6-1-1 Le constituant nominal-[ka/i] et sa relativisation

[ka] et sa variante phonologique [i] sont considérées comme des particules casuelles nominatives qui indiquent le sujet et l’attribut du sujet des verbes du type [ita] (être) ou [tweta] (devenir). Le constituant nominal en fonction de sujet qu’elles marquent est généralement relativisable dans les différents types de constructions prédicatives. Voyons la relativisation de la fonction sujet dans trois constructions prédicatives constituées respectivement par le verbe copule [i-ta] (être), [ota] (venir) et [palkanhata] (publier) :

  • (Ex1)

  • (a1) c O salam-i /1/ yONOsOnsENnim-(i) /2/ i-yOss-ta /3/

  • cette personne-là -p.nom /1/ professeur d’anglais-(p.nom) /2/ être-acc-Stdécl /3/

  • →cette personne-là était le professeur d’anglais.

  • (a2) Ø /1/ yONOsOnsENnim-i-/2/ yOss-tOn /3/ cO salam /4/

  • Ø /1/ professeur d’anglais-p.nom /2/ être-acc-remém-SD /3/ cette personne-là /4/

  • → cette personne qui était le professeur d’anglais

  • (b1) phachulpu-ka /1/ kImyoil-mata /2/ o-n-ta /3/

  • femme de ménage-p.nom. /1/ vendredi-chaque /2/ venir-inacc-Stdécl /3/

  • → Une femme de ménage vient le vendredi.

  • (b2) Ø /1/ kImyoil-mata /2/ o-nIn /3/ phachulpu /4/ [Trad.Im. 17]

  • Ø /1/ vendredi-chaque /2/ venir-SD:inacc /3/ femme de ménage /4/

  • →la femme de ménage qui vient le vendredi [Im.20]

  • (c1) O n I - yumy ON han - s EN mulhakca-ka /1/ casin-Ii hwesaNlok-Il /2/ mak /3/ pakkanh-Ess-ta /4/

  • certain - célèbre - biologiste-p.nom /1/ soi-de mémoires-p.accus. /2/ juste /3/ publier-acc-Stdécl /4/

  • → Un célèbre biologiste vient de publier ses mémoires.

  • (c2) Ø /1/ casin-Ii hwesaNlok-Il /2/ mak /3/ pakkanha-n /4/ O n I -yumy ON han–s EN mulhakca /5/ [Trad.Im21]

  • Ø /1/ soi-de mémoires-p.accus. /2/ juste /3/ publier-acc-Stdécl /4/ certain - célébre – biologiste /5/

  • → Un célèbre biologiste qui vient de publier ses mémoires. [Im.22]

Il convient de rappeler que dans la structure relative, le terme nominal relativisé ne laisse aucune trace susceptible d’indiquer sa fonction syntactico-sémantique. L’analyse de celle-ci peut s’effectuer en s’interrogeant sur le rôle qu’aurait dans la structure relativisée le nom-pivot (« subséquent ») qui est coréférentiel du terme nominal relativisé effacé. Pour ce faire, il faut prendre en compte les informations véhiculées par certains éléments tels qu’ils sont présentés par Givón et que nous reprenons ici157:

  1. la structure casuelle sémantico-lexicale du verbe subordonné ; (c’est-à-dire la valence déterminée par le sens sématico-lexical du verbe subordonné)

  2. l’identification lexicale de l’argument manquant, interprété à partir du ’nom-tête’;

  3. les rôles casuels des autres arguments dans la proposition relative qui ne devraient pas être effacés et dont les cas devraient être marqués normalement .

C’est ainsi que dans l’ex. (1), le nom-pivot subséquent aidant à l’identification lexicale du terme nominal relativisé manquant dans la relative, on peut restituer celui-ci et inférer sa fonction sujet en s’appuyant sur les informations données par la valence du verbe subordonné et les autres arguments restant dans chacune des trois constructions prédicatives, attributive, intransitive et transitive : en (a1) [cO salam-i] (cette personne là-p.nom.), en (b1) [phachulpu-ka] (femme de ménage-p.nom.) et en (c1) [OnI yumyONhan sENmulhakca-ka] (un célèbre biologiste-p.nom.).

Cependant le sujet n’est pas relativisable dans une construction attributive schématisable ainsi [N1-ka + N2-(ka) + copule (ita)]158, lorsqu’il a pour attribut (N2) un nom propre, ou bien un pronom, ou encore un constituant nominal défini par un démonstratif, comme le montrent les exemples suivants (2-b2), (2-c2) et (2-d2) :

  • (Ex2)

  • (a1) cO salam-i /1/ pyOnhosa-i-ta /2/

  • cette personne là-p.nom /1/ avocat-être-Stdécl /2/

  • →Cette personne-là est avocat.

  • (a2) Ø /1/ py O nhosa-i-n /2/ cO salam /3/

  • Ø /1/ avocat-être-SD /2/ cette personne-là /3/

  • →Cette personne-là qui est avocat

  • (b1) pyOnhosa-nIn159 /1/ cO salam-i-ta /2/

  • avocat-p.top /1/ cette personne là-être-Stdécl /2/

  • →L’avocat est cette personne-là.

  • (b2) * Ø /1/ c O salam-i-n /2/ pyOnhosa /3/

  • Ø /1/ cette personne là-être-SD /2/ avocat /3/

  • →l’avocat, qui est cette personne-là160.

  • (c1) Iisa-nIn /1/ misel-i /2/ anita /3/

  • médecin-p.top /1/ Michel-p.nom /2/ ne pas être-Stdécl /3/

  • →Le médecin n’est pas Michel.

  • (c2) * Ø /1/ misel-i /2/ ani-n /3/ kI Iisa /4/

  • Ø /1/ Michel-p.nom /2/ ne pas être-SD /3/ ce médecin /4/

  • → le médecin, qui n’est pas Michel

  • (d1) haksEN-In /1/ na /2/ (i)-ta /3/

  • étudiant-p.top /1/ moi /2/ (être)-Stdécl /3/

  • →l’étudiant, (c’) est moi.

  • (d2) * Ø /1/ na /2/ i-n /3/ haksEN /4/

  • Ø /1/ moi /2/ être-SD /3/ étudiant /4/

  • *→ l’étudiant qui est moi.

Pour rendre compte de l’impossibilité de la relativisation du sujet dans les trois constructions attributives de l’ex. (2), il nous semble important de remarquer avant tout la différence du rapport sémantique qui existe entre la séquence [N2-ita] de (a1) et celles de (b1), (c1) et (d1) relativement à leur sujet : si la première peut s’interpréter comme caractérisant son sujet au même titre que les expressions prédicatives [ttokttokhata] (être intelligent), [myONlaNhata] (être joyeux), les autres fonctionnent comme des expressions référentielles identifiantes161.

Si l’on explique ceci en termes de ’force référentielle’ à la suite de G. Kleiber (1981), on constate qu’en (a1) le nominal en fonction de sujet [cO salam] (cette personne) a une force référentielle supérieure que le nominal en fonction d’attribut [pyOnhosa] (avocat). En revanche, dans les autres constructions attributives, leur sujet respectif ([pyOnhosa] (avocat), [Iisa] (médecin) et [haksEN] (étudiant) a chacun une force référentielle moindre que les éléments en fonction d’attribut (un nominal défini par un démonstratif [cO salam] (cette personne), un nom propre [misel] (Michel), et un pronom [na] (moi)). Les exemples cités ci-dessus nous montrent par ailleurs que le sujet d’une construction attributive est relativisable lorsqu’il a une force référentielle supérieure que l’attribut, ce qui est le cas de (a1) ; par contre, il n’est pas relativisable si le sujet a une force référentielle moindre que l’attribut, ce qui est le cas des autres exemples (b1), (c1) et (d1).

De même, dans les constructions attributives du français qui correspondent à ces exemples du coréen, le sujet semble connaître la même contrainte de relativisation s’il a une force référentielle moindre que l’attribut. Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’en français, le test de l’extraction du sujet au moyen de la construction clivée c’est...qui permet de savoir si le sujet a une force référentielle supérieure à l’attribut dans une construction attributive. G. Kleiber (1981, 116) décrit que le constituant nominal doté de la plus grande force référentielle (ou identificatoire) fonctionne toujours comme ’sujet profond’ et est isolable par la construction clivée c’est...qui, quelle que soit sa place par rapport à la copule. Ainsi le même nom propre, par exemple Jean, peut être sujet ou attribut selon que la copule apparaît avec une expression de force référentielle moindre (comme le pilote de l’avion présidentiel) ou supérieure comme les pronoms je-moi, tu-toi. Nous reprenons les exemples suivants cités par M. Riégel (1985, 58)

  • (Ex3)

  • (a) Jean est le pilote de l’avion présidentiel.⇒ C’est Jean qui est le pilote de l’avion présidentiel.

  • (b) Le pilote de l’avion présidentiel est Jean. ⇒ *C’est le pilote de l’avion présidentiel qui est Jean.

Le nom propre Jean est permutable avec l’expression définie complexe le pilote de l’avion présidentiel, mais ces deux constituants nominaux n’ont pas le même degré de force référentielle : seul le nom propre Jean est isolable par c’est...qui, ce qui montre que le nom propre a une plus grande force référentielle que l’expression définie complexe. Comme l’explique M. Riégel (1985, 58), Jean identifie directement son référent et l’expression définie complexe le pilote de l’avion présidentiel, qui admet une gamme de référent possible, est conçue ici comme une propriété attribuée au référent identifié par le nom propre.

En revanche, si le même nom propre se combine avec un pronom ou un indice pronominal comme moi ou je, c’est ce dernier qui est isolable par c’est...qui, ayant une plus grande force référentielle que l’autre.

  • (Ex4)

  • (a) Je suis Jean. ⇒ C’est moi qui suis Jean

  • (b) Jean est moi. ⇒ *C’est Jean qui est moi.

Ceci étant, le français ne connaît pas de contrainte de relativisation portant sur cette fonction d’attribut, qui est marquée par le relatif que dans la relative. Voyons par exemple l’énoncé suivant tiré de notre corpus.

  • (Ex5)

  • Derrière le premier objectif qu’était pour Laura Bernard , il y en avait encore d’autres. [Im.270]

La présence de que en tête de relative (était pour Laura Bernard) permet de reconnaître précisément que le syntagme nominal relativisé (le premier objectif) assume la fonction d’attribut dans la relative et non celle de sujet qui serait marquée par qui.

Par contre, la même fonction syntaxique ne peut être relativisée en coréen. A partir de la phrase indépendante suivante du coréen qui correspond à celle du français considérée comme sous-jacente à la construction relative de l’ex. (5), il est impossible de relativiser l’attribut [chOspOnccE mokphyo] (premier objectif) de la copule [ita] (être) en laissant vide sa position dans la structure relative (Par commodité, nous avons exclu le complément prépositionnel pour Laura pour ne retenir que la construction attributive constituée du sujet et de l’attribut).

  • (Ex6)

  • (a1) pelInalI-ka /1/ chOspOnccE mokphyo /2/-i-Oss-ta /3/

  • Bernard-p.nom/1/ premier objectif /2/ -être-acc-Stdécl /3/

  • → Bernard était le premier objectif.

  • (a2) *pelInalI-ka /1/ Ø-i-n /2/ chOspOnccE mokphyo /3/

  • Bernard-p.nom/1/ Ø-être-SD /2/ premier objectif /3/

  • → le premier objectif qu’était Bernard

En effet, l’attribut est étroitement lié à la copule [ita] (être) (il en va de même pour des verbes attributifs comme [tweta] (devenir)) et forme avec ce dernier un groupe solidaire qui se comporte comme un prédicat exprimant une caractéristique du sujet. C’est pourquoi il est impossible de séparer l’attribut du verbe attributif et d’effacer le premier en laissant seul ce verbe, qui, seul, n’a pas d’autonomie de fonctionnement.

Il n’est pas inintéressant de voir comment se passe le passage de la relative du français, dans laquelle la relativisation porte sur l’attribut, en coréen. En raison de la contrainte de relativisation qui pèse sur cette fonction en coréen, on constate une forte tendance à traduire la construction relative française où l’attribut est relativisé par celle du coréen où la relativisation porte sur le sujet.

  • (Ex7)

  • (a) derrière le premier objectif qu’était pour Laura Bernard [Im.270]

  • (b) lola-Ii /1/ chOspOnccE mokphyo-i-n /2/ pelInalI-Ii-twi-e-nIn /3/ [Trad.Im.230]

  • Laura-p.génit /1/ premier objectif-être-SD /2/ Bernard-p.gént-derrière-à-p.top./3/

  • →derrière Bernard qui était le premier objectif de Laura.

Pour ne prendre en compte que les rôles des deux constituants nominaux le premier objectif et Bernard dans la construction française et sa traduction coréenne, on remarque ici un changement non seulement au niveau de la fonction relativisée (l’attribut relativisé en français→ le sujet en coréen), mais aussi au niveau du terme nominal relativisé, ce qui a pour effet également la modification du terme nominal déterminé par la relative : si la construction française a pour terme relativisé le syntagme nominal complexe le premier objectif qui occupe la position d’attribut dans la subordonnée, le terme relativisé en coréen est le nom propre Bernard occupant la position de sujet dans la subordonnée. Dans la traduction coréenne, avoir le nom propre (Bernard) en position de sujet relativisé paraît inévitable du fait que le nom propre a une force référentielle plus grande que celle du syntagme nominal complexe, comme nous l’avons vu plus haut.

Mais dans la traduction coréenne la plus courante, si le traducteur change la fonction relativisée il conserve le même terme nominal relativisé que l’auteur français — ou, plus exactement, il garde le même terme nominal pivot déterminé par la relative (ce qui revient au même), en l’occurrence [nothwehan kwOnlyOkka] (b1) = vieux professionnel du pouvoir (a1) dans l’exemple suivant.

  • (Ex8)

  • (a) Une force nouvelle apparaissait, seule capable de détrôner le vieux professionnel du pouvoir qu’était jusqu’alors l’homme politique . [Im.137]

  • (b) taNsi-Ii /1/ cONchika-i-n /2/ nothwehan /3/ kw O nly O kka-lIl /4/ [Trad. Im. 146]

  • époque-p.génit. /1/ homme politique-être-SD /2/ vieux /3/ professoinnel de pouvoir-p.accus /4/

  • →le vieux professionnel de pouvoir qui était l’homme politique de l’époque.

Le même terme nominal relativisé est conservé dans la traduction coréenne comme dans la construction française ([nothwehan kwOnlyOkka] (b) = vieux professionnel du pouvoir (a)), alors que la fonction syntaxique assumée par ce nominal relativisé à l’intérieur de la relative est différente dans la construction respective de chaque langue. A la différence du cas précédent, la permutation de ce constituant nominal avec l’autre [cONchika] (l’homme politique) n’est pas obligatoire à la suite de l’échange des fonctions d’attribut et de sujet. Il apparaît que ces deux constituants nominaux présentant le même degré de force référentielle, sont interchangeables sans contrainte, entre les positions de sujet et d’attribut ou inversement.

On observe tout de même des cas de traduction coréenne effectuée de cette façon, mais qui ne sont pas acceptables d’un point de vue logico-sémantique.

  • (Ex9)

  • (a) De plus en plus, il ressemblait à la vieille dame qu ’avait été sa mère[Im.49]

  • (b) cOmcOm tO /1/ kI-nIn /2/ k I - I i /3/ O m O ni-y- O ss-t O- n /4/ k I -nopuin-Il /5/ talm-akass-tOn-kOsi-ta /6/ [Trad. Im. 51]

  • de plus en plus /1/ lui-p.top /2/ lui-p.génit /3/ mère-être-acc-remémoratif-SD /4/ cette-vieille dame-p.accus. /5/ VC aller ressembler-acc-ST.décl /6/

  • → De plus en plus, il ressemblait à la vieille dame qui avait été sa mère.

Comme dans le cas de l’exemple précédent, on constate ici également que la relative du français (qu’était sa mère) et son équivalent coréen signifiant (qui était sa mère) ont pour terme nominal relativisé le même syntagme nominal, à savoir vieille dame = [nopuin], mais qu’il n’a pas la même fonction à l’intérieur de la construction respective : c’est l’attribut en français et le sujet en coréen. Mais si l’on s’arrête sur la solution choisie qui signifie Il ressemblait à la vieille dame qui avait été sa mère, on s’aperçoit que cette solution laisse supposer que cette femme, qui avait été sa mère, ne l’était plus au moment considéré. Ceci est évidemment absurde. Cette solution aurait été acceptable si le texte avait comparé cet homme avec une ancienne épouse : ‘il ressemblait à la vieille dame qui avait été sa femme’ (et qui avait cessé de l’être). Ce qui est admissible pour une épouse ne l’est pas pour une mère, une mère ne pouvant jamais cesser d’être mère.

Notes
157.

T. Givón (1984, 658)

« a) the lexical-semantic case-frame of the subordinate verb;

b) the lexical identity of the missing argument-read off the head-noun; and

c) the case-roles of the other arguments in the REL-clause, which are presumably undeleted and case-marked in the normal way. »

158.

Notons que la particule nominative [ka/i] n’apparaît pas après l’attribut, lorsque le verbe copule est de forme affirmative [ita], tandis qu’elle figure après l’attribut lorsque le verbe copule est de forme négative [anita]. Quant à un autre verbe attributif comme [tweta] (devenir), la particule nominative fait son apparition après l’attribut, que ce verbe soit de forme affirmative ou négative.

159.

Dans des constructions attributives comme celles que nous prenons ici comme exemples, l’attribut étant un constituant nominal défini (ou un nom propre, ou encore un pronom), il est naturel que son sujet soit aussi un nominal défini plutôt qu’un indéfini. De ce fait, pour marquer le caractère défini du sujet, une particule topique dite aussi thématique [nIn/In] est préférable à une particule nominative [ka/i] qui, au-delà de son rôle de marquage casuel, indique d’un point de vue discursif le caractère indéfini du sujet. C’est pourquoi nous avons remplacé la particule nominative [ka/i] par la particule thématique [nIn/In] pour marquer le sujet défini de chacun des exemples suivants. Dans ce contexte, les particules [ka/i] et [nIn/In] jouent des rôles comparables à ceux de l’article indéfini et de l’article défini en français.

160.

Il est possible d’avoir en français une relative descriptive dans ce cas comme dans le cas de l’exemple suivant (2-c2).

161.

Pour des informations supplémentaires sur les deux types sémantiques de constructions attributives, voir M. Riégel (1985) L’adjectif attribut, Paris, PUF.