2-3 Les formes verbales avec suffixes conjonctifs

2-3-1 Constructions : formes verbales subordonnées « complètes » et formes verbales subordonnées « incomplètes »

Ces formes verbales, qui constituent un trait essentiel des propositions subordonnées (ou coordonnées), sont bien différentes des formes verbales en suffixes terminatifs que nous venons d’observer, non seulement par leurs terminaisons (suffixes conjonctifs message URL harr.gif suffixes terminatifs), mais aussi par leurs constructions. La présence d’un suffixe conjonctif en position finale d’une forme verbale subordonnée n’implique pas nécessairement l’absence du suffixe terminatif dans celle-ci. Le suffixe conjonctif marquant toujours la fin de forme verbale subordonnée, il se trouve tantôt derrière une forme verbale « complète », c’est-à-dire la forme verbale avec suffixe terminatif, tantôt derrière une forme verbale « incomplète » sans suffixe terminatif. L’adjonction du suffixe conjonctif à des formes verbales « complètes » donne lieu, naturellement, à des formes verbales subordonnées en apparence « longues » et les formes verbales « incomplètes » avec le conjonctif offrent des formes verbales subordonnées « courtes ». C’est ainsi que deux constructions de formes verbales subordonnées se distinguent selon qu’elles contiennent ou non un suffixe terminatif.

Examinons de plus près comment les formes verbales se construisent dans les différentes sous-classes de propositions subordonnées. Pour faciliter l’observation, nous prendrons, comme point de départ, une même phrase et nous regarderons comment elle se transforme en fonction du type de propositions subordonnées qu’elle devient en intégrant une phrase complexe. Soit une phrase

  • (Ex7)

  • suni-nIn / kisu-eke / phyOnci-lIl / ss-Oss-ta /

  • Suni-p.top / Kisu-à / lettre-p.accus. / écrire-acc-STdécl /

  • →Suni a écrit une lettre à Kisu

  • (NB. Oss résulte d’une contraction entre la voyelle de la racine verbale [ssI] et celle du suffixe aspectuel [ass] : ssI - ass→Oss)

Lorsqu’elle acquiert le statut de subordonnée dans une phrase complexe, sa forme verbale subit certaines modifications selon le type de subordonnée :

  • (Ex8)

  • (a) proposition circonstancielle (de cause)

  • suni-ka / kisu-eke / phy O nci-l I l / ss- O s O / kIil- In / sipke / hEkjOl-twe-Oss-ta /

  • Suni-p.nom / Kisu-à / lettre-p.accus. / écrire-SC (parce que) / cette affaire-p.top/ facilement/ résoudre-aux.passif-acc-STdécl /

  • → Cette affaire est résolue facilement, parce que Suni a écrit une lettre à Kisu.

  • (b) proposition ’nominale’ (# proposition substantivale / proposition complétive du verbe)

  • misu-nIn / suni-ka / kisu-eke / phy O nci-l I l / ss- O ss- I m-Il / hwakinh-Ess-ta /

  • Misu-p.top/ Suni-p.nom / Kisu-à / lettre-p.accus. / écrire-acc-suf.nom.-p.accus. / espérer-inacc-STdécl /

  • → Misu a vérifié que Suni avait écrit une lettre à Kisu.

  • (c) proposition au discours rapporté (#proposition complétive)

  • appa-nIn / suni-ka / kisu-eke / phy O nci-l I l / ss- O ss- ta-ko / na-eke / malh-Ess-ta /

  • père-p.top/ Suni-p.nom / Kisu-à / lettre-p.accus. / écrire-acc-STdécl-s.citatif / moi-à / dire-acc-STdécl /

  • → Mon père m’a dit que Suni a écrit une lettre à Kisu.

  • (d) proposition déterminative complétive à « verbe complet » (#proposition complétive du nom)

  • na-nIn / suni-ka / kisu-eke / phy O nci-l I l / ss- O ss- ta-n I n / ijaki-lIl / mit-cian-ass-ta /

  • moi-p.top / Suni-p.nom / Kisu-à / lettre-p.accus. / écrire-acc-STdécl-SD / histoire-p.accus / croire-nég-acc-STdécl /

  • → Je n’ai pas cru *l’histoire que Suni a écrit une lettre à Kisu.

  • (e) proposition déterminative complétive à « verbe incomplet » (#proposition complétive du nom)

  • amuto / suni-ka / kisu-eke / phy O nci-l I l / ss I - n I n / iju-lIl / mol-In-ta /

  • personne / Suni-p.nom / Kisu-à / lettre-p.accus. / écrire-SD / raison-p.accus / ignorer-acc-STdécl /

  • →Personne ne connaît la raison *que (pour laquelle) Suni écrit une lettre à Kisu.

  • (f) proposition déterminative relative (#proposition relative)

  • suni-ka / kisu-eke / ss I - n I n / phyOnci-ka / pulhENhaketo /motIni-eke / koNkE-twe-lkOsi-ta /

  • Suni-p.nom / Kisu-à / écrire-SD:inacc / lettre-p.nom / malheureusement / tout le monde-à / publier-aux.passif-évent-STdécl/

  • → La lettre que Suni écrit à Kisu va malheureusement être dévoilée à tout le monde

Les propositions que nous avons soulignées fonctionnent chacune comme une subordonnée jouant un rôle spécifique dans les phrases complexes où elles se trouvent. Pour la plupart, leurs formes verbales sont « courtes » et pour le reste, elles sont « longues ». Nous avons déjà signalé que les formes verbales subordonnées « longues » résultaient d’une simple adjonction du suffixe conjonctif à des formes verbales « complètes », c’est-à-dire des formes verbales munies du suffixe terminatif telles qu’elles figureraient dans une phrase indépendante. On constate dans les exemples que les formes verbales ainsi construites sont présentes dans les deux types de propositions subordonnées comme la proposition complétive au discours rapporté (ex.8c) et une des propositions déterminatives « appositives » (ex.8d) :

  • Formes verbales subordonnées « longues » =

  • [formes verbales « complètes »] + suf. conjonctif

  • [racine verbale + infixe verbal + suf. terminatif] + suf. conjonctif

  • ex. (8c)ss(I)- Oss-ta-ko (citatif)

  • ex. (8d)ss(I)- Oss-ta-nIn (déterminatif)

Par contre, les subordonnées des exemples (8a), (8b), (8e) et (8f) comportent des formes verbes « courtes » constituées de formes verbales « incomplètes » auxquelles s’ajoutent différents suffixes conjonctifs servant de marqueurs de subordination. Leurs formes verbales se présentent de manière suivante :

  • Formes verbales subordonnées « courtes » =

  • [formes verbales « incomplètes »] + suf. conjonctif

  • [racine verbale + suf. asp. ] + suf. conjonctif :

  • ex.(8a)ss(I)--OsO (suf. de cause)

  • ex.(8b)ss(I)-Oss-Im (suf. nominalisant)

  • ex.(8e)ss(I)--nIn (suf. déterminatif)

  • ex.(8f)ss(I)--nIn (suf. déterminatif)

Si on compare chacune de ces formes verbales incomplètes avec la forme verbale complète prise initialement [ss-Oss-ta] (avoir écrit), on constate, en plus de l’absence du suffixe terminatif [ta], celle du suffixe aspectuel accompli [Oss] dans ces formes incomplètes, sauf [ss(I)-Oss-I m] de l’ex. (8b). Dans celles-ci, le suffixe conjonctif suit donc immédiatement la racine verbale.

Notons au passage que les emplois des suffixes aspectuels dans les formes verbales subordonnées soulèvent un problème assez délicat qui n’est pas simple à analyser dans la description du coréen37. Il est à souligner que cette langue ne connaît pas de règles de concordance des temps comme en français, telles que si le verbe de la principale est au passé, le temps du verbe de la subordonnée s’accorde au temps principal : Tu disais qu’il venait = Tu disais : il vient, Tu disais qu’il viendrait = Tu disais : il viendra, Tu disais qu’il était venu = Tu disais : il est venu. En règle générale, les emplois des suffixes aspectuels, qualifiés traditionnellement de temporels, dans le verbe de la subordonnée en coréen sont liés au type du suffixe conjonctif utilisé. Plus précisément, dans le verbe de la subordonnée, aucun suffixe aspectuel ne peut être utilisé devant certain type de suffixes conjonctifs, comme le suffixe circonstanciel de cause [O s O] (parce que) de l’ex. (8a), que le verbe de la principale se mette au ’présent’ ou au ’passé’ : ss(I) - O s O / ss(I)- *O ss -O s O. En revanche, certains autres suffixes conjonctifs, comme le suffixe nominalisant [-I m] dans [ss(I)-Oss-I m] de l’ex. (8b), se voient placer derrière un suffixe aspectuel quelconque : ss(I) - I m / ss(I)-O ss-I m. Dans ce dernier cas, l’absence matérielle du suffixe aspectuel dans [ss(I)-I m] s’interprète, par défaut, comme portant une valeur d’aspect inaccompli, par opposition au suffixe aspectuel [Oss] présent dans [ss(I)-Oss-I m], qui a une valeur accompli. Ensuite, viennent les suffixes conjonctifs comme les suffixes déterminatifs qui portent, eux-mêmes, des valeurs aspecto-tempo-modales. Nous verrons en détail plus loin les suffixes déterminatifs et leurs rôles dans les propositions déterminatives.

Parmi les propositions subordonnées répertoriées ci-dessus, seules les propositions déterminatives, dénommées « complétives du nom » ou « appositives » selon la terminologie coréenne, (correspondant toutefois aux propositions complétives du nom en français), se subdivisent, en présence des formes verbales, en différentes « complètes » et « incomplètes ». C’est le cas des subordonnées des ex. (8d) et (8e) qui contiennent respectivement une forme verbale « complète » devant un suffixe déterminatif [nIn] : [ss(I)-Oss-ta-n I n] et une forme verbale « incomplète » marquée par le suffixe identique : [ssI-n I n]. D’où leur dénomination : proposition déterminative appositive à « verbe complet » et proposition déterminative appositive à « verbe incomplet ».

Or on assiste à la présence de la même forme verbale que cette dernière [ssI-n I n] dans la proposition déterminative considérée comme « relative » de l’ex. (8f), ce qui montre que le marqueur conjonctif ne constitue pas un critère décisif pour distinguer les propositions déterminatives entre « complétives du nom » et « relatives » dans cette langue et qu’il est nécessaire, pour le faire, d’observer d’autres propriétés morpho-syntaxiques. Sans parler pour le moment de ces autres propriétés, il convient de mentionner dès à présent, comme la majorité des linguistes coréens l’admettent, que les formes verbales « complètes » et « incomplètes » sont possibles dans les propositions déterminatives « complétives du nom », alors que seules les formes verbales « courtes » sont possibles dans les propositions relatives.

Résumons en quelques mots ce que nous avons présenté jusqu’ici : les verbes subordonnés se caractérisent tous par la présence de suffixes conjonctifs en fin de leurs formes. Si ceci est commun, en revanche deux types de constructions se distinguent dans les formes verbales subordonnées : les formes verbales subordonnées « longues » où les suffixes conjonctifs sont ajoutés aux formes verbales « complètes » (avec suffixes terminatifs) ; les formes verbales subordonnées « courtes » où ces suffixes sont ajoutés aux formes verbales « incomplètes » (sans suffixes terminatifs).

Notes
37.

Le fait qu’il faut savoir lesquels des suffixes conjonctifs acceptent ou non devant eux un suffixe aspectuel constitue une des grandes difficultés, vu le nombre considérable des suffixes conjonctifs existant, dans l’apprentissage du coréen.