2-5-2 Les suffixes déterminatifs [nIn] et [In]

Quand on parle notamment des séquences déterminatives avec [nIn] et des séquences déterminatives avec [(I)n], il est essentiel d’insister sur l’importance de la distinction entre verbes dits « d’action » et verbes dits « qualificatifs », y compris dans les prédicats nominaux (Attribut + particule prédicative [-i-], car ces morphèmes ne fonctionnent pas de la même façon avec ces deux types de verbes43. En effet si [nIn] et [(I)n] indiquent des valeurs aspectuelles opposées inaccompli message URL harr.gif accompli avec les verbes d’action — (14a) et (14b), ils n’ont pas, par contre, une telle opposition aspectuelle lorsqu’ils marquent des verbes qualificatifs ou des prédicats nominaux, car ceux-ci se marquent exclusivement par [In] ou sa variante phonologique [-n], en ignorant l’opposition [nIn] / [(I)n] que connaissent les autres verbes.
[nIn] ne peut pas marquer généralement des verbes qualificatifs, sauf certains qui sont dérivés comme [masiss-ta] (être délicieux) de l’exemple (14e)44. Ce dernier verbe qui est formé à l’origine par la combinaison du substantif [mas] (goût) et du verbe d’existence [iss-ta] (il y a), ne peut s’associer qu’avec le déterminatif [nIn] et non [In] : [masiss-n I n] / [masiss-*I n] (être délicieux-sd). Là encore, il n’y a pas non plus d’opposition aspectuelle [nIn] message URL harr.gif [In]. L’emploi des déterminatifs [nIn] / [(I)n] pour les verbes qualificatifs est donc fortement contraint selon leur origine. Dans ce cas, ces morphèmes n’expriment pas les valeurs aspectuelles opposées “ inaccompli ” et “ accompli ”, contrairement à ce qui se passe dans les formes déterminatives des verbes d’action comme celles que nous avons vues plus haut : [po-n I n] / [po-n] ( que je regarde / que j’ai regardé) ou [mOk-n I n] / [mOk-I n] (que je mange / que j’ai mangé). On pourrait même dire que [In] ou sa variante phonologique [-n] indiquent inversement la valeur “ inaccompli ” dans les formes déterminatives des verbes qualificatifs comme [cOm-I n] (jeune) ou [kica-i-n] (étant journaliste). Comment peut-on expliquer ces emplois différents selon les types de verbes ?

Il nous paraît raisonnable de chercher des explications au niveau du lien étroit instauré entre les valeurs aspectuelles que peuvent exprimer les morphèmes déterminatifs et les types sémantiques de verbes auxquels ces derniers s’adjoignent. Si on s’en tient au sémantisme inhérent au verbe, le verbe qualificatif exprime intrinsèquement un état statique ou statif qu’il est difficile de borner sur différents repères aspectuels. Il est, en somme, peu compatible (pour ne pas dire incompatible) avec le bornage aspectuel. En revanche, le verbe d’action exprime un événement non statique et plutôt évolutif qui appelle le bornage de son déroulement par différents repères aspectuels. De là on peut déduire que le sémantisme inhérent au verbe qualificatif fait que l’emploi des suffixes [(I)n] et [nIn] se contente d’indiquer simplement la fonction déterminative, alors qu’avec le verbe d’action, les mêmes suffixes ont un double emploi : marqueurs d’une fonction déterminative et de valeurs aspectuelles opposées.

Le morphème déterminatif [nIn] employé dans la séquence déterminative n’est pas à confondre avec celui, identique formellement, qui apparaît dans la séquence terminative. Bien que le second comme le premier assument, dans le cas de l’exemple (15), le même rôle à savoir indiquer l’aspect inaccompli, la condition de leur occurrence dans la séquence verbale concernée n’est pas la même.

Dans la séquence terminative, l’apparition de [nIn] et de sa variante phonologique [-n] (consonne + n I n / voyelle + -n) dépend strictement du type de phrase et du degré d’honorification, ce qui revient à dire que leur apparition est étroitement liée à l’emploi du suffixe terminatif qui le suit, chargé d’indiquer ces informations. Elle est donc liée à la forme verbale déclarative du degré d’honorification [hEla], un des six degrés d’honorification que nous avons appelé “ degré d’infériorité banale ” qui marque, notamment à l’oral, une relation hiérarchique soit entre un locuteur supérieur et un interlocuteur inférieur, soit entre deux protagonistes égaux, et qui peut aussi s’employer à l’écrit, mais avec une valeur “ neutre ” du point de vue du système honorifique. Mais elle est liée également aux formes exclamatives de tous les degrés d’honorification. Dans toutes les autres formes verbales, il n’y a aucun morphème spécifique marquant l’inaccompli d’où la nécessité d’introduire un morphème zéro [ø].

Pour ne prendre qu’un exemple, la forme verbale déclarative du style [hEla] à l’inaccompli [mOk-n I n-ta] (mange) a pour correspondantes pour le degré de respect strict les formes verbales suivantes : déclarative [mOk-ø-sIpnita] (mange), interrogative [ka-ø-sIpnikka] (mangez?), impérative [mOkI-ø-sipsio] (mangez), exhortative [mOk-ø-Ipsita] (mangeons).

En revanche, il n’y a pas de variante phonologique de [nIn] dans la séquence déterminative. Quel que soit l’environnement phonologique, [nIn] y apparaît seul, comme le montrent les séquences déterminatives des exemples (15a) et (15b) : [mOk-n I n] / [ka-n I n]. Là encore, il importe de distinguer deux [-n] dont l’un est utilisé comme une variante phonologique de [nIn] qui marque l’inaccompli dans la séquence terminative comme [-n] dans [ka-n-ta] et l’autre, comme une variante phonologique de [In] qui indique l’accompli dans la séquence déterminative, comme [-n] dans [ka-n]. De plus, l’emploi de [nIn] dans la séquence déterminative n’a rien à voir avec le type de phrase ou avec le degré d’honorification, car la séquence déterminative, perdant son indépendance syntaxique et énonciative, se trouve complètement dépourvue de suffixes terminatifs chargés de marquer toutes ces indications.

A part les cas des verbes qualificatifs ou du prédicat nominal que nous venons de présenter, on peut dire que les séquences déterminatives avec [nIn] sont marquées par l’aspect inaccompli et les procès qu’elles expriment se situent à l’époque concomitante au repère, alors que les séquences déterminatives avec [(I)n] sont affectées de l’aspect accompli et les procès se localisent à l’époque antérieur au repère, ce repère pouvant coïncider soit avec le moment de l’énonciation, soit avec le moment du procès principal (H-L Kim, 1992, 198-199).

Dans ces exemples que nous avons empruntés à H-L KIM (1992, 198-199), les procès des séquences déterminatives de (16) et (17) se localisent, pour les unes (16a) et (17a), à l’époque concomitante au repère et pour les autres (16b) et (17b), à l’époque antérieure au repère, mais ce repère temporel est différent entre les deux séquences déterminatives de (16) et celles de (17). Pour les séquences déterminatives de (16), le repère s’identifie au moment de l’énonciation, le cadre de référence spatio-temporel du procès respectif étant précisé par des circonstants déictiques [cikIm] (maintenant) et [Oce] (hier). Alors que pour les deux séquences déterminatives de (17), où aucun élément déictique n’assure le repérage temporel, le repère n’est pas le moment de l’énonciation, mais le moment du procès des propositions principales que l’analyse traditionnelle appellerait “ passé ”, exprimé au moyen du suffixe verbal [yOss] dans [ha-yOss-ta] (faire-acc-STdécl.: a fait).

Il faudrait rappeler à cette occasion une particularité du coréen par rapport au français. Le coréen ne connaît pas le phénomène dit, en français, de « concordance des temps » ; même si le verbe principal est une forme relevant du “ passé ”, le verbe subordonné ne subit pas de changements particuliers. Si dans les cas français correspondants à ceux des exemples (17a) et (17b), la forme verbale à l’imparfait aidaient et celle au plus-que-parfait avaient aidé sont imposées dans chaque cas par l’emploi du verbe principal au passé composé a fait, rien de tel en coréen. Même si le verbe principal “ présent ” [ha-n-ta] (faire-inacc-STdécl. : fait) est transposé au “ passé ” [ha-yOss-ta] (faire-acc-STdécl.: avoir fait), cette transposition n’entraîne pas le changement des formes subordonnées déterminatives [towacu-n I n] (aider-SD:inacc) et [towacu-n] (aider-SD:acc), ni celui des valeurs sémantiques, précisément leurs valeurs aspectuelles, qui restent les mêmes.

Notes
43.

Il est important de distinguer ces deux types de verbes pour la description du système verbal du coréen, car bien que leur distinction soit fondée, certes, sur un critère sémantique, ils se distinguent également souvent par des caractéristiques morpho-syntaxiques différentes.

44.

C’est pour cette raison que certains linguistes coréens comme W-J Kim (1957), C-K Sim (1979) et T-L SO (1980) sont amenés à délimiter uniquement les déterminatifs à [(I)n] et [(I)l] qui marquent aussi bien les verbes qualificatifs que les verbes d’action, en en excluant [nIn] qui, lui, ne fonctionne que pour produire les formes déterminatives des verbes d’action et qui est analysé morphologiquement par ces linguistes comme une forme amalgamée des deux morphèmes dissociables ainsi [nI + n] dont chacun assume le rôle qui lui est propre. Selon ces linguistes, c’est l’utilisation de [nI-], pouvant apparaître uniquement dans les verbes d’action, qui donne lieu à une interprétation des valeurs sémantiques « présent » ou « progressif » ou « réel » de la séquence déterminative, [-n] étant un pur marqueur de subordination de celle-ci. Mais nous ne pensons pas pour autant que ceci constitue une raison suffisante pour exclure [nIn] de la liste des déterminatifs, parce que non seulement il peut se rattacher, comme nous l’avons vu ici, à un certain nombre de verbes qualificatifs dérivés, mais aussi il est le seul marqueur déterminatif qui puisse fonctionner dans un autre type de propositions déterminatives que nous avons appelé « complétive à forme verbale longue » (Voir supra. chap. 7).