4-1-4 Les formes et les rôles du pronom relatif dans les grammaires

La majorité des grammairiens donne une description assez complète et approfondie de ce qu’ils appellent habituellement « pronom relatif », lequel constitue un système complexe par la variété de ses formes et de ses emplois. Toutefois, il importe d’avoir à l’esprit qu’elle ne concerne souvent que les formes et les emplois des pronoms relatifs qui figurent dans les relatives dites standard. En effet, à la suite des études effectuées par beaucoup de linguistes travaillant sur les relatives dites non-standard, on sait que les introducteurs de relatives standard ne constituent pas le même système que ceux des relatives non-standard. Les premiers ont des formes et des emplois plus variées que ces derniers. Comme le note Guiraud dans son ouvrage (1969, p.44), si le français standard connaît un système très complexe avec variation morphologique selon la fonction (qui—sujet, que—attribut et objet direct et quoi, où, dont—complément prépositionnel) et quelquefois le genre et le nombre (Sujet : sing.masc. lequel, fém. laquelle; plur.masc. lesquels, fém. lesquelles, etc.), le français non-standard (le français populaire selon l’expression de l’auteur) tend à réduire ce système à une forme unique que soustraite aux alternances morphologiques de la flexion casuelle. Selon cet auteur, le relatif du français standard possède la caractéristique d’être un signe synthétique qui cumule dans une même forme plusieurs morphèmes et plusieurs fonctions. Autrement dit, la synthèse du relatif consiste en une combinaison d’un élément de relation (la conjonction que) et d’un pronom (anaphorique). Par contre, le français populaire tend à faire éclater le signe en isolant l’élément de relation et le pronom, ce que l’auteur appelle « décumul du relatif ». Par exemple, il n’est pas rare de rencontrer en français populaire le décumul du pronom pour la relativisation de l’objet indirect comme le montre l’exemple l’homme que je lui ai dit n’a pas répondu immédiatement. Dans le même cas, le français standard utilisera à qui, signe dans lequel sont amalgamées trois fonctions : élément de relation + pronom anaphorique + flexion casuelle : l’homme à qui j’ai dit n’a pas répondu immédiatement.

Nous n’allons pas nous étendre ici sur les relatives du français populaire, auxquelles nous reviendrons en détail plus loin. Mais on peut déjà s’apercevoir que l’introducteur d’une proposition relative ne peut être analysé toujours de la même façon. Il peut servir, selon le contexte où il apparaît, tantôt de simple conjonction de subordination (cas du français populaire), tantôt de pronom relatif cumulant plusieurs fonctions (cas du français standard). De ce fait, il n’est pas sans importance de rappeler que la description grammaticale proposée par la plupart des grammaires du français moderne ne recouvre pas tous les cas de figure, mais concerne le plus souvent ce dernier cas, c’est-à-dire celui des propositions relatives dont les introducteurs s’analysent comme des pronoms relatifs. Nous allons à présent formuler quelques remarques à ce sujet.

Il n’est pas inutile de commencer par rappeler que selon le Dictionnaire de Linguistique et des Sciences du langage (J. Dubois (éd.) 1994), le terme de pronom relatif est employé en grammaire traditionnelle pour désigner les « mots qui servent à établir une relation entre un nom ou un pronom qu’ils représentent , et qui est dit l’antécédent du pronom relatif, et une proposition subordonnée dite relative qui explique ou détermine l’antécédent »90. Là encore on retrouve l’idée selon laquelle le pronom relatif fonctionne à la fois comme un élément de relation (ou conjonction de subordination si l’on préfère) reliant l’antécédent et la relative, et un pronom anaphorique représentant l’antécédent qui le précède. Quant à la désignation de proposition relative, on comprend qu’elle tienne fondamentalement à la présence du pronom relatif qui sert à l’introduire. De ce point de vue, les propositions dites traditionnellement « relatives sans antécédent » appellent une remarque.

En effet, comme leur nom l’indique, ces dernières n’ont pas d’antécédent à représenter. Ceci implique que leurs introducteurs n’ont pas les emplois d’un pronom relatif à proprement parler, bien qu’ils soient de formes identiques comme qui, où. Dans les exemples Allez voir qui vous voulez / J’irai tu vas, les morphèmes qui et marquent, bien entendu, la subordination de la proposition qu’ils introduisent, mais ils ne représentent rien et ne relient à rien leur proposition, leur antécédent n’existant pas. De ce fait, on pourrait même dire que terminologiquement parlant, leur dénomination habituelle, i.e « relatives sans antécédent », n’est pas adéquate.

Notons au passage que Le Goffic exclut ces subordonnées de la classe des relatives, pour les regrouper avec des subordonnées circonstancielles en quand ou comme dans une classe qu’il appelle « Subordonnées intégratives »91. Il justifie ce classement en arguant que, comme les introducteurs de subordonnées circonstancielles, les introducteurs de « relatives sans antécédent » tels que qui, où sont bien dotés d’une fonction dans leur subordonnée, mais ils ne sont pas anaphoriques, contrairement aux relatifs qui le sont généralement. Cet auteur considère que les emplois du qui introduisant « une relative sans antécédent » sont identiques à ceux du qui interrogatif dit « perconatif ». Par exemple, de même que qui interrogatif fonctionne comme objet dans cette subordonnée interrogative indirecte (dite « perconative » selon l’auteur) On ne sait pas qui le directeur a désigné comme son successeur, qui assume la même fonction argumentale dans Embrassez qui vous voulez. L’auteur conclut que dans ces deux cas, il s’agit d’un indéfini, pour lequel la question de l’antécédent ne se pose pas.

De plus, il faut remarquer que qui occupe une position argumentale différente selon qu’il apparaît dans une relative avec antécédent ou sans antécédent. En gros, qui est anaphorique et doté d’une fonction de sujet dans une relative avec antécédent comme L’homme qui est venu me voir m’a cause beaucoup d’ennui. Dans une relative sans antécédent au contraire, il est non anaphorique et doté d’une fonction argumentale qui peut être, selon le cas, tantôt sujet, tantôt autre que sujet. Dans Embrassez qui vous voulez, qui n’indique pas, par sa forme, la fonction de sujet, mais il est employé comme l’objet de vous voulez. Ainsi qui peut fonctionner indifféremment comme sujet (Qui vivra verra), comme attribut (Restez qui vous êtes), comme objet (Choisissez qui vous voulez), ou comme objet indirect (Je m’adresse à qui veut m’entendre).

En somme, on voit à travers l’exemple de qui que les introducteurs de propositions dites habituellement « relatives » par les grammairiens n’ont pas toujours les mêmes emplois selon l’existence ou non d’un antécédent. Il est donc important de prendre en considération une telle typologie pour rendre compte des emplois de formes simples telles que que, quoi, où, qui ne s’emploient pas nécessairement de la même manière dans les deux types de relatives. Notons toutefois que certains grammairiens distinguent les introducteurs employés comme « nominaux » (cas des relatives sans antécédent) de ceux qui sont employés comme « représentants » (cas des relatives avec antécédent).

Le tableau suivant présente les pronoms relatifs employés fréquemment comme représentants et tels que les grammairiens généralement les classent en utilisant les trois critères combinés :

ANTÉCÉDENT
FONCTION Animé Non-Animé Animé ou Non-Animé
Sujet qui lequel, laquelle, etc.
objet direct
attribut
que
Complément
prépositionnel
Prép. + qui
dont
prép. + quoi
dont
prép. + lequel, etc.
auquel
duquel
Simple Composée
FORME

A la différence des autres conjonctions de subordination qui ont pour seule fonction de marquer la subordination de la proposition qu’ils introduisent, ces pronoms relatifs se caractérisent habituellement par un triple rôle : dans la proposition relative, le pronom relatif marque la subordination de la proposition qu’il introduit, joue aussi, comme son nom l’indique, un rôle pronominal, ou un rôle anaphorique si l’on préfère, en représentant l’antécédent qui le précède, et enfin le rôle d’indiquer, par sa forme, une fonction argumentale. On reconnaît ces trois fonctions au pronom relatif qui par exemple dans la phrase la dame qui est passée dans son bureau n’est pas sa maman : qui marque la subordination, il représente son antécédent nominal la dame, et indique, par sa forme, la fonction de sujet de — est passée dans son bureau. De la même façon que qui indique la fonction sujet, les autres formes simples que, quoi, où, dont indiquent des fonctions argumentales différentes selon le terme relativisé dans la relative : que — attribut (Tu veux être meilleur que tu n’as été dans ta vie antérieure) et objet direct (Montre-moi la robe que tu as achetée; quoi — complément prépositionnel (Il décrit minutieusement ce à quoi il pense); — complément de lieu (La ville où j’habite est la capitale de la région Rhône-Alpes) ou de temps (Le moment où tu arrives , tu m’appelles); dont — complément d’un nom (Cette fille dont je connais les parents est devenue mon élève), objet indirect (Je suis allé voir le film dont tu m’as parlé) et complément d’agent du verbe passif

Outre une telle opposition de fonctions manifestées morphologiquement, les relatifs représentants simples expriment quelquefois l’opposition de la nature du référent de l’antécédent telle que animé (appelé également humain) ou non-animé et ceci dans le rapport avec la fonction qu’ils pourraient assumer dans la relative. Si l’opposition animé / non-animé n’apparaît pas pour les fonctions de sujet et d’objet (Regarde cet homme / ce tableau qui est en face de toi; Parles-moi de l’homme / du film que tu a vu), elle apparaît nettement pour les compléments prépositionnels à travers la différence entre qui et quoi, tous deux précédés d’une préposition : Parlez-moi de la femme à qui vous tenez autant / Parlez-moi du travail à quoi vous tenez autant. Précisons tout de même que dans ce dernier cas, la langue moderne semble préférer l’usage d’un relatif complexe (Parlez-moi du travail auquel vous tenez autant), en réservant l’emploi de quoi au cas où l’antécédent est pronominal (Parlez de ce à quoi vous tenez autant).

Notes
90.

Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage (1994), Larousse, p. 408

91.

P. Le Goffic (1993) Grammaire de la phrase française, Paris, Hachette, pp.42-51