4-1-3 La nature de l’antécédent

En français, les propositions relatives avec antécédent, dont les emplois sont beaucoup plus fréquents que ceux des relatives que nous venons de voir, ont comme antécédent des classes grammaticales variées. Les grammairiens notent couramment le cas où l’antécédent est un nom ou un pronom. Mais, comme le montre le Bon Usage (1991), il existe des cas où l’antécédent est tantôt un adjectif ou un participe, tantôt un adverbe de lieu ou de temps, ou encore une phrase elle-même.

Pour le moment, laissons de côté le cas le plus fréquent, c’est-à-dire celui où l’antécédent est un nom ou un pronom, puisque nous en parlerons plus loin de manière approfondie. Les autres cas de figures appellent par contre quelques remarques immédiates.

D’abord, il est intéressant de remarquer qu’un adjectif ou un participe peut devenir l’antécédent d’une relative, le plus souvent lorsqu’il occupe une position d’attribut, comme le montrent la plupart des exemples pris dans le Bon Usage (1991, pp.1585-1586) :

Grevisse note que dans ce cas, la relative sert surtout à identifier l’être ou l’objet auquel se rapporte l’adjectif. L’adjectif ou le participe en fonction d’attribut est relativisé, tout comme un constituant nominal en fonction d’attribut peut l’être : (ex. empruntés à Bon Usage (1991, p.1586).

On peut penser que l’adjectif, comme le prouve sa relativisation, a un comportement syntaxique proche du nom. Tout comme un nom en fonction d’attribut, un adjectif de la même fonction peut être représenté par un indice pronominal le dans une phrase simple : Tu es étranger , comme je le suis ; Elle était surprise et je l ’étais aussi.

On peut également faire le même constat pour les unités rangées traditionnellement dans la classe d’«adverbes » de temps et de lieu comme aujourd’hui, hier, demain, ici, là. De fait, il est connu que parmi les unités traditionnellement considérées comme « adverbes », les adverbes de temps et de lieu présentent, partiellement mais davantage que les autres « adverbes », des propriétés syntaxiques proches de celles des nominaux. Comme le montre Creissels (1995, p.142) avec les exemples (7a-e), certains de ces adverbes peuvent assumer librement des fonctions syntaxiques telles que sujet, objet, déterminant génitival, qui sont typiquement réservées aux nominaux87. Compte tenu de ces affinités, ce linguiste propose de les désigner par « noms restreints » ou « quasi-noms »88.

Notons au passage qu’en coréen, les unités comme [Oce] (hier), [onIl] (aujourd’hui), [nEil] (demain), [yOki] (ici), [cOki] (), qui sont comparables aux « adverbes » de temps et de lieu du français, sont rangées au contraire dans la classe des noms. Elles peuvent assumer différentes fonctions argumentales telles que sujet, objet, adjet, et déterminant génitival. Leur nature nominale appraît très nettement dans le fait que l’on puisse leur adjoindre des particules casuelles telles que [ka/i] (nominative), [Il/lIl] (accusative), [e/esO] (locative), [Ii] (génitive) qui servent à indiquer leur fonction syntaxique, comme on le voit dans les exemples suivants.

Confortée par ce point de vue contrastif, nous nous rallions à l’idée proposée par D. Creissels (1995) de considérer les « adverbes » de temps et de lieu du français comme des « quasi-noms ».

Revenons au cas où la relative a pour antécédent un « adverbe » de temps ou de lieu en français. Vu ses affinités avec le nom, il n’est pas étonnant qu’il puisse figurer comme antécédent d’une relative dans une phrase complexe. Citons des exemples pris dans le Bon Usage (1991, p.1586).

Selon l’auteur de cette grammaire, il est d’usage que les adverbes de temps (aujourd’hui, maintenant, à présent, etc.) aient une relative introduite par que, et que les adverbes de lieu (ici, là, partout) aient une relative introduite par . Il note que dans le premier cas, l’emploi de l’introducteur que tend à reculer au profit de , notamment lorsque l’antécédent est aujourd’hui, comme c’est le cas dans l’ex. (9c). En bref, on peut généralement constater que et que sont concurremment utilisés, en particulier lorsque l’antécédent est un adverbe de temps89.

S’il est banal que l’antécédent « adverbe » de temps ou « adverbe » de lieu soit suivi d’une relative introduite par ou par que, qui indique la fonction syntaxique de celui-là dans la relative, fonction souvent circonstancielle, il est des cas, certes rares, où le même antécédent peut avoir une relative introduite par qui. Ce qui signifie que l’antécédent adverbe de temps ou de lieu assume la fonction sujet dans la relative qui le suit, comme l’illustrent ces exemples que Grevisse emprunte à Sandfeld (1965, p.215)

Signalons pour finir que dans ce qui précède, nous avons parlé des relatives ayant pour antécédent un terme de phrase, qu’il soit un (pro)nom ou un adverbe de temps ou encore un adjectif, auquel elles sont intimement liées. Il en va différemment dans les exemples suivants, où la relative prend pour antécédent une proposition ou une phrase entière. Il s’agit des relatives dites de liaison qui sont introduites par des relatifs de type qui, que, quoi, où. De façon générale, cette relativisation consiste à reprendre une phrase précédente ou une partie de celle-ci, avec ou sans le pronom neutre ce que l’on place devant le relatif qui ou que. Lorsque le relatif est quoi ou où, il peut être précédé d’une préposition, sans le pronom neutre ce, pour former après quoi, sans quoi, avec quoi, d’où.

Outre la virgule, une pause forte peut être marquée également par un point ou encore deux points, ce qui confère à ces relatives de liaison une sorte d’indépendance. En fait, on pourrait les considérer comme une variante des relatives, mais il est difficile d’admettre qu’elles soient subordonnées fonctionnellement à la phrase précédente, en se comportant comme un terme de cette dernière. On peut par contre dire qu’elles sont en relation de coordination avec la phrase précédente. Cela d’autant plus que le pronom relatif (dit également « relatif de liaison) perd sa valeur subordonnante au profit d’une fonction de liaison relevant de la coordination. Cette idée est confortée par le fait que beaucoup de séquences telles que Après quoi, Sans quoi, D’où, comme quoi, Qui plus est, Qui mieux est, etc. fonctionnent, lorsqu’elles sont en début de phrase, non comme des subordonnants, mais comme des connecteurs qui ont pour rôle de maintenir un lien logique entre la phrase qu’elles introduisent et celle qui les précède.

Il convient de signaler, pour notre part, que nous excluons ces relatives dites de liaison de notre champ d’étude qui concerne, rappelons-le, les relatives relevant des propositions déterminatives.

Notes
87.

D. Creissels (1995) Eléments de syntaxe générale, Paris, PUF, p.142.

88.

D. Creissels (1995), Ibid. pp. 139-143.

89.

Il faut rappeler que certains adverbes de temps suivis de que (maintenant que, à présent que, etc.) sont parfois considérés comme des locutions conjonctives introduisant les propositions adverbiales de temps.