3-2-2-2 Traduction des adjectifs affixés épithètes

La dérivation, en tant que procédé de formation lexicale, est beaucoup plus productive que la composition en français. Le champ lexical des adjectifs s’élargit facilement au moyen des préfixes et des suffixes. Comme les affixes français coïncident rarement avec ceux du coréen, les adjectifs affixés appellent souvent des traductions diversifiées en coréen. Prenons l’exemple des adjectifs affixés par un préfixe négatif in- (variantes im-, il-, ir-), et éventuellement par un suffixe -able ayant une signification modale de possibilité.

  1. une affaire im-possible
    pul-kanINha-n /1/ il /2/
    préf. négatif-être possible-SD /1/ affaire /2/

  2. Une pensée ir-raisonnable
    pi-haplicOk-i-n /1/ sENkak /2/
    pref.négatif-être raisonnable-SD /1/ pensée /2/

Tout comme le préfixe français ‘in- provient du latin, les préfixes négatifs [pul-] et [pi-] proviennent du chinois. Ils s’adjoignent uniquement à des lexèmes d’origine chinoise. Dans l’ex (6), le préfixe [pul-] est ajouté au lexème sino-coréen [kanIN] (possibilité) qui s’écrit en coréen et en chinois . Ce lexème de nature substantive est transformé en verbe par l’ajout du verbe coréen [ha.ta] (faire) qui sert ici d’élément “verbalisant”: pul + kanIN + hata (être impossible), et le verbe ainsi dérivé est devenu “adjectif épithète” par le changement de l’élément verbalisant [ha-ta] qui devient [ha-n] : pul-kanINha-ta (être impossible) → pul-kan IN ha-n (impossible). On peut également constater ce processus pour pi-hapli-c O k-i-n (irraisonnable) : ← pi (nég.) + hapli (raison) + cOk (suf. déterminatif sino-coréen) + ita ( être) (être irraisonnable).

  1. à un moment in-attendu [Trad.Mère 11] ←
    s EN kak(ha)-citoanh-ass-t O -n /1/ tEmok-esO /2/[Mère 15]
    penser-V.aux de négation-acc-remémoratif-SD:acc /1/ moment-à /2/

  2. une in -souten- able nostalgie[Im. 47] →
    ky O nti-lsu O ps-n I n /1/ hyaNsu /2/[Trad. Im. 40]
    soutenir-V aux modal de négation(ne pas pouvoir)-SD:inacc /1/ nostalgie /2/

L’adjectif inattendu de l’exemple (8) est traduit en coréen par la forme déterminative du verbe morphologiquement complexe, composé de la racine d’un lexème verbal [sENkakha] (penser) et d’un verbe auxiliaire de négation [~haci(to) anh-ta.]. Quant à l’adjectif in-souten-able de l’exemple (9), il est dérivé du verbe transitif soutenir, et affixé par le préfixe négatif in- et le suffixe modal de possibilité -able. Le français connaît lui-même la transformation qui consiste à rendre équivalents, d’une part la marque de négation verbale ne ~ pas et le préfixe in-, et d’autre part le verbe modal pouvoir et le suffixe -able :

Le coréen attache, d’une manière comparable, à la racine d’un lexème verbal une lexie complexe [~lsuOps-ta]61 (ne pas pouvoir) pour indiquer une modalité d’impossibilité. Ainsi l’adjectif ‘in-souten-able’ est traduit en coréen, sous la forme déterminative d’un verbe complexe, composé de la racine du verbe transitif [kyOnti-(ta)] (soutenir) et de la lexie complexe indiquant la modalité d’impossibilité qui est marquée par le suffixe déterminatif [~l su Ops-n I n].

  1. une essence propre et in -interchange- able [Im. 24] →
    sa N hokyohwan-i /1/ pul-kan IN ha-n /2/ koyu-Ii /3/ poncil /4/[Trad.Im. 23]
    interchange-p.nom /1/ préf. de négation-être possible-SD /2/ propre-p.génit /3/ essence /4/
    → *l’essence propre dont l’interchange est impossible

C’est un cas où l’adjectif affixé est traduit d’une manière analytique sous la forme d’un modificateur propositionnel : le lexème interchange est transposé en constituant nominal sujet, et le préfixe in- ainsi que le suffixe -able, en verbe qualificatif [pul-kan IN ha-ta] (être impossible-STdécl) qui est translaté, à son tour, en forme déterminative [pul-kan IN ha-n] (être impossible-SD).

  1. le chemin caillouteux[Trad. Mère 11]
    cakal-t I l-i /1/ cich O n- I lo /2/ n O lli-n /3/ sikolkil /4/[Mère 15]
    caillou-pl.-p.nom /1/ partout /2/ être étalé-SD /3/ chemin de campagne /4/
    → le chemin de campagne où les cailloux sont étalés partout.

  2. un regard haineux[Im. 42]
    c IN o-e /1/ cha-n /2/ sisOn /3/[Trad. Im. 36]
    haine-par /1/ être plein-SD /2/ regard /3/
    → un regard plein de haine

Ce dernier type d’exemples est représentatif pour illustrer une différence entre les deux langues dans la façon d’exprimer la qualité. Le français exprime d’une façon synthétique une qualité d’un être ou d’un objet, moyennant l’adjectif ainsi dérivé lexicalement d’un nom par ajout d’un suffixe, en l’occurrence eux : caillou-t-eux / hain(e)-eux. En revanche, le coréen l’exprime d’une façon analytique, par une subordonnée relative, dans laquelle la qualité à exprimer est décomposée en sujet (ou autre) et verbe (sans parler d’autres constituants possibles), comme si les expressions caillou-t-eux et hain(e)-eux étaient reprises en sujet (caillou / haine) et verbe (-eux). Dans ces conditions, il est évident que la subordonnée relative du coréen dit plus de choses que l’adjectif qualificatif affixé correspondant et c’est souvent le verbe qui le permet. On s’en convaincra en consultant un dictionnaire français-coréen où les formes de subordonnées relatives en coréen sont données comme équivalentes à ce genre d’adjectifs affixés français.

Notes
61.
Le verbe [Ops-ta], appelé auxiliaire de négation, fonctionne à l’origine comme un verbe d’absence, lexicalement opposé au verbe d’existence [issta]. Ces deux verbes constituent chacun, avec [~lsu-], une lexie complexe (ou une expression figée, si l’on veut) [~lsu iss-ta] → [~lsu Ops-ta] qui indiquent respectivement la modalité de possibilité et d’impossibilité. Avec le verbe [kyOntita] (soutenir) : kyOnti-l su iss-ta (pouvoir soutenir) message URL harr.gif kyOnti-l su Ops-ta (ne pas pouvoir soutenir).