2-2-2 Les valeurs des suffixes terminatifs : marques des types de phrases et des degrés d’honorification

Nous avons dit plus haut que le suffixe terminatif [ta] utilisé dans la forme verbale de l’ex. (2) [misu-nIn / thokki-lIl / cap-ass-ta ] (Misu / lapin / a attrapé) avait pour rôle ici d’indiquer la phrase déclarative en même temps que le degré honorifique d’infériorité banale. En fait, de nombreuses formes de suffixes terminatifs existent, qui varient simultanément en fonction des types de phrases tels que le déclaratif, l’interrogatif, l’impératif, l’exhortatif, l’approbatif et l’exclamatif, et des degrés d’honorification. Par ce système honorifique, le locuteur peut exprimer, soit son respect ou sa modestie, soit son abaissement envers son interlocuteur31. On distingue les formes de suffixes terminatifs selon six degrés d’honorification32 :

  • Trois degrés d’infériorité employés par le locuteur supérieur vis-à-vis de l’interlocuteur inférieur :
    • degré neutre ou d’infériorité banale

    • degré d’infériorité modérée

    • degré d’infériorité très modérée

  • Trois autres degrés de supériorité utilisés par le locuteur inférieur à l’égard de l’interlocuteur supérieur :
    • degré de respect banal

    • degré de respect strict

    • degré de vénération

Il serait prudent de ne pas confondre ce qui déclenche l’emploi du suffixe honorifique [si] déjà vu plus haut avec ce qui amène à faire le choix approprié d’un suffixe terminatif quelconque, définissable également en termes honorifiques. Comme nous l’avons dit, si l’emploi de [si] est étroitement lié à la relation hiérarchique établie entre le locuteur et la personne, susceptible d’être interlocuteur ou tierce-personne, dont la dénomination occupe la position de sujet dans l’énoncé, l’emploi du suffixe terminatif résulte, en revanche, de la relation interpersonnelle instaurée entre le locuteur et l’interlocuteur, quel que soit le sujet de l’énoncé. Pour distinguer ces deux formules du système honorifique, TCHANG (1991) intitule la première formule « respect du sujet » et la seconde « respect ou abaissement du récepteur »33. Dans cette dernière formule, le locuteur doit, pour choisir de façon appropriée le suffixe terminatif parmi les six degrés d’honorification, prendre en considération divers facteurs extralinguistiques comme l’âge, l’intimité, la hiérarchie, le sexe et la situation d’énonciation (privée ou publique), etc. qui viennent déterminer le rapport hiérarchique et socioculturel du locuteur avec son interlocuteur dans une situation d’énonciation donnée.

Ainsi, de la forme verbale [cap-ass-ta] (a attrapé) de l’ex. (2) terminée par le suffixe terminatif [ta] peut se différencier, par exemple, une autre forme du même verbe [cap-ass-s I pnita] par la présence d’un suffixe terminatif [-sIpnita], qui signale, non seulement le type de phrase déclaratif de l’énoncé dans lequel s’insère cette forme verbale, mais aussi le degré de respect strict que le locuteur exprime envers son interlocuteur. Notons que dans cette formule, si le degré d’infériorité banale est un degré d’honorification utilisé dans les circonstances ordinaires, par exemple, par les parents envers leurs enfants ou par les jeunes envers leurs amis du même âge, le degré de respect strict est un degré d’honorificaiton utilisé dans les situations protocolaires entre les adultes, notamment par les hommes qui viennent de se rencontrer, ou par les étudiants envers les professeurs.

  • (Ex4)

  • (a) déclaratif et degré d’infériorité banale :

  • misu-nIn / thokki-lIl / cap-ass-ta /

  • Misu-p.top / lapin-p.accus / attraper-acc-STdécl. (-honor.) /

  • (b) déclaratif et degré de respect strict :

  • misu-nIn / thokki-lIl / cap-ass-s I pnita /

  • Misu-p.top / lapin-p.accus / attraper-acc-STdécl. (+honor.) /

  • Misu a attrapé un lapin

Pour indiquer la phrase interrogative, le coréen a recours au suffixe interrogatif, là où se trouve le suffixe déclaratif dans une phrase déclarative. De la même manière que ce dernier, le suffixe interrogatif varie selon les degrés honorifiques. Par exemple, on voit apparaître des formes différentes dans les deux degrés honorifiques tels que le degré d’infériorité banale et le degré de respect strict, ainsi :

  • (Ex5)

  • (a) interrogatif et degré d’infériorité banale :

  • misu-nIn / thokki-lIl / cap-ass-ni ? /

  • Misu-p.top / lapin-p.accus / attraper-acc-STinter.(-honor.) /

  • (b) interrogatif et degré de respect strict :

  • misu-nIn / thokki-lIl / cap-ass-s I pnikka ? /

  • Misu-p.top / lapin-p.accus / attraper-acc-STinter. (+honor.) /

  • Misu a attrapé un lapin

De la même manière, les autres types de phrases comme l’impératif, l’exhortatif, l’approbatif et l’exclamatif peuvent être indiqués par les suffixes terminatifs de formes différentes dans chacun de ces deux degrés d’honorification, comme l’illustre bien le tableau suivant (NB : nous ne présenterons pas, faute de place, toutes les formes de suffixes terminatifs qui existent dans les quatre autres degrés d’honorification.) :

degré d’infériorité banale degré de respect strict
déclaratif cap-(ass)-ta cap-(ass)-s I pnita
interrogatif cap-(ass)-ni/nja cap-(ass)-s I pnikka
impératif cap-ala cap-I sipsio
exhortatif cap-ca cap-I psita
approbatif cap-Ima cap-I lita
exclamatif cap-ass-kuna cap-s I pnitak I ly O

Notes
31.

Le système honorifique est un des systèmes linguistiques les plus caractéristiques et remarquablement développés dans la langue coréenne et également dans d’autres langues d’Asie orientale. Il existe d’innombrables études sur le système honorifique coréen, tel que morpho-syntaxique, sociolinguistique et pragmatique. Parmi elles, voir C-S SO (1984), K-Ch SON (1990), Ch-H Cho (1982).

32.

Le classement des terminaisons en six degrés d’honorification diffère quelque peu d’un auteur à l’autre. Pour des détails sur toutes les formes de suffixes terminatifs, nous renvoyons au tableau des terminaisons conclusives de J-M LI (1985, 87). Nous empruntons à cet auteur les dénominations des différents degrés d’honorification, au lieu d’utiliser les termes coréens (styles à hala, à hake, à hao, à haseyo, à hasipsiyo, à hasos O) que les grammaires coréennes ont coutume d’attribuer à chacun des degrés d’honorification. Ces termes coréens proviennent purement et simplement des formes de suffixes terminatifs à l’impératif du verbe hata (faire) variant selon les six degrés d’honorification.

33.

S-W Tchang (1991) Coréen parlé et coréen écrit : description contrastive au niveau syntaxique, Séoul, Hanshin Publishing Co. : Il faut signaler la troisième formule, que cet auteur appelle « respect de l’objet », qui s’applique exclusivement à la relation supérieur-inférieur entre la personne occupant la position de sujet et celle occupant la position d’objet.