4-1-5 Deux types de relatives : relatives restrictives et relatives explicatives

En français, on distingue traditionnellement deux types de relatives : relatives restrictives (dites aussi déterminatives) et relatives explicatives (descriptives). Les deux résultent en commun de l’opération de relativisation, mais ont des emplois sémantico-référentiels différents. Autrement dit, ces relatives apportent des nuances sémantiques différentes qui ont des incidences sur l’interprétation globale de l’énoncé dans lequel elles apparaissent.

Disons tout de suite que nous n’allons pas nous étendre sur ces deux types de relatives du français, au sujet desquels il existe un nombre important d’études92. Nous nous contentons ici de voir quelques critères de reconnaissance de ces relatives largement présentés dans les grammaires de cette langue.

En ce qui concerne leur définition, elle s’articule souvent en termes d’extension ou/et d’identification du référent. Ainsi la relative restrictive se définit comme une relative qui restreint l’extension référentielle de l’antécédent par l’addition d’une propriété nécessaire au sens. Autrement dit, la relative restrictive est nécessaire à l’identification référentielle de l’antécédent, et son effacement modifie complètement le sens de la phrase, en étendant son champ d’application à un ensemble référentiel plus important, voire à la totalité des êtres qui peuvent être désignés par l’antécédent : Les élèves qui étaient fatigués sont allés se coucher. (le couchage concerne ici seulement une partie des élèves, ceux qui sont fatigués.) / Les élèves sont allés se coucher (la totalité).

En revanche, la relative est explicative lorsqu’elle ne joue aucun rôle dans l’identification référentielle de l’antécédent. Cette relative laisse l’extension de l’antécédent inchangée : Les élèves, qui étaient fatigués, sont allés se coucher a la même valeur générique que celle de la phrase indépendante qui lui correspond : Les élèves sont allés se coucher. Donc elle peut être supprimée, sans nuire essentiellement à cette identification.

On voit ici que les relatives restrictive et explicative ont, par rapport à leur antécédent, des fonctionnements sémantico-référentiels distincts bien qu’elles participent formellement d’un même phénomène de relativisation.

En ce qui concerne les critères de reconnaissance de ces deux types de relatives, plusieurs sont proposés par les grammairiens et les linguistes, mais il faut souligner qu’aucun d’entre eux ne peut être considéré comme définitoire. Ainsi, dans les exemples que l’on vient d’évoquer (Les élèves qui étaient fatigués sont allés se coucher / Les élèves, qui étaient fatigués, sont allés se coucher.), les deux types de relatives se distinguent à première vue par la présence d’une marque formelle : l’explicative est précédée et suivie de virgules (de pauses intonatives à l’oral), et non la restrictive. Mais il s’agit d’un critère formel qui n’est pas toujours opératoire. En fait, les deux interprétations (restrictive ou explicative) sont souvent possibles pour une même relative en français, sans qu’il n’y ait aucune marque formelle. Comme le montrent les auteurs de la Grammaire d’aujourd’hui (1991, p.608), dans les syndicats qui défendent les travailleurs appellent à la grève, si rien ne permet de savoir si le locuteur pense à une restrictive ou à une explicative, l’interlocuteur peut hésiter, selon la conception qu’il a des syndicats, entre tous les syndicats (interprétation par l’explicative, tous les syndicats défendent les travailleurs), et certains syndicats (interprétation par la restrictive, seuls certains syndicats défendent les travailleurs).

D’ailleurs, outre les possibilités d’insérer des virgules ou des pauses intonatives devant et après une explicative et de la supprimer, d’autres propriétés se présentent pour la distinguer de la relative restrictive. Par exemple, si l’on peut remplacer qui par lequel dans les relatives explicatives (le cousin de Marie, lequel vient d’arriver des Etats unis...), un tel remplacement n’est pas possible dans les restrictives. De plus, les explicatives sont susceptibles d’exprimer différentes valeurs d’implications sémantiques circonstancielles : cause, concession, but, condition, conséquence, etc., qui peuvent être paraphrasées par les subordonnées circonstancielles correspondantes. La relative de l’énoncé Les élèves, qui étaient fatigués , sont allés se coucher peut être remplacée par une subordonnée causale comme Les élèves, parce qu’ils étaient fatigués, sont allés se coucher, ou bien même par une phrase coordonnée Les élèves étaient fatigués et sont allés se coucher.

Du point de vue contrastif et en liaison avec ce dernier critère, il convient de dire dès à présent que si l’on suivait l’avis de certains linguistes coréens qui, comme nous allons le voir plus loin, admettent, outre les relatives restrictives, l’existence de relatives explicatives en coréen, le critère tel que la possibilité de paraphraser celles-ci par des subordonnées circonstancielles ou des phrases coordonnées ne fonctionne pas dans cette langue. Ainsi l’énoncé Les élèves, qui étaient fatigués , sont allés se coucher a pour équivalent coréen un énoncé dans lequel la subordonnée s’interprète comme une relative restrictive plutôt que comme une relative explicative. :

La construction coréenne qui correspond à la relative explicative de l’énoncé les élèves, qui étaient fatigués , sont allés dormir ne peut en aucun cas donner une interprétation causale, ni même être isolée par la présence d’une virgule. Pour exprimer une relation causale par une subordonnée en coréen, il faut recourir simplement à une circonstancielle marquée par un suffixe causal comme [sO] :

Certains linguistes coréens identifient la relative précédant un nom propre comme une relative explicative, car ce type de nom-pivot étant suffisamment (auto-) déterminé, la relative ne joue pas de rôle essentiel dans l’identification référentielle de ce dernier. D’où l’interprétation explicative. C’est ce seul critère, reposant sur la nature sémantico-référentielle du nom-pivot, sur lequel ces linguistes s’appuient pour justifier la distinction entre relatives restrictives et relatives explicatives en coréen. La présence d’un nom propre en position de nom déterminé n’a pas d’autre incidence sur la forme de la relative (dans ce cas, la présence d’une virgule après la relative n’est pas obligatoire), ni même sur l’interprétation globale de l’énoncé où celle-ci apparaît. En revanche, dans le cas similaire il en va tout différemment en français. La relative qui suit un nom propre reçoit généralement une interprétation explicative, sauf quelques exceptions93, mais celle-ci est marquée formellement, à l’écrit, par la présence de virgules et peut également exprimer une valeur sémantique circonstancielle, en l’occurrence, la concession dans l’exemple cité : Pierre , qui habite à Paris, n’est jamais allé au musée de Louvre / Pierre, bien qu’il habite à Paris , n’est jamais allé au musée de Louvre.

L’observation qui vient d’être faite invite à s’interroger sur la nécessité de reconnaître l’existence des relatives explicatives dans une langue comme le coréen, où, sauf la nature sémantico-référentielle du nom-pivot, il n’existe pas en fait d’autres critères pouvant justifier une dichotomie relatives restrictives / relatives explicatives. Comme nous allons le voir plus loin, nous pensons qu’il n’est pas légitime de parler de relatives explicatives en coréen. Par contre, en français il est important de prendre en considération ces deux types de relatives pour rendre compte de leur fonctionnement différent dans l’interprétation globale de l’énoncé.

Néanmoins, nous n’allons prendre que le type de relatives restrictives à notre compte dans la comparaison des relatives des deux langues qui sera présenter dans le chapitre suivant.

En français, il y a un autre type de relatives que nous excluons aussi du champ de notre recherche, mais qui méritent tout de même d’être signalées : celles qui sont introduites par un relatif de liaison. Soit la phrase J’ai écrit à mon ami, qui m’a répondu aussitôt. Malgré la présence de qui couramment considéré comme un pronom relatif-sujet, nous avons affaire ici à deux phrases qu’on peut considérer comme coordonnées. En effet, il n’y a pas d’enchâssement et de subordination au sens strict du terme. La proposition qui m’a répondu aussitôt ne vient pas déterminer le syntagme mon ami, comme dans la phrase les amis qui répondent vite sont rares, où il est clair que la relative détermine, de manière restrictive, l’ensemble des amis, parmi lesquels on distingue les répondeurs rapides et les répondeurs lents. Quand on a une véritable proposition déterminative, celle-ci est incluse dans la phrase matrice et dans le cas présent qui répondent vite fait partie du groupe du sujet de la phrase matrice. Tel n’est pas le cas quand on a affaire à un relatif de liaison94. Celui-ci fonctionne beaucoup moins comme un subordonnant que comme un anaphorique. D’ailleurs dans cette position de liaison, qui est commutable avec lequel, où la présence de l’article le marque bien la nature quasi nominale de ce relatif variable. On peut d’ailleurs remplacer qui / lequel par la suite coordonnante et il : J’ai écrit à mon ami, qui m’a répondu aussitôt J’ai écrit à mon ami et il m’a répondu aussitôt. Tout ce passe comme si qui ou lequel rassemblait ici une double fonction de coordonnant (et) et d’anaphorique (il). Simplement l’accrochage de la seconde proposition se fait au dernier terme de la première, ici un complément datif. Ce type d’accrochage ne peut se faire que dans une langue de type SVC, qui place le complément après le verbe. Il est totalement exclu dans une langue de type SCV comme le coréen, qui ignore complètement ce type particulier de coordination à l’aide d’un subordonnant.

Notes
92.

Entre autres, G. Kleiber (1987) Relatives restrictives et relatives appositives : une opposition « introuvable », Tübingen, Niemeyer. Langages n°88 (1987) : Les types de relatives, C. Fuchs & J. Milner (éd.) (1979) A propos des relatives : étude empirique des faits français, anglais et allemands et tentative d’interprétation.

93.

Il n’est pas impossible d’interpréter comme une restrictive une relative précédant un nom propre, lorsque l’on applique à ce type de noms-pivot un prélèvement partitif : Le Paris que j’ai connu n’est plus (opposition avec le Paris que nous voyons) (exemple emprunté à M. Riégel et al. (1994, 484)).

94.

Voir J. P Maurel (1992) qui désigne ce type de relatives comme « relatives continuatives » et aussi J-J Brunner (1981).