5-4-5 Remarques d’ordre typologique et contrastif sur les stratégies du traitement de la position Nrel utilisées dans les relatives du français et du coréen

Du point de vue typologique, les linguistes travaillant sur les relatives de nombreuses langues du monde ont remarqué une tendance générale, à savoir que les stratégies du pronom relatif et du pronom résomptif sont attestées majoritairement dans les relatives postnominales, c’est-à-dire les relatives postposées au nom-pivot qu’elles déterminent. Elles sont très rares dans les relatives prénominales, en particulier la stratégie du pronom relatif, tandis que la stratégie de l’ellipse est utilisée de manière dominante dans les relatives prénominales.

Face à cette tendance générale, nous avons pu constater que les relatives du français et du coréen observées ci-dessus étaient quelque peu exceptionnelles. En effet, ces deux langues, comme beaucoup d’autres, ne mettent pas en oeuvre qu’une seule stratégie de relativisation, mais deux voire plusieurs, pour le traitement de la position N rel dans les relatives. Comme nous l’avons vu, contrairement à ce qui est dicté par la norme ou décrit par la grammaire traditionnelle privilégiant la stratégie du pronom relatif, les relatives du français, qui sont postnominales, utilisent non seulement la stratégie des pronoms, relatif (→relatives à pronom relatif) ou résomptif (→relatives résomptives), mais aussi la stratégie de l’ellipse (→relatives réduites). De même, la stratégie de l’ellipse est utilisée majoritairement pour le traitement de la position N rel dans les relatives du coréen, qui sont prénominales, mais la mise en oeuvre de la stratégie du pronom résomptif, spécialement le pronom réfléchi [caki] et éventuellement le pronom résomptif [kI], n’en est pas complètement exclue, même si ce pronom est utilisé, occasionnellement, dans la position N rel qui est la position génitivale d’un constituant nominal de la relative. Comme Keenan (1985, p.149) le note, le coréen fait partie de ces rares langues, comme le mandarin, qui, ayant des relatives prénominales, procèdent prioritairement à la stratégie de l’ellipse, et occasionnellement à la stratégie du pronom résomptif.

Ce qui est particulièrement intéressant à noter du point de vue typologique, c’est qu’en coréen comme dans beaucoup de langues, l’utilisation de stratégies de relativisation différentes pour le traitement de la position N rel n’est pas sans rapport avec les différentes positions nominales syntaxiques, lesquelles ne se prêtent pas de la même façon à la relativisation d’une langue à l’autre. En effet et à ce propos, il est bon de rappeler la hiérarchie d’accessibilité à la relativisation des positions nominales que Keenan et Comrie (1977) établissent, dans l’ordre ascendant, à la suite de l’observation des constructions de relatives dans une cinquantaine de langues145 :

Bien que les positions nominales accessibles à la relativisation soient différentes d’une langue à l’autre, il existe tout de même une tendance générale qui veut que les positions nominales situées vers le haut de cette hiérarchie d’accessibilité soient plus accessibles à la relativisation que celles situées vers le bas. En liaison avec les stratégies du traitement de la position N rel, les linguistes constatent également que plus la position N rel se situe vers le bas de la hiérarchie d’accessibilité, plus les langues tendent à utiliser des stratégies où apparaissent des pronoms, relatif et/ou résomptif. Ceci signifie inversement que plus la position N rel se situe vers le haut de la hiérarchie d’accessibilité, plus les langues tendent à n’utiliser aucun matériau morphologique, donc à utiliser la stratégie de l’ellipse. Cette tendance générale se vérifie parfaitement dans le cas des relatives du coréen où, comme nous l’avons vu, l’application de la stratégie de l’ellipse est impérative, lorsque la position N rel est celle de sujet ou d’objet, positions nominales situées vers le haut de la hiérarchie d’accessibilité, tandis que le recours à la stratégie du pronom résomptif est possible dans le cas où la position N rel est une position génitivale.

En revanche, la situation des relatives du français est beaucoup plus complexe, du fait que cette langue connaît des constructions variées dans lesquelles des stratégies de relativisation tout aussi variées sont utilisées. De plus, ces variations ne dépendent pas seulement de facteurs internes au système telles que les positions syntaxiques relativisables, mais surtout de divers facteurs pragmatico-énonciatives et sociolinguistiques. Sans nous étendre sur ces divers facteurs, nous nous contenterons d’affirmer ici qu’en conformité avec la hiérarchie d’accessibilité à la relativisation présentée ci-dessus, la proportion des relatives en qui (sujet) et en que (objet) est, surtout à l’oral, beaucoup plus élevée que celle des relatives en dont, auquel, sur lesquels ...que les locuteurs du français évitent d’employer. F. Gadet (1995, 115) explique ceci par le fait que “ beaucoup de structures standard d’accessibilité basse présentent, par leur degré de synthéticité, des difficultés d’utilisation, qui expliquent à la fois leur rareté d’emploi, le fort pourcentage de leurs emplois figés (la façon dont P, le X dont je parle), les stratégies d’évitement auxquelles elles donnent lieu, la fréquence de leurs apparitions fautives, même chez des adultes cultivés, et même à l’écrit ”. En d’autres termes, on peut dire que lorsque la relativisation concerne les positions nominales qui se situent vers le bas de la hiérarchie d’accessibilité à la relativisation, la divergence entre relatives standard et relatives non-standard est plus grande, puisque c’est là où les stratégies de relativisation variées interviennent, en raison de la complexité de l’emploi des pronoms relatifs de formes obliques, pour donner naissance à des constructions de relatives variées. Par contre, lorsque la relativisation porte sur la position de sujet ou d’objet, les constructions en qui (sujet) et en que (objet) sont généralement congruentes, à quelques exceptions près, entre relatives standard et relatives non-standard. Bien entendu, dans celles-ci, l’emploi de que , fonctionnant comme conjonction, ne se limite pas seulement au cas où la position N rel est celle d’objet, mais s’étend aux cas où la position N rel est celle d’objet indirect, de complément de nom ou de complément circonstanciel de temps, de lieu, d’accompagnement, etc.

Comme nous allons le voir dans la section suivante concernant l’analyse des morphèmes introducteurs des relatives du français, certains linguistes contemporains proposent une analyse de qui et que tout à fait différente de l’analyse traditionnelle en considérant simplement qui comme un pronom relatif sujet (la personne qui Ø m’a parlé de ce film) et que comme un pronom relatif objet (la personne que j’ai vu Ø hier soir). Selon leur analyse, qui et que ne sont pas des pronoms relatifs, mais de simples marques de subordination. Généralement, opposé à qui pronom relatif employé avec une préposition (la personne à qui j’ai parlé), qui, apparaissant lorsque la position sujet contiguë est vide, est analysé comme une sorte d’allomorphe de la conjonction que 146. Si on admet cette analyse, il convient de constater qu’à l’intérieur de la relative de ces exemples, la position N rel est traitée sans aucun matériau morphologique lorsque la relativisation concerne la position de sujet ou celle d’objet, alors que le pronom relatif apparaît lorsque la relativisation porte sur la position autre que sujet et objet. Ceci va dans le sens de la tendance observée au niveau des langues du monde qui consiste à ne pas, ou moins, utiliser de matériau morphologique lorsque la relativisation concerne les positions nominales qui se situent vers le haut de la hiérarchie d’accessibilité à la relativisation.

Notes
145.

E-L. Keenan et B. Comrie (1977) “ Noun Phrase Accessibility and Universal Grammar ” in Linguistic Inquiry n°8-1, pp.63-99

146.

G. Rebuschi (1996) “ L’accord relatif en swahili ” dans Faits de langues 8, pp. 43-54.