3-2-2-1-2 Traduction par une proposition relative

La traduction par des propositions relatives du coréen des adjectifs qualificatifs ou des adjectifs verbaux du français s’observe fréquemment. Elle concerne surtout un type de proposition relative construite par un sujet et un verbe intransitif, notamment de type verbe qualificatif ou verbe de sentiment ou encore verbe d’existence. Cette proposition relative correspond aux phrases que nous appelons « phrases tandem ».

  1. leurs grains gonflés par la chaleur du sol, brûlant sous le soleil du plein été. [Trad.Mère 13] ←
    • hanyOlIm-Ii /1/ phokyaN-e /2/ hukkIntalaolI-n /3/ ciyOl-Il /4/ pat-a /5/ hancha N /6 / sal-i /7/ cci-n I n /8/ py O phokit I l /9/[Mère 17]

    • plein été-p.génit /1/ soléil violent-par /2/ être chauffé -SD:acc /3/ chaleur du sol-p.o /4/ recevoir-SC (cause) /5/ pleinement /6/ chair-p.s /7/ grossir-SD:inacc /8/ grains de riz-p.o /9/

    • (lit) →les grains de riz dont la chair grossissait pleinement recevant la chaleur du sol, brûlant sous le soleil violent du plein été

  2. Deux ou trois fois, des faisans s’étaient mis à chanter dans le bois d’une voix rauque [Trad.Mère 14] ←
    • solsuph-Otinka-esO /1/ mok-i /2/ kk O k /3/ swi-n /4/ cangkki-Ii /5/ ulIm-i /6/ tuO pOn /7/ tOl-ly-Oss-Ina /8/[Mère 18]

    • bois de pin-quelque part /1/ gorge-p.nom /2/ onomatopée /3/ enrouer-SD:acc /4/ faisan-p.génit /5/ pleurs-p.s /6/ deux ou trois fois /7/ entendre-passif-acc-SC (mais) /8/

    • (lit) → *quelque part dans le bois de pin, les pleurs du faisan dont la gorge est enrouée est entendu deux ou trois fois.

    • →quelque part dans le bois de pin, les pleurs du faisan d’une voix rauque est entendu deux ou trois fois

  3. le charme de ce visiteur étrangement aimable[Im. 28]
    • isaNhalimanchi /1/ c ON -i /2/ sos-n I n /3/ i pa N munk E k-Ii /4/ mElyOk /5/[Trad. Im. 24]

    • étrangement /1/ affection-p.nom /2/ jaillir-SD:inacc /3/ ce visiteur-p.génit. /4/ charme /5/

    • → *le charme de ce visiteur de qui une affection jaillit étrangement

    • → le charme de ce visiteur pour qui j’ai de l’affection étrangement

Disons d’abord que telles qu’elles sont employées en coréen, les relatives peuvent difficilement être traduites par des relatives en français en raison de leur expressivité qui ne relève pourtant pas spécifiquement du registre littéraire coréen59, mais qui ne ‘passe’ pas, même littérairement, en français. C’est ce qui permettrait avant tout d’expliquer un tel passage ’ obligé ” de la traduction de la relative du coréen en adjectif épithète du français.

Mais ce qui nous intéresse ici, c’est la construction des relatives du coréen et leur rapport argumental avec le nom relativisé, en l’occurrence le nom déterminé. Comme nous venons de le dire plus haut, les relatives employées dans les exemples ont la particularité de correspondre au type de phrases tandem qu’on peut restituer ainsi,

  • (3-1)pyOphoki-tIl-i [ I i ] /1/ sal-i /2/ cci-n-ta /4/

  • grains de riz-pl.-p.foc. [ p.génit.] /1/ chair-p.nom /2/ grossir-inacc-STdécl /3/

  • → *Les grains de riz, le chair grossit pleinement.

  • (4-1)cangkki-ka [ I i ] /1/ mok-i /2/ swi-Oss-ta /3/

  • faisan-p.foc. [p.génit.] /1/ gorge-p.nom /2/ enrouer-acc-STdécl /3/

  • →*Le faisan, la gorge a enroué

  • (5-1)i paNmunkEk-i [ ekes O / eke] /1/ cON-i /2/ sos-nIn-ta /3/

  • ce visiteur-p.foc. (p. locative : origine ‘de’ ou destination ‘pour’) /1/ affection-p.nom /2/ jaillir-inacc-STdécl /3/

  • →Ce visiteur, l’affaction jaillit

On constate que ces phrases ont deux noms doublement marqués par la même particule nominale [i] ou sa variante phonologique [ka] placée devant un verbe intransitif. Leur confrontation avec les relatives montre que le premier nom fait l’objet d’une relativisation pour donner lieu à chacune des relatives. Si l’on admet l’idée, partagée par un bon nombre de linguistes contemporains, selon laquelle le premier nom est un élément constitutif de l’énoncé mis en valeur par un procédé de focalisation et que la particule qui lui est attachée [i] ou [ka] n’est pas une simple particule destinée à marquer la fonction de sujet du nom, mais plutôt une particule de focalisateur qui aurait remplacé une autre particule casuelle destinée au nom, on peut s’interroger alors sur le rapport argumental qui s’établit entre le premier nom et le reste de l’énoncé. Le problème est que le rôle argumental de ce premier nom avec le reste de l’énoncé n’est pas explicitement marqué, il est même plutôt caché par la présence de la particule de focalisateur [ka]. La situation est semblable en ce qui concerne le rapport argumental entre la relative et le nom relativisé, en l’occurrence le nom qu’elle détermine, car aucune marque formelle n’indique ce rapport. C’est par le truchement des informations données par les autres éléments constitutifs de l’énoncé qu’on peut déduire le rôle argumental du nom focalisé dans la phrase indépendante comme celui du nom relativisé dans la relative (Voir Infra. ). Ainsi nous avons rétabli entre parenthèses le rôle argumental du nom focalisé dans les derniers exemples : les noms des deux premiers exemples ‘grains de riz’ et ‘faisans’ ayant un lien sémantique “ tout-partie ” avec respectivement ‘chair’ et ‘gorge’, constitueraient avec ces derniers noms des syntagmes nominaux génitivaux où le premier nom serait lié au second par une particule génitive [Ii]. Le nom par contre du troisième exemple ‘ce visiteur’ aurait, par rapport au reste de l’énoncé, le rôle de complément locatif susceptible d’admettre une double interprétation : il s’agit soit d’un complément d’origine qui serait marqué par une particule d’origine [ekesO], soit d’un complément de destination qui serait marqué par une particule dative [eke]. On peut identifier des rôles argumentaux identiques aux noms relativisés dans les relatives des exemples (3) (4) et (5). Bien qu’elle soit issue de la traduction coréenne de l’adjectif français, la relative de l’exemple (5) pose également un problème d’identification du rôle argumental du nom relativisé.

En évoquant ce problème, nous anticipons un peu sur une des problématiques de l’analyse des relatives du coréen que nous allons traiter plus loin. Mais nous tenons à faire remarquer ici qu’il n’est pas inintéressant d’observer ce type de relatives constituées d’un sujet et d’un verbe intransitif60 en relation avec les phrases appelées “ phrases à double sujet ”, qui suscitent elles-mêmes des problèmes d’analyse non moins complexes, mais qui du moins reflètent par excellence une des caractéristiques des langues dites à thème proéminent comme le coréen, le japonais ou encore le chinois. Compte tenu de l’ampleur et de la complexité de la problématique théorique que pose ce type de phrases, notamment le rapport entre le premier nom et le reste de l’énoncé, nous nous gardons d’une discussion approfondie sur le sujet. Nous nous contenterons pour notre exposé d’admettre l’hypothèse, largement partagée par des linguistes contemporains, que nous avons énoncée plus haut.

Revenons aux exemples (3), (4) et (5). Dans ces derniers, les verbes subordonnés [cci-n I n] (grossir-SD:inacc), [swi-n] (enrouer-SD:acc) et [sos-n I n] (jaillir-SD:inacc) sont affectés des suffixes déterminatifs [nIn] ou [In] qui indiquent non seulement la fonction déterminative de la subordonnée dont ils marquent le verbe, mais surtout des valeurs aspectuelles, respectivement inaccompli et accompli. Ce sont ces informations dont sont privés, totalement (→le cas de (4) et (5)) ou partiellement (→le cas de (3)), les adjectifs épithètes équivalents employés en français. On peut toutefois remarquer dans ce dernier cas que l’adjectif participial ‘gonflés’ correspondant à la forme déterminative [cci-n I n] (grossir-SD:inacc) dans la traduction française de l’exemple (3) implique une valeur aspectuelle accompli (le procès ‘gonflement’ déjà achevé), alors que la forme déterminative [cci-n I n] (grossir-SD:inacc) indique l’aspect inaccompli (le même procès vu en cours).

On s’aperçoit que si l’utilisation de l’adjectif participial tel que gonflés permet de traduire une subordonnée déterminative du coréen, d’une façon concise, sous la forme d’un adjectif épithète en français, par contre, l’utilisation d’un tel type d’adjectif, qui est marqué “ lexicalement ” en lui-même d’une valeur aspectuelle d’accompli en présence du suffixe é dit de « participe de passé », ne permet pas toujours de rendre fidèlement les valeurs aspectuelles exprimées par des subordonnées déterminatives coréennes à traduire.

Notes
59.

Il est certes possible de reconnaître un caractère littéraire aux expressions soulignées dans les exemples (3) et (4), dans le sens où il y a personnification des non-humains (grains de riz et faisans) en leur associant des qualités censées appartenir aux humains (grossissement et enrouement). Mais ces subordonnées déterminatives peuvent s’employer d’une façon ordinaire et sans être ‘littéraires’ pour qualifier une personne. Bref, c’est une pratique courante dans le langage ordinaire du coréen.

-hancha N /1/ sal-i /2/ cci-n I n /3/ mali /4/

pleinement /1/ chair-p.nom /2/ grossir-SD:inacc /3/ Marie /4/

→Marie dont la chair grossit pleinement / Marie qui grossit pleinement

- mok-i /1/ swi-n /2/ mali /3/

gorge-p.nom /1/ enrouer-SD:acc /2/ Marie /3/

→ Marie dont la gorge a enroué / Marie dont la voix a enroué.

60.

Il faut souligner que les verbes utilisés les plus fréquemment dans ce cas sont des verbes qualificatifs, des verbes d’existence et des verbes subjectifs ou de sentiment.