3-3-2 La construction indirecte (N1 rel. N2)

Disons d’abord que les éléments constitutifs, déterminant—déterminatif, de cette construction s’orientent de la même façon que dans la construction directe. En français, le nom déterminatif (N2) suit le noyau nominal (N1) qu’il détermine et la préposition reliant ces deux noms forme un groupe syntaxique avec le nom déterminatif (N2) qu’elle introduit, comme le montrent les tests de substitution ou d’effacement : le discours du président discours présidentiel / le discours. En revanche, en coréen le nom déterminatif (N1) précède le noyau nominal (N2) et la particule les reliant est postposée au premier, avec lequel elle forme un groupe syntaxique : t E th ON ly ON - I i yOnsOl (président-de discours) → h IN milou-n yOnsOl (être intéressant-SD discours) / yOnsOl.

En français, le nom déterminatif est souvent introduit par la préposition ‘de’ (le chien de ma voisine, ), mais d’autres prépositions (à, en, pour, avec, sur, contre, etc.) ou même par des locutions prépositionnelles : une chemise en soie, un reportage su r les Pyramides, une manifestation contre la violence, le parc à côté de la mairie, etc. Mis à part ‘de qui est la plus “ incolore ” de toutes ces prépositions et qui, de ce fait, dissimule toutes sortes de relations sémantiques diverses que peuvent établir le noyau nominal (N1) et le nom déterminatif (N2) qu’elle introduit, les autres prépositions servent non seulement à relier ces deux noms, mais surtout à interpréter la relation sémantique précise que ces deux derniers entretiennent, à l’aide du sens propre de chacune de ces prépositions.

Face à la diversité des prépositions du français qui interviennent dans la constitution de la structure interne du syntagme nominal, le coréen ne connaît que deux particules de détermination [Ii] et [cOk] qui correspondent en gros à la préposition ‘de’ en français. Comme nous l’avons dit plus haut, elles sont d’origine différente : [Ii] est une particule de détermination d’origine purement coréenne et [cOk] est une particule de détermination d’origine sino-coréenne71. Dans l’usage courant, la première s’emploie beaucoup plus largement que la seconde. [Ii] peut rattacher deux noms, quelle que soit l’origine de ces derniers (purement coréenne ou sino-coréenne) ou leur type (nom concret ou abstrait) : ex. Omma-Ii-nun : maman-de-yeux (noms autochtones et concrets) / OnO- Ii-somyOl : langue-de-disparition (noms sino-coréens et abstraits). En revanche [cOk] ne peut unir que deux noms sino-coréens qui sont souvent des noms abstraits et savants : yesul-c O k-kamkak (art-de-sensibilité). A cette particule sino-coréenne succède fréquemment la forme déterminative [-in] du copule [i-ta] (être). Il n’y a pas de différence de sens notable entre [yesul-c O k-kamkak] (art-de-sensibilité) et [yesul-c O k-i-n-kamkak]72. (art-’cOk’-être-SD-sensibilité → sensibilité artistique). Dans ce qui suit, nous limiterons notre observation aux constructions déterminatives marquées par la particule de détermination [Ii] la plus usitée en coréen.

Il est important de signaler que la particule [Ii] est une marque spécifiquement réservée à la détermination nominale, tandis que la préposition ‘de’ et d’autres prépositions du français ne le sont pas. En effet les prépositions peuvent introduire tantôt un nom déterminatif dans une structure interne du syntagme nominal, tantôt un complément circonstanciel dans une structure phrastique. Hors du contexte, on ne peut savoir quel rôle syntaxique joue le nom introduit par une préposition. Ainsi la préposition ‘de’ introduit un complément “ d’origine ” dans une structure phrastique (31a) et un nom déterminatif dans (31b)

Par contre, la particule coréenne [Ii] ne s’emploie que dans la structure de détermination nominale. On aurait comme équivalents coréens des exemples (31a) et (31b) les formes suivantes:

Tout comme le nom déterminatif introduit par la préposition ‘de’ peut établir différentes relations sémantiques avec son noyau nominal dans la construction du français ‘N1 de N2’, le nom déterminatif postposé par la particule [Ii] peut avoir diverses relations sémantiques avec son noyau nominal dans la construction coréenne ‘N1-Ii N2’. Dans cette construction en [Ii] comme dans celle en ‘de’, les relations sémantiques entre les constituants nominaux dépendent essentiellement du sémantisme respectif de ces derniers, la marque de détermination indiquant un simple rapport de dépendance fonctionnelle orientée entre les deux constituants. Dans de nombreux cas, les constituants nominaux dans les constructions de détermination nominale ‘N1-Ii N2’ et ‘N1 de N2’ des deux langues expriment des relations sémantiques identiques, lorsque celles-ci concernent des liens tels que la possession (le livre de Pierre / ppiel I - I i chEk), ‘relation de parenté ou de statut (la mère de Marie / mali- I i-Omma), le temps (le rendez-vous du samedi soir / thoyoil c O ny O k- I i-yaksok), le lieu (Le sommet du Mont Blanc / mo N p I lla N - I i cONsaN), la relation de la partie au tout ou de l’élément à l’ensemble (les yeux de Marie / mali I i-nun), etc. Mais dans certains cas, il serait difficile de trouver une telle correspondance univoque et réciproque entre les constructions de détermination nominale des deux langues73.

D’ailleurs, comme nous l’avons dit, le français connaît des constructions de détermination nominale où N2 est introduit par des prépositions autres que ‘de’ comme (à, en, sur, pour, vers, etc.), ou des locutions prépositionnelles (au dessous de, au moyen de, en direction de, etc.). Celles-ci contribuent, par leur sens propre, à interpréter, sans ambiguïté, la relation sémantique entre N1 et N2. Grevisse (1993) observe une tendance qui consiste à substituer à ‘de’, souvent ambigu, des prépositions spécialisées en français moderne74. Un nom indiquant la matière s’introduit aussi bien par ‘en’ qui est un emploi plus récent que par ‘de’, emploi classique : un manteau de / en laine, une table de / en bois. Etant donné qu’un syntagme nominal comme ‘le train de Paris’ peut signifier aussi bien le train qui vient de Paris que le train qui va vers Paris, l’utilisation de la préposition ‘pour’ : ‘le train pour Paris ou mieux d’une locution prépositionnelle : ‘en direction de Paris’ à la place de ‘de’ permet d’indiquer clairement qu’il s’agit du train qui se dirige vers Paris. Outre ce rôle de désambiguïser la relation sémantique que peut provoquer la construction N1 de N2, ces diverses prépositions servent surtout à instaurer des relations sémantiques que ne pourrait pas exprimer la construction N1 de N2 : un colloque sur les femmes, un remède contre l’allergie, une mère avec ses trois enfants, etc.

Le coréen n’a pas d’autres particules de détermination que [Ii] qui permettraient de diversifier ainsi les relations sémantiques entre les constituants nominaux au niveau syntagmatique. Cependant, il est bon de signaler le cas où d’autres particules casuelles, notamment la particule [e], connue habituellement sous le nom de “ particule locative ”, se trouvent intercalées entre le nom déterminatif N1 et la particule génitivale [Ii], alors qu’elles fonctionnent habituellement dans une structure phrastique pour marquer des compléments circonstanciels. Voyons les exemples suivants que nous avons empruntés à C-K Sim (1979, 110)75, sauf (32c) puisé dans notre corpus.

Le linguiste C-K Sim explique que les constructions déterminatives des exemples (32a) et (32b) sont dérivées de celles de subordonnées déterminatives après l’effacement du verbe de celles-ci qui présenteraient les formes suivantes :

Nous n’allons pas nous étendre sur cette approche générative et transformationnelle qui n’est pas sans poser de problèmes. Qu’elle soit dérivée ou non d’une subordonnée déterminative quelconque, la construction déterminative représentée dans les exemples (32) montre que la présence d’une particule locative [e] devant [Ii] sert non seulement à donner davantage de précision sur la relation entre les deux constituants nominaux posés mais surtout à lever l’ambiguïté que peut provoquer la construction [N1-Ii-N2]. En effet, la construction de l’exemple (32a) [cokuk-e- I i-kitE] pourrait apparaître sans la particule locative [e] telle que [cokuk-I i-kitE] (patrie-de-attente). Mais, comme l’on l’a vu plus haut avec l’exemple français, ‘le train de Paris, cette dernière construction coréenne peut être également interprétée de deux manières différentes que l’on représente ici par une phrase verbale : (1) La patrie attend X de Y / (2) N° attend X de la patrie : soit la patrie est le sujet (1), soit elle est le complément de “ source ” (2). Par contre, l’ajout de la particule locative [e] permet d’éviter une telle ambiguïté et conduit à la seconde interprétation.

L’exemple (32c) [OnOhak-es O - I i malIkhIsIcuIi] (linguistique-en-de-marxisme : le marxisme en linguistique) ne poserait pas le même problème d’ambiguïté si l’on enlevait la particule locative intercalée [esO] (en) dont le rôle ici est de préciser la relation locative qui s’établit entre les deux constituants nominaux, linguistique et marxisme. Il en est de même pour les exemples (32d) et (32e) où [kkaci] (jusqu’à) et [IlosO-Ii] (comme) précisent respectivement une relation temporelle entre les deux constituants reliés nos jours et l’histoire de toutes les sociétés et une relation d’instrument entre langue et moyen de communication. Ces exemples illustrent la possibilité en coréen d’avoir une particule autre que [e] devant la particule génitivale [Ii] dans la construction de détermination nominale du coréen. Faute d’informations supplémentaires en la matière, nous ne saurions dire quelles autres particules casuelles figurent dans cette position76 et nous pourrions même nous poser la question de savoir s’il s’agit là d’une interférence de la structure interne du syntagme nominal du français sur celle du coréen. Il semblerait raisonnable de se garder de cette idée d’interférence, sans pour autant l’écarter complètement de la réflexion, car on observe tout de même des particules casuelles autres que [e] devant la particule génitivale [Ii] dans des écrits coréens qui n’ont aucun rapport avec le texte étranger. En tout cas, les particules casuelles qui sont capables de fonctionner dans ce type de construction de détermination dont l’apparition est assez récente en coréen sont, nous semble-t-il, peu nombreuses en coréen par rapport au nombre des prépositions en français qui peuvent y figurer.

Ceci étant dit, nous avons donc remarquer que lorsque le français emploie un nom déterminatif introduit souvent par ‘de’ et aussi par d’autres prépositions (à, en, sur, pour, etc.), le coréen utilise fréquemment des constructions à subordonnées déterminatives. Ceci laisse penser que les syntagmes nominaux en tant que modificateurs du nom ne sont pas exploités de la même façon dans les deux langues. Dans ce qui suit, nous nous bornerons à observer quelques cas de syntagmes nominaux complexes du français traduit en coréen par des constructions à subordonnées déterminatives à partir des exemples extraits de la traduction coréenne du texte français. Cette observation nous permettra de constater là encore qu’en comparaison avec le français, l’utilisation des subordonnées déterminatives est fréquente en coréen, bien que des syntagmes nominaux puissent fonctionner en tant que modificateurs du nom dans cette langue.

Notes
71.
Cette dernière qui s’écrit en chinois ‘ message URL carchinois.gif’ est, selon Darrobers et ali. (1998), la particule grammaticale la plus usitée en chinois moderne où son principal rôle consiste également à relier deux noms en déterminant-déterminé. Bien que cette particule d’origine chinoise soit implantée, comme d’innombrables autres vocables, dans le lexique coréen, son emploi en tant que marque de détermination est beaucoup plus réduit en coréen qu’en chinois. Dans cette dernière langue, devant la particule [cOk] peuvent se trouver toutes sortes de catégories grammaticales (exemples pris de Darrobers et ali.p.200) : 1) wo de shu : le livre de moi / 2) congming de rén : une personne intelligent / 3) wo he de cha : le thè que je bois. En coréen, la même particule ne peut pas être employée de la même façon et serait présentée ainsi : 1) na- I i chEk : le livre de moi / 2) cho N my ON ha- n salam : une personne intelligente 3) n E -ka masi- n I n cha : le thé que je bois.
72.

Cette construction aurait pour équivalence la phrase verbale suivante : kamkak-i yesul-c O k-i-ta : sensibilité-p.nom / art-cOk-etre-STdécl → (sa) sensibilité est artistique. La particule sino-coréen [cOk] se trouve postposée au nom [yesul] occupant la position d’attribut du verbe [ita] (être). Cette construction soulève toutefois des questions, à savoir : comment analyser la particule [cOk] placée devant le verbe [ita] (être) ? Dans le syntagme nominal [yesul-c O k-kamkak] (la sensibilité artistique), est-ce [cOk] qui joue le véritable rôle de marque de détermination ? Ne pourrait-on pas considérer que ce syntagme nominal est issu de la forme [yesul-c O k-in-kamkak] après l’effacement de la forme déterminative [in] du verbe [ita], qui, elle, plus précisément ‘-n’, est une véritable marque de détermination dans cette construction ? La particule [cOk] n’est-elle pas une sorte de suffixe qui fait un terme ‘de qualité’ du terme auquel elle est postposée ? Nous laissons ouvertes ces questions concernant l’analyse de la particule [cOk] en coréen.

73.

Nous ne sommes pas en mesure de dresser ici une liste exhaustive des relations sémantiques qui s’établissent entre les deux constituants nominaux de la construction de détermination nominale des deux langues, ni de donner des propriétés syntaxiques qui caractérisent la suite [N1 de N2] du français et [N1-Ii N2] du coréen.

74.

Grevisse (1993), Le Bon Usage, 13ème Edition, Paris, Duclot, pp. 525-542

75.

C-K Sim (1979) estime que ce type de constructions de détermination a fait son apparition dans les années 1950.

76.

Nous pouvons confirmer du moins que la présence de la particule nominative [i / ka] et de la particule accusative est exclue dans cette position.