3-2-1-3 La rection verbale de la forme déterminative et la relativisation

Pour parler de la faculté que la forme déterminative a de régir des arguments nominaux sous son contrôle, il est indispensable d’identifier d’abord la valence actancielle du verbe dont cette forme déterminative est issue, c’est-à-dire le nombre des arguments nominaux (ou des actants) que ce verbe impose à son entourage dans son schème prédicatif. Par exemple, un verbe coréen comme [ca-ta] (dormir) de même qu’un verbe qualificatif comme [yukcuNha-ta] (être lourd) sont monovalents parce qu’ils requièrent un argument nominal qui occupe la position de sujet (N1) dans le schème prédicatif [N1ka—V]. Un verbe comme [coaha-ta] (aimer) est un bivalent qui requiert deux arguments, sujet et objet, [N1ka—N2lIl—V] et un verbe comme [cu-ta] (donner) est un trivalent qui ordonnent trois arguments dans son schème prédicatif [N1ka—N2eke—N3lIl—V]. Une fois identifiée la valence actancielle du verbe, il importe de comprendre le mécanisme qui caractérise la relativisation en coréen, lequel consiste à effacer obligatoirement à l’intérieur de la relative le terme nominal relativisé, celui qui est coréférentiel avec le nom “ antécédent ”, sans laisser de trace dans sa position structurelle. Cela revient à dire que par rapport au nombre des arguments nominaux variant selon la valence du verbe (monovalent, bivalent, ou trivalent), il y a nécessairement un argument de moins dans la construction qui résulte de la relativisation, donc dans la relative.

Voyons les exemples suivants :

(5a) est une construction prédicative du verbe qualificatif monovalent [yukcuNha-ta] (être pesant-STdécl) qui requiert un argument nominal [momttuNOli] (corps) occupant la position sujet, tandis que (6a) comporte un verbe bivalent [hIlyOnoh-ta] (obstruer) qui régit fortement deux arguments, dont l’un est sujet [caulukhan / mOnci-Ii / hwepaN] (épais / poussière-p.génit / écran / → l’écran de poussières épaisses), et l’autre est objet [siya] (vue). A ces deux arguments s’ajoute un adverbe [katIk] (pleinement) qui n’entre pas dans la valence de ce verbe bivalent. Dans les constructions déterminatives (5b) et (6b) qu’on peut considérer comme étant issues de (5a) et (6a) par relativisation, on constate que dans (5b) reste vide la position structurelle du sujet relativisé, [momttuNOli] (corps), de même que dans (6b) celle du syntagme nominal complexe relativisé [caulukhan mOnci-Ii hwepaN] (l’écran de poussières épaisses) (nous avons représenté ces positions vides par un long tiret dans la glose de l’exemple). C’est ainsi que la forme déterminative [yukcuNha-n] (être pesant- SD) se retrouve seule dans la relative (5b), tandis que dans la relative (6b) la forme déterminative [hIlyOnoh-n I n] (obstruer-sd) apparaît combinée avec les constituants restant, à savoir le complément d’objet [siya] et l’adverbe [katIk] (pleinement).

Les ex. (5a-b) et (6a-b) montrent bien que le passage de la construction prédicative à la construction déterminative a lieu dans les mêmes conditions, moyennant les suffixes déterminatifs tant pour la construction à forme déterminative seule : N i + V- ta[ — V- sd ] N i que pour la construction à forme déterminative accompagnée d’autres constituants N i + N x + V- ta [ — N x + V- sd ] N i. Ceci nous amène à conclure que la différence apparente entre ces deux constructions n’est pas due à la différence du statut syntaxique de la forme déterminative qui les constituent, mais à la valence des verbes déterminant le schème de prédication ( verbes monovalents , bivalents, trivalents ) qui sont soumis à l’opération de relativisation. On peut donc considérer les constructions déterminatives, celles mises entre crochets, l’une comme l’autre, comme des subordonnées relatives qui dépendent fonctionnellement du nom “ antécédent ” qui les suit.

Notons au passage que pour rendre compte de la nature verbale de la forme déterminative du coréen et du mécanisme syntaxique qui la génère, nous avons invoqué, pour la comparaison avec le français, d’une part le participe et de l’autre la relative, deux types de constructions susceptibles d’assumer le rôle de modificateurs du nom, mais qui sont nettement distingués dans la tradition descriptive de cette langue. Certes, il faudrait différencier la relative du participe en français, si l’on s’en tient à la définition courante de la première comme subordonnée introduite par des pronoms relatifs tels que qui, que, dont où. Mais du point de vue de la linguistique contrastive et de la linguistique générale, comme nous le verrons, on ne peut se contenter d’une définition aussi restreinte pour parler des structures reconnues comme relatives et des éléments qui les caractérisent dans des langues aussi différentes que le français et le coréen. Elle est en effet difficilement applicable au coréen comme aux autres langues du monde qui ne disposent pas de pronoms relatifs dans leur système. Nous verrons plus loin qu’un mécanisme syntaxique mis en oeuvre dans le cadre de la détermination nominale, et que les typologues identifient comme relativisation, est attesté dans beaucoup de langues du monde (voire toutes) même si les manifestations formelles des constructions issues de cette opération varient d’une langue à l’autre. Nous verrons d’ailleurs qu’en français, l’utilisation des pronoms relatifs n’est qu’un des procédés de relativisation possibles que cette langue peut mettre en jeu. Tout ceci pour dire que dans l’optique de la linguistique contrastive où nous nous situons, nous adoptons une définition plus étendue de la relative qui repose non pas uniquement sur des propriétés morphologiques, mais plutôt sur un mécanisme syntaxique qui consiste à hiérarchiser les deux propositions dont l’une est subordonnée sous la dépendance d’un nom de l’autre, une fois vérifiée la présence de deux termes nominaux identiques appartenant à chacune des deux propositions. Nous y reviendrons plus en détail.

De ce point de vue, une construction participiale comme l’homme se tapotant [= qui se tapote] le front de même qu’une construction infinitive comme une histoire [= qui fait] à dormir debout peuvent être considérées comme relevant des relatives où le sujet est relativisé, étant donné que c’est du même mécanisme syntaxique de relativisation que l’on vient d’évoquer qu’elles sont issues. Ces constructions morphologiquement bien distinctes seront rendues en coréen par les constructions de relatives dans lesquelles la position de sujet, relativisé, est nécessairement vide.