3-1 Aperçu contrastif des sous-classes des modificateurs du nom en français et en coréen

Chacune des deux langues connaît des modificateurs du nom de nature différente dans son système. On peut présenter de la façon suivante ces éléments dits secondaires ayant pour rôle commun de déterminer le nom dont disposent les deux langues:

français
déterminé — déterminant
coréen
déterminant — déterminé
Syntagmatique 1. N A / A N
Ex) une chaise longue / un petit appartement
2. N1 N2
a. N1 N2
Ex) une fleur miniature
b. N1 prép. (de, à avec, en, etc.) N2
Ex) la mode de l’année / des Nordiques aux joues blêmes et aux cheveux noirs / une villa avec un jardin / une jeune fille en jeans
1. *A N
Ex) sE-cip (nouvelle-maison)
2. N1 N2
a. N1 N2
Ex) sikol-kil (campagne-route)
b. N1+p.génit. ( Ii / cOk ) N2
Ex) OmOni-Ii-nEmsE (mère-de-odeur) / kunsa-c O k-cOmlyON (militaire-de-occupation)
3.**Forme déter. de V.(Vsd n I n / I n / I l) N
Ex) cOm-I n / uncOnsa (jeune chauffeur)
être jeune-SD / chauffeur/
Propositionnel 3. N prép. (de, à) infinitif
Ex) l’idée même de devoir entendre ces voix de femmes, toujours, sans trêve et à jamais, est pour Agnès une raison suffisante de tenir rageusement à la vie et de retarder la mort le plus possible.
4. N participe (ant)
a. présent
Ex) Jamais, je n’ai connu de femme portant ce nom
b. passé (-é,-u, -i )
Ex) le petit transistor posé près de mon oreiller...
5. relative : N relatif (qui, que, dont, où, etc.) P
Ex) une dame âgée qui inspire et expire au bord d’une piscine
6. complétive du nom : N conjonction (que) P
Ex) (...) la certitude que leur amour se dévéloppe loin de tout danger matrimonial.
4. P +SD (n I n / I n / I l) N
a. relative
Ex) OmOni-ka / omkyOsim- In / namu /
(mère-p.nom / planter-SD:acc / arbre /)
l’arbre que la mère a planté
b. complétive du nom
Ex) casin-i / kIltIl-Ii / ilwOn-i / anila-n I n / nIkkim /
(soi-même-p.nom./ eux-p.génit / membre-p.attribut / ne pas être-SD / sentiment /)
le sentiment que soi-même (elle-même) n’est pas leur membre
(NB. N : Nom / A : adjectif / prép : préposition / P. : proposition / form.déter. de V. : forme déterminative de verbes.)

Les constructions déterminatives du coréen que nous avons identifiées par l’étoile (*) appellent des remarques.

*’A’ est une classe de mots appelée en coréen « sONsaN kwanhyONsa » qu’on peut traduire en français par “ déterminant qualificatif ”. Cette classe grammaticale correspond généralement à celle des adjectifs épithètes du français. Nous la présentons donc dans ce tableau sous le terme d’adjectif en soulignant toutefois qu’il ne s’agit que d’une commodité dans notre démarche contrastive mais qu’elle permet également d’éviter la confusion que pourrait provoquer l’utilisation du terme déterminant qui s’emploie couramment dans la grammaire du français pour désigner une autre classe de mots comme l’article défini ou indéfini ou démonstratif, etc. dont la présence est obligatoire auprès du nom afin d’actualiser ce dernier dans un discours.

Quant à la **forme déterminative de verbe, ce segment est présenté habituellement comme la forme déterminative dérivée du verbe (verbe qualificatif ou verbe d’action) dans les grammaires du coréen. Variable, elle est opposée au “ déterminant qualificatif ” invariable. En conformité avec la tradition descriptive, nous laissons, pour le moment, cette forme déterminative classée avec les autres modificateurs de statut syntagmatique. Mais nous reviendrons largement sur ce point.

Revenant au tableau ci-dessus, les différents types de modificateurs du nom du français et du coréen sont présentés ici selon divers critères croisés : le statut syntaxique (syntagmatique ou propositionnel), la classe grammaticale des éléments modificateurs du nom, le marqueur reliant le nom et le modificateur, et la particularité morphosyntaxique de ce dernier. Outre la différence concernant l’ordre de détermination entre déterminant (modificateur) et déterminé (nom) qui se manifeste dans les deux langues : fr. déterminé — déterminant (sauf le cas des adjectifs épithètes qui peuvent ou doivent se placer devant le nom) / cor. : déterminant — déterminé (sans exception), on constate dans l’ensemble que le français met en jeu des types de modificateurs du nom plus variés que le coréen, aussi bien morphologiquement que syntaxiquement. En français, les différents types de modificateurs du nom, de statut syntagmatique et propositionnel, se distinguent nettement les uns des autres par la présence d’un morphème particulier qui permet de les identifier. Les éléments qui servent à relier le modificateur de statut différent au nom peuvent être des prépositions (de, à, en, pour, avec, etc.) qui relient deux noms au niveau du syntagme nominal, ou des pronoms relatifs (qui, que, dont, où) et la conjonction (que) qui relient le nom au modificateur de statut propositionnel comme la proposition relative et la proposition complétive du nom ou encore un élément affectant directement la forme morphologique du modificateur comme les suffixes verbaux participiaux (radical du verbe + -ant, -é, -i, -u) et infinitifs (radical du verbe + -er, -ir, -oir, -re) introduisant chacun les constructions participiales et les constructions infinitives. Dans le cadre de la détermination nominale, les infinitives se rattachent au nom qu’elles déterminent à l’aide d’une préposition telle que de ou à, contrairement aux participiales qui ne sont reliées au nom par aucun élément relateur.

Le coréen, en revanche, connaît moins de marqueurs caractérisant chaque type de modificateurs du nom. Au niveau syntagmatique, il existe deux marques de détermination [Ii] et [cOk] qui correspondent généralement à la préposition du français ‘de’ servant à relier deux noms. Elles sont d’origine différente : [Ii] est une particule génitive purement coréenne, tandis que [cOk] est une particule génitive d’origine sino-coréenne. Quant aux modificateurs du nom de statut propositionnel (→4), qu’il s’agisse de la proposition relative (dite en coréen « kwankye cOl ») ou complétive du nom (appelée en coréen « pomuncOl » ou aussi « toNkyOkcOl »), c’est toujours l’un des suffixes verbaux déterminatifs [nIn / In / Il] qui fonctionne comme marqueur. De même, ces suffixes déterminatifs s’emploient, comme nous l’avons dit, pour marquer ce que nous avons appelé “ forme déterminative (de verbe) ” (→3) selon la dénomination traditionnelle utilisée dans la grammaire du coréen. Celle-ci prend également le nom de “ forme adjectivale des verbes ” par certains grammairiens coréens d’expression française47.

Si ce tableau récapitulatif permet de voir d’emblée le contraste qui existe entre les différents types de modificateurs du nom dont disposent ces deux langues dans leur système, on assiste encore plus nettement à ce contraste dans un texte traduit d’une langue à l’autre. De manière générale, comme les types de modificateurs du nom sont moins nombreux en coréen qu’en français, le premier a tendance à utiliser d’une façon récurrente les constructions dans lesquelles on voit apparaître les formes déterminatives marquées par un des suffixes déterminatifs [nIn / In / Il] (→3 et 4 dans le tableau cor.), là où le français met en oeuvre les types de modificateurs du nom très variés. Ceci peut se vérifier sans grande difficulté dans la traduction coréenne des exemples français cités dans le tableau ci-dessus que nous avons empruntés au roman intitulé Immortalité de Milan KUNDERA. Les voici :

  1. N — A / A — N

  2. une chaise longue[Im.13]
    kilccukha-n / Iica /[Trad.cor.11]
    être long-SD / chaise /

  3. un petit appartement[Im.37]
    cak-I n / aphathI /[Trad.cor.28]
    être petit-SD / appartement /

  4. N — prép. (de, à, avec, en) — N

  5. la mode de l’année[Im.44]
    olhE-I i-yuhEN[Trad.cor.33]
    cette année-de-mode

  6. une villa avec jardin[Im.35]
    cOnwOn-i / iss-n I n / pila /[Trad.cor.27]
    jardin-p.nom / exister-SD / villa /

  7. deux longues silhouettes de Nordiques aux joues blêmes aux cheveux jaunes [Im.44]
    nolaNmOli-e /1/ ppjam-tIl-i /2/ chaNpEkha-n /3/ pukkuin-t u l-Ii /4/ kilcukha-n /5/ silues /6/
    cheveux jaunes-à /1/ joue-p.pl-p.nom /2/ être blême-SD /3/ Nordique-deux-de /4/ être long-SD /5/ silhouette /6/[Trad.cor.33]

  8. une jeune fille en jeans[Im. 46]
    chONpaci-lIl / cOlchi-n / c O lm I ny O ca /[Trad.cor.34]
    jean-p.accus / porter-SD:acc / jeune femme /

  9. N — prép. (de)— infinitif
    • (...) une raison suffisante de tenir rageusement à la vie et de retarder la mort le plus possible. [Im. 28]
      hOkOpcikOp /1/ sam-e /2/ cipchakha-mjO /3/ twetolok /4/ cukIm-Il /5/ ciyOnsikhyOya ha-n I n /6/ iyu /7/[Trad.cor.24]
      à la hâte /1/ vie-à /2/ tenir-SC (et) /3/ le plus possible /4/ mort-p.accus /5/ devoir retarder-SD /6/ raison /7/

  10. N — participe (ant, -é,-u, -i)

  11. présent (-ant)
    Jamais je n’ai connu de femme portant ce nom[Im.14]
    na-nIn /1/ cikIm-kkaci /2/ hanpOn-to /3/ ilOn ilIm-Il /4/ kaci-n /5/ y O ca-lIl /6/ manan cOki Op-ta /7/ [Trad.cor.12]
    moi-p.top /1/ maintenant-jusqu’à /2/ une fois-même /3/ ce nom-p.accus /4/ porter-SD /5/ femme-p.accus /6/ n’avoir jamais rencontré-STdécl /7/

  12. passé (-é, -i, -u)
    le petit transistor posé près de mon oreiller[Im. 15]
    pekEsmOli-e /1/ noatu-n /2/ cak-I n /3/ thIlEcisIthO /4/[Trad.cor.13]
    oreiller-à /1/ poser-SD /2/ petit transistor /3/
    → le petit transistor que (on) a posé près de l’oreiller.

  13. relative : N — relatif (qui, que, dont, où, etc.) — P
    • (...) une dame âgée qui inspire et expire au bord d’une piscine. [Im.13]
      (...) suyONcaN /1/ kacaNcali-esO /2/ sum-Il /3/ tIliswi-ko /4/ nEswi-n I n /5/ han nopuin /6/ [Trad.cor.11]
      piscine /1/ bord-à /2/ souffle-p.accus./3/ inspirer-s.coor.(et) /4/ expirer-SD /5/ une vieillie dame /6/

  14. complétive du nom : N—conjonctif (que)—P
    • (...) la certitude que leur amour se développe loin de tout danger matrimonial. [Im.197]
      (...) kItIl-Ii /1/ salaN-i /2/ kyOlhon-Ii /3/ wihOmputam-kwa nIn /4/ kOli-ka /5/ mOlke /6/ cincOntwelkOsila-n I n /7/ hwaksin /8/[Trad.Im.168]
      eux-de /1/ amour-p.nom /2/ mariage-de /3/ danger-avec /4/ distance-p.nom /5/ loin /6/ VC devoir se développer-SD /7/ certitude /8/ ...

On s’aperçoit que le traducteur coréen a rendu les différents types de modificateurs français tels que l’adjectif épithète (→1 dans le tableau du français), les syntagmes prépositionnels en fonction déterminative introduites par les prépositions autres que de (→2b, 2c et 2d), les constructions infinitive (→3) et participiale (→4a et 4b), les propositions relative (→5) et complétive du nom (→6) par des constructions où la plupart des modificateurs sont uniformément marqués par le suffixe déterminatif [n I n] ou [(I)n]. Notons tout de même que ceci ne veut pas dire que ces différents types de modificateurs du français se traduisent systématiquement par ces constructions déterminatives du coréen. Il n’est pas exclu que les modificateurs du français soient rendus autrement que par les formes de modificateurs du coréen, car il s’avère que d’autres facteurs, contextuel, situationnel, ou encore extralinguistique, peuvent influencer l’interprétation des modificateurs du français et la reformulation de ceux-ci par le traducteur en constructions équivalentes du coréen. Néanmoins nous pouvons affirmer que le passage des modificateurs du nom du français en coréen tel que nous venons de le présenter s’observe assez régulièrement, même si nous ne pouvons pas le démontrer ici par une analyse quantitative en comptant tous les cas de figure de telles traductions que nous avons repérés du moins dans nos corpus48.. L’important ici est de faire remarquer d’abord le contraste qui s’observe entre les types des modificateurs du nom des deux langues au niveau de leur système de langue et que ce contraste entraîne, lors du passage d’une langue à l’autre, l’utilisation récurrente des formes déterminatives en coréen face à la diversité des modificateurs du nom en français.

Notes
47.

J.M. Li (1985) Grammaire du coréen, Tome1, Paris, PAF, pp. 144-163

48.

Nous avons pu faire le même constat concernant le passage récurrent des modificateurs du français aux formes déterminatives du coréen non seulement entre le texte français du roman Immortalité de M. Kundera et sa traduction coréenne, mais aussi entre le texte français de L-J. Calvet et sa traduction coréenne.