4-3-5 La distinction entre relatives restrictives et relatives explicatives est-elle possible en coréen ?

Si dans les grammaires du coréen, on ne parle pratiquement jamais, sinon très peu, du problème de l’opposition relative restrictive / relative explicative, par contre, chez les linguistes, ce problème suscite d’abondantes discussions. Là encore, les avis se divisent entre ceux qui admettent cette opposition et ceux qui ne l’admettent pas.

En fait, nombreuses sont les tentatives de distinction entre relative restrictive et relative explicative, appelée plus souvent « relative non-restrictive » : (J-K O (1971), H-P I (1975), I-S YaN (1972), Ph-Y I (1981), H-S I (1990)). Un peu comme ce qui se passe dans la description des relatives du français, ces deux types sont définis sémantiquement soit en termes d’identification du référent du nom-pivot, soit en termes d’extension, ou encore en termes de présupposition. Ainsi, la relative restrictive est nécessaire à l’identification du référent du nom-pivot et restreint l’extension de ce nom, c’est-à-dire qu’elle restreint la classe des êtres ou des objets qui peuvent être désignés par ce nom à une sous-classe. En revanche, la relative explicative ne joue aucun rôle dans l’identification de son référent et apporte plutôt une information supplémentaire sur un référent tenu pour acquis dans un contexte précédent ou dans une situation donnée, et laisse donc inchangée l’extension du nom-pivot. Pour caractériser cette distinction, les linguistes coréens s’appuient souvent sur la nature du nom-pivot (s’il s’agit ou non d’un nom propre ; ou bien s’il est précédé ou non d’un déterminant démonstratif) et sur ses traits sémantico-référentiels comme ± définitude, ± spécificité, ± générique.

Néanmoins, nous pouvons affirmer avec I-S I et H-P Im (1983) que la distinction entre relative restrictive et relative explicative est très subtile et délicate en coréen. Il n’est en fait guère valable d’admettre l’existence d’une relative non-restrictive dans cette langue si l’on se réfère aux langues dans lesquelles la différence entre les relatives restrictives et explicatives est plus nettement perçue, et ceci à plusieurs niveaux. Il est de fait « gênant » que cette distinction soit principalement basée en coréen sur une interprétation. Celle-ci ne repose pas, excepté le cas où le nom-pivot est un nom propre ou bien précédé d’un déterminant démonstratif, sur des marques formelles ou des manipulations qui puissent aider à identifier chacun des deux types de relatives. A cet égard, on peut bien sûr répliquer que même la distinction des relatives du français n’est pas toujours opératoire, ni définitoires les critères formels auxquels on recourt, comme l’insertion d’une virgule devant l’explicative, la possibilité de remplacer qui par lequel dans l’explicative (la femme de son ami, laquelle m’a invité...) et non dans la restrictive, et la possibilité de paraphraser l’explicative par une coordonnée ou par des circonstancielles de différentes valeurs (d’implication, de cause, de concession, de but, etc). Mais il faut tout de même reconnaître que, comme l’on l’a vu plus haut (cf. 4-1-5), ces différents critères formels peuvent s’appliquer dans bien des cas du français.

Ceci étant, on voit clairement le fonctionnement différent des relatives des deux langues, notamment lorsque le nom-pivot est précédé d’un quantificateur. Comme le font les linguistes I-S I et H-P Im (1983, p.277) avec l’anglais, comparons les deux relatives suivantes du français avec les phrases coréennes équivalentes.

La différence sémantique entre les deux phrases du français est évidente. En (21a) parmi la totalité de mes étudiants, deux étudiants qui étudient l’histoire de l’art constitue une sous-classe par opposition à l’autre sous-classe complémentaire (des étudiants qui n’étudient pas l’histoire de l’art); la relative restrictive spécifie le référent du nom-pivot. Par contre, en (21b) je n’ai que deux étudiants et ces étudiants étudient l’histoire de l’art : la relative explicative apporte une information supplémentaire à celle du nombre des étudiants que j’ai. En coréen par contre, même si on instaure une forte pause ou une virgule après la relative dans (22b) (ce qui n’est pas l’usage), (22b) ne peut en aucun cas être interprété comme (21b). Il conviendrait en coréen d’exprimer la même idée par des phrases coordonnées :

Ce qui précède montre qu’en coréen il n’y a pas lieu de distinguer les deux types de relatives. On ne peut parler que de relative restrictive, là où le français oppose plus nettement les deux types, restrictives et explicatives.

D’ailleurs, nous avons déjà vu plus haut (cf. 4-1-5) les relatives des deux langues ayant pour nom-pivot un nom propre. Si en français la relative qui suit un nom propre est généralement une explicative qui est susceptible d’exprimer des nuances sémantiques différents selon le contexte et peut être remplacée par une subordonnée circonstancielle, l’équivalent coréen ne connaît pas une telle possibilité d’interprétation et de transformation. De ce fait, lorsque le nom-pivot est un nom propre, nous allons traiter la relative du coréen qui le détermine comme « restrictive » dans l’analyse qui va se dérouler dans le chapitre 5, même si l’équivalent français est une relative explicative dans ce cas précis.

Du point de vue contrastif, une telle différence pose évidemment des problèmes d’interprétation et de traduction lors du passage du texte français en coréen. Comment le traducteur s’y prend-t-il pour savoir s’il a affaire à une relative restrictive ou à une relative explicative108 ? On observe que s’il s’agit d’une relative explicative, la traduction se fait selon les valeurs sémantiques, souvent circonstancielles, qu’elle exprime dans un contexte donné. Autrement dit, sans être systématique, le traducteur a tendance à traduire la relative explicative selon les valeurs sémantiques de celle-ci avec des phrases soit coordonnées, soit circonstancielles.

Notes
108.

Dans le processus de traduction, cette étape apparaît en effet plutôt délicate et difficile car, comme nous avons pu le constater plus haut, l’interprétation peut être différente selon la conception du récepteur (conception des syndicats par exemple dans les syndicats qui défendent les travailleurs appellent à la grève). Il ne s agit pas, pour le traducteur, d’un simple problème de langue mais plutôt d’une question de connaissance du monde.