] apparaît dans la forme verbale de la seconde proposition, achevant la phrase complexe, comme son nom l’indique. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que ces suffixes, disposés ainsi dans des places différentes, servent à indiquer la différence de statut syntaxique des propositions unies auxquelles ils sont attachés respectivement. On peut affirmer grosso modo que le suffixe terminatif marque la forme verbale de la proposition principale, alors que le suffixe conjonctif, la forme verbale de la proposition subordonnée. Ainsi dans l’ex.(1), on reconnaît la première proposition affectée du suffixe conjonctif [asO] comme une subordonnée exprimant la causalité du procès et la seconde, terminée par le suffixe terminatif [ta], comme une principale.

Une autre différence radicale entre suffixes terminatifs et suffixes conjonctifs est qu’ils indiquent des valeurs bien différentes dans les propositions principales et subordonnées auxquelles ils sont attachés respectivement. En effet, les suffixes terminatifs, figurant dans la proposition principale d’une phrase complexe ou même dans une phrase simple indépendante, servent à indiquer, d’une part, les types de phrase comme le déclaratif, l’interrogatif, l’impératif, l’exhortatif, et l’exclamatif, et d’autre part, les degrés d’honorification comme l’infériorité banale, l’infériorité stricte, le respect banal ou strict, etc. Mais rien de tel pour les suffixes conjonctifs. S’attachant aux formes verbales des propositions subordonnées ou coordonnées, ces suffixes indiquent les relations sémantico-syntaxiques que celles-ci établissent avec d’autres propositions.

Examinons de plus près comment les formes verbales se construisent avec les suffixes terminatifs et les suffixes conjonctifs dans les phrases et quels rôles différents ils y assument.

Notes
29.

Il est d’usage de représenter la phrase canonique du coréen avec le schème de prédication S – O – V. Il faut cependant ajouter que l’ordre des arguments nominaux sujet et objet est toutefois libre : le sujet peut tantôt précéder, tantôt suivre l’objet devant le verbe, qui, lui, a une place fixe en fin de phrase, sauf dans certaines tournures expressives.

30.

On retrouve une situation semblable dans le classement des conjonctions du français, où les marqueurs de subordination introduisant les propositions relatives, étant nommés « pronoms relatifs », sont souvent traités séparément des autres conjonctions de subordination, parce qu’ils présentent des caractéristiques morpho-syntaxiques (variations selon la fonction du terme nominal relativisé et rôle anaphorique) que les autres conjonctions n’ont pas. Mais, malgré ces caractéristiques morpho-syntaxiques qui distinguent les pronoms relatifs des autres subordonnants, il ne faut pas oublier que les pronoms relatifs sont des conjonctions de subordination.