5-4-4 Les variétés des relatives non-standard en français

Dans ce qui précède, étant donné que nous avons étudié principalement les trois stratégies du traitement de la position Nrel, à savoir les stratégies du pronom relatif, du pronom résomptif, et de l’ellipse, nous nous sommes limitée à parler de trois types de relatives français, nommées respectivement « relatives (à pronom relatif) standard », « relatives phrasoïdes ou résomptives » et « relatives défectives ou réduites ». Mais il en existe d’autres, attestées en français non-standard. A ces trois types peuvent donc s’ajouter deux autres types de relatives, dites « relatives pléonastiques » et « relatives plébéiennes » selon les termes de Damourette et Pichon.

Les relatives dites « pléonastiques » contiennent un pronom relatif au début et un élément anaphorique dans la position relativisée à l’intérieur, avec la même variété, semble-t-il, que pour les relatives phrasoïdes. La fonction syntaxique du terme nominal relativisé par rapport au verbe de la relative est indiquée deux fois, d’un côté par le pronom relatif et par l’élément anaphorique de l’autre. C’est la raison pour laquelle on les appelle « relatives pléonastiques ». En voici quelques exemples :

  1. Voilà ma stratégie dont j’en ai parlé avant (Godard 1989)

  2. un endroit la décence m’interdit de le préciser davantage (Godard 1989)

  3. c’est un train il y a jamais personne dedans (Gadet 1995)

  4. Nous avons remarqué cet individu dont son aspect nous a paru fugitif (Damourette et Pichon).

Gadet (1989) analyse ces formes de relatives comme étant des produits aléatoires de la contamination du non-standard par le standard (« contamination réciproque » pour Damourette et Pichon §1326). Leur occurrence s’observe souvent dans des conditions sociales qui favorisent l’hypercorrection.

Le dernier type de relatives appelées « plébéiennes » se caractérise par la présence de que après un pronom relatif dans la position initiale de la relative, c’est-à-dire que cette position est « doublement remplie » (Godard 1989) d’abord par un pronom relatif comme ou qui / quoi prépositionnel et ensuite par que, simple conjonction de subordination. La position relativisée est vide.

  1. C’est le jour qu’on se saoule (Damourette et Pichon)

  2. ça vient justement le jour que j’ai du travail (Gadet 1995)

  3. l’homme à qui que j’en ai parlé (Gadet 1989)

  4. C’est la seule avec qui que je parle à cette heure-ci (Lefébvre et Fournier)

L’occurrence de ce type de relatives semble rare en français de France (en effet, il y a peu d’exemples de ce type dans les corpus recueillis par des linguistes)141. Toutefois, ces relatives sont un cas de figure intéressant, dans la mesure où elles présentent une certaine analogie avec d’autres structures phrastiques en français. En effet, on peut remarquer, avec Gadet (1995), que ces relatives “ plébéiennes ” ne sont pas les seules subordonnées doublement marquées par des marques distinctes. Il existe d’autres types de subordonnées qui sont introduites par un composé de que et d’un interrogatif, comme l’illustrent les énoncés suivants (empruntés à Gadet 1995) :

  1. on avait signé un contrat comme quoi que j’avais pas droit de piquer ses clients

  2. je sais pas comment qu’il s’appelle

  3. je sais c’est quoi qu’il aime.

  4. j’ai une toux qu’ils savent pas d’où qu’elle vient.

  5. Il ne savait même pas où qu’elle était la manette.

Nous pouvons constater également la même disposition des deux marques distinctes dans les subordonnées dites concessives comme qui que vous soyez, quoi que vous fassiez.

On vient de voir que dans l’usage différentes relatives coexistent en français, qu’elles soient « normées » ou non142. A travers les faits de variations que manifestent ces subordonnées, on peut toutefois remarquer une certaine symétrie entre les procédés dont usent ces différents types de relatives, pour le traitement des deux positions, position initiale destinée à la marque de subordination, et position relativisée destinée au terme nominal relativisé. Pour présenter d’une façon unifiée ces procédés utilisés dans les relatives standard et non-standard du français, on peut reprendre le modèle qu’a formalisé Berrendonner (1992), à l’aide des deux opérations suivantes143 : (1) copie et amalgame de l’anaphore en position initiale (il s’agit de savoir si cette position est occupée par un pronom relatif (+) ou par une conjonction (—)) (2) effacement de l’anaphore en position relativisée (il s’agit de savoir si cette position est vide (+) ou non (—)).

Copie et amalgame de l’anaphore Effacement de l’anaphore
Relative standard + +
Relative pléonastique +
Relative défective +
Relative phrasoïde
Relative plébéienne + /–

Un même locuteur français peut user de formes relevant de différents types de relatives. Dans ses choix entrent en jeu, bien entendu, des facteurs internes au système telles que les contraintes portant sur les fonctions syntaxiques relativisables mais surtout divers facteurs pragmatico-énonciatives et sociolinguistiques. Mais nous ne chercherons pas à développer ces aspects extralinguistiques qui pourraient permettre, sans doute, de mieux rendre compte de la concurrence des différentes formes de relatives dans l’usage144 .

Il est regrettable que nous n’ayons pas de données comparables en coréen parlé qui pourraient présenter un certain nombre de variations. Malgré l’absence de telles données, nous pouvons tout de même supposer que la divergence entre “ relatives standard ” et “ relatives non-standard ”n’est pas si grande dans cette langue qu’en français. En effet, nous avons pu voir qu’en français, les différents types de relatives, produites dans des situations d’énonciation différentes avec des contraintes qu’on ne connaît pas encore, manifestaient de la variété grosso modo à deux niveaux de constructions : d’un côté, au niveau de la nature de la marque de subordination (pronom relatif ou conjonction), et de l’autre, au niveau du traitement de la position relativisée (pronom relatif, pronom résomptif ou ellipse). Mais il nous paraît peu probable que les relatives du coréen, quelle que soit la situation d’énonciation, présentent une telle variété par rapport à ces deux niveaux de constructions. Comme nous l’avons vu, les suffixes déterminatifs marquant les relatives coréennes sont les seuls possibles ; étroitement liée à la contrainte portant sur la position syntaxique qu’elle occupe dans la relative, la position relativisée est traitée majoritairement avec la stratégie de l’ellipse et rarement avec la stratégie du pronom résomptif.

Notes
141.

Il s’avère, d’après Godard (1989), que l’occurrence des relatives plébéiennes est fréquente en français québécois où il y a à côté d’une relative avec clivage, cf. l’endroit où c’est que P, une relative où la position initiale contient une forme complexe où ce que [usk]. Par ailleurs, des relatives comparables, caractérisées par le double marquage d’un pronom relatif et d’une conjonction à l’initial de relative, sont attestées également, selon Rebuschi (1996), dans un certain nombre de langues comme le moyen anglais, le néerlandais ou le portugais brésilien.

142.

Notons au passage que cette variation n’est pas une caractéristique typique du français. Plusieurs langues, notamment des langues romanes comme l’italien, l’espagnol, le portugais, etc. connaissent également différents types de relatives dans leur système.

143.

Berrendonner a construit ce modèle pour rendre compte formellement des quatre premiers types de relatives (relatives standard, pléonastiques, défectives, phrasoïde). Ce modèle ne prend pas en considération le type de relatives plébéiennes où le double marquage de la position initiale de la relative par deux marques distinctes ne correspond pas tout à fait au premier critère « copie et amalgame de l’anaphore ». Mais nous avons tout de même ajouté à ce modèle ce dernier type de relatives.

144.

Pour des détails sur les aspects sociolinguistiques des relatives, nous renvoyons le lecteur en particulier aux différents ouvrages de Gadet (1989, 1992, 1995), et à celui de Deulofeu (1981).