3-2 Les adjectifs épithètes en français et leurs équivalents en coréen49 

3-2-1 Adjectifs du français et “ adjectifs ” du coréen, deux adjectifs de nature différente

Il n’est pas inutile de commencer par rappeler qu’en français l’adjectif qualificatif est de nature nominale, terme pris au sens large. Comme le nom, il peut varier en genre et en nombre, ces catégories grammaticales étant déterminées, non pas par elles-mêmes, mais par le terme nominal auquel elles se rapportent : une fille gentille—un garçon gentil / un bâtiment principal—des bâtiments principaux. Fonctionnellement, l’adjectif dépend du nom auquel il confère une propriété, mais sa fonction varie selon la manière dont il est mis en relation avec ce nom50 (Riégel. et al. Grammaire méthodique du français, 355):

  • épithète : inclus dans le groupe nominal, l’adjectif qualificatif fonctionne comme modificateur du nom à l’intérieur de ce groupe nominal : J’ai lu [un livre intéressant];

  • attribut : relié à un terme nominal par l’intermédiaire d’un verbe attributif comme être, trouver, il est attribut du sujet ou de l’objet : Ce livre [est intéressant] ; Je [trouve ce livre intéressant];

  • apposition : lorsqu’il est séparé par une pause ou une intonation (par une virgule à l’écrit) du nom auquel il se rapporte, il est dit apposé ou détaché : Sa femme, malade depuis un an, devait partir le lendemain.

Rien de tel en coréen. Cette langue se trouve parmi les langues qui ne possèdent pas de partie de discours nommée “ adjectif ” qui correspondrait et qui pourrait assumer les mêmes fonctions syntaxiques. En fait, ceci n’a rien d’étonnant en linguistique générale. A. Lemaréchal (1992) nous explique que cette classe de mots n’est pas universelle : toutes les langues ne possèdent pas de partie de discours « adjectif » dans leur système51. Toutefois, ce linguiste suppose que toutes présentent d’une part des structures relevant de la fonction épithétique, du fait de la capacité des langues à condenser l’information, et d’autre part des moyens d’exprimer plus ou moins différentiellement les qualités statiques. Il note que certaines langues n’ont pas d’adjectifs, que, dans telles autres, les adjectifs sont des verbes, que dans telles autres enfin, les adjectifs ne se distinguent en rien de la masse des noms (A. Lemaréchal, 1992, pp.223-224). Selon cette distinction typologique, on peut dire que le coréen fait partie du second groupe de langues.

En effet, les mots qu’on peut identifier comme “ adjectifs ” en coréen sont de nature verbale, à la différence du français qui possède une classe d’adjectifs de nature nominale. Ils constituent un groupe de “ verbes qualificatifs ” ou “ verbes de qualité ” ou encore “ verbes statifs ” (“ verbes-adjectifs ” selon Lemaréchal (1992)). L’emploi de ces termes se justifie dans cette langue si les propositions suggérées par le même linguistique sont entendues comme des conditions nécessaires et suffisantes : “ il faut que les équivalents de nos adjectifs (adjectifs du français), ou une partie d’entre eux, 1°) aient pour fonction fondamentale la fonction prédicative ; 2°) n’accèdent à la fonction épithétique que par le biais d’une procédure de relativation identique à celle des autres verbes ; et 3°) il faut encore - ce qui constitue une condition différentielle nécessaire pour que l’expression de “ verbe-adjectif ” ne risque pas de faire illusion - que les noms ne puissent exercer la fonction prédicative dans les mêmes conditions ”(Lemaréchal (1992, 228))

Le coréen remplit ces conditions : les “ adjectifs ” assument une fonction prédicative de la même façon que les verbes (→condition 1) :

  • (Ex1)

  • mali-nIn / yeppI -ta /

  • Marie-p.top. / être joli-STdécl. /

  • →Marie est jolie.

Alors que les noms doivent être précédés de la copule [i-ta] (→condition 3) :

  • (Ex2)

  • mali-nIn / haksEN-i -ta /

  • Marie-p.top. / étudiant-être-STdécl. /

  • →Marie est étudiante.

Quant à la seconde condition selon laquelle les verbes-adjectifs accèdent à la fonction épithétique par le biais d’une procédure de relativisation identique à celle des autres verbes, nous la vérifierons en détail plus loin, étant donné qu’elle constitue l’objet du débat de ce chapitre.

Comme l’on peut le constater, les verbes qualificatifs ont généralement pour équivalent français l’expression prédicative constituée d’une copule être suivie d’un adjectif qualificatif : ETRE + ADJECTIF QUALIFICATIF.

Pour ce qui est de la fonction d’apposition, si l’on prend cette dénomination dans son sens strictement formel et étymologique où apposition signifie “ position à côté de ”, ce mode de construction dit détaché n’est pas attesté en coréen ni pour le déterminant qualificatif ou la forme déterminative, ni pour le nom.

En ce qui concerne les mots qui correspondent aux adjectifs épithètes du français, le coréen les range sous l’étiquette “ déterminant qualificatif ” (en coréen « sONsaN kwanhyONsa »), lesquels sont regroupés avec d’autres types de déterminants comme les déterminants indéfinis, les démonstratifs, les interrogatifs, etc., dans une partie de discours appelée « déterminant » (cor. « kwanhyONsa »)52. Mais cette classe « déterminant qualificatif » recouvre un nombre très restreint d’unités. Dans la description courante du système actuel du coréen, on présente comme étant originellement des « déterminants de qualité » invariables des mots tels que : s E (neuf, nouveau) s E cha (voiture neuve), h O n (usé) → h O n os (vêtement usé) et tal I n (autre) → tal I n sENkak (autre idée)53. On perçoit toutefois la présence du suffixe déterminatif [-n] dans les deux derniers qui doivent, sans doute, provenir des verbes qualificatifs respectifs : hOl-ta (être usé) → hOn (usé) et talI-ta (être différent) → talIn (autre / différent). Quant à s E (neuf), le linguiste coréen C-K Sim (1979) affirme qu’il fonctionnait comme un substantif en ancien coréen54. Cela laisse supposer que le coréen n’a pas connu originellement de partie de discours « déterminant qualificatif ». Du fait que les grammairiens contemporains reconnaissent l’existence de cette partie de discours dans le système actuel de la langue, même si les éléments constitutifs de cette partie de discours sont peu nombreux, on est amenée à dire que cette classe de mot est en voie de développement.

Notes
49.

Nous limitons notre observation aux adjectifs qualificatifs et à leurs équivalents.

50.

M. Riégel et al. Grammaire méthodique du français, Paris, PUF, p.355.

51.

A. Lemaréchal (1992) « Le problème de la définition d’une classe d’adjectifs ; verbes-adjectifs ; langues sans adjectifs » dans Histoire Épistémologie Langage n°14/1 ; L’adjectif : perspectives historique et typologique, Paris, pp. 223-243.

52.

Il est bon de rappeler encore que le terme « déterminant » est pris au sens large dans la description du coréen, contrairement à ce qui se passe en français où le même terme, pris au sens étroit, est généralement réservé à la désignation du groupe des « prédéterminants » comme les articles définis ou indéfinis, les démonstratifs, les interrogatifs, etc. Si en français la présence de ces segments devant un nom est obligatoire pour que ce nom fonctionne normalement dans un discours, en coréen la présence d’un déterminant devant un nom n’est pas obligatoire.

53.

La liste des « déterminants de qualité » n’est pas homogène et varie d’une description à l’autre.

54.

C-K Sim (1979) « kwanhyONhwa-Ii IimikinIN » (fonctionnement sémantique de la détermination) dans OhakyOnku 15-2, Language Research Institute, Seoul national University, pp. 109-121.