6-1-2 Le constituant nominal-[lIl/Il] et sa relativisation

Le constituant nominal postposé par la particule accusative [lIl] ou sa variante phonologique [Il], dite aussi particule d’objet, remplit généralement la fonction de complément d’objet (comparable à celle de complément d’objet direct en français) dans les constructions prédicatives organisées autour des verbes transitifs de type [mOkta] (manger), [cohahata] (aimer), [mannata] (rencontrer), [pota] (regarder), etc. Il est relativisable sans contrainte particulière. Comme dans le cas de la relativisation du constituant nominal marqué par la particule nominative, le constituant nominal suivi de la particule accusative s’efface avec celle-ci lors de la relativisation, ce qui donne une structure relative dans laquelle la position d’objet est laissée vide.

Bien qu’il n’y ait pas de marque équivalent à que indiquant directement la fonction d’objet relativisée, la reconnaissance de la fonction d’objet pour le terme nominal relativisé [salam] (personne) dans la structure relative de (10-a2) et pour le nominal relativisé [cikIscikIshan puca-t I l] (les riches ennuyeux) dans celle de (10-b2) s’effectue, relativement facilement, à l’aide des informations données par la valence du verbe transitif, respectivement [cimokha(ta)] (interpeller) et [manna(ta)] (rencontrer), et d’autres constituants instanciés à l’intérieur de la relative, notamment le nominal occupant la position de sujet dans ces deux cas.

Or il est un cas problématique où le recours à ce type d’informations, notamment celles données par la valence du verbe subordonné, n’est pas suffisant pour l’identification de cette fonction comme relativisée, même si c’est une fonction syntaxique fortement régie par la valence verbale. En effet, la reconnaissance de la fonction relativisée devient ambiguë lorsque le verbe subordonné est un verbe qui, comme un bon nombre de verbes dits de mouvement tels que [ka-ta] (aller), [naka-ta] (sortir), [ollaka-ta] (monter), [thOna-ta] (quitter, partir), etc., peut fonctionner tantôt comme un verbe intransitif, tantôt comme un verbe transitif. Lorsque ce verbe a pour complément un terme nominal désignant le lieu dans une structure phrastique indépendante, celui-ci peut être marqué par une particule accusative [lIl/Il] dans une construction verbale « transitive », ou bien par une des particules « circonstancielles » [e] (à, dans) [esO] (à, dans, de), [(I)lo] (vers, à travers, par) dans une construction « intransitive ».

Notons au passage que le français connaît également un certain nombre de verbes de mouvement comme monter, descendre, etc. traditionnellement identifiés comme verbes intransitifs, mais qui peuvent avoir un emploi transitif ayant comme objet un complément de lieu : L’enfant monte dans sa chambre / L’enfant monte les marches d’un escalier — Il descend d’une montagne / Il descend la montagne. Mais il s’avère que le nombre de ces verbes de mouvement est moindre en français qu’en coréen162. Par exemple, si des verbes français comme aller, flâner ne peuvent avoir de complément de lieu comme objet, les correspondants coréens [kata] et [tolatanita] peuvent se combiner avec un complément de lieu marqué aussi bien par une particule accusative [lIl / Il] que par une particule locative, comme le montrent les exemples suivants que nous empruntons à HoN163 (1989), sauf (11-c) :

Sur le plan sémantique, le changement des particules entraîne généralement un changement de sens : dans l’ex. (11c) la particule [lIl] postposée au complément de lieu indique le lieu où le départ s’est produit, alors que la particule [esO] indique la source du départ et [lo], la destination du départ. Mais dans le cas de (11a), la différence sémantique entre [kOli-lIl] / [kOli-esO] / [kOli-lo] est difficilement perceptible, relativement au cas précédent : avec le verbe [tolatani-ta] (flâner) ce complément de lieu [kOli] (rue) désigne l’endroit comme une scène où le déplacement se produit, quelle que soit la particule postposée parmi [lIl], [esO] et [lo].

Sur le plan syntaxique, la question se pose de savoir si le complément de lieu affecté de la particule accusative [lIl / Il] joue un véritable rôle syntaxique d’objet lorsqu’il apparaît dans les constructions contenant des verbes de mouvement. Si oui, en dehors de la présence de cette marque morphologique, quels critères syntaxiques permettent de le distinguer du complément de lieu marqué par une particule locative ? D’après le linguiste coréen C-S HoN (1989) qui a réalisé de nombreuses études sur ces constructions164, avec certains verbes de mouvement, le complément de lieu marqué par la particule accusative [lIl / Il] présente des comportements syntaxiques particuliers qui permettent de le caractériser comme objet, distinctement du complément de lieu marqué par une particule locative qui présente des comportements syntaxiques différents. Mais selon le même linguiste, la même particule ne fonctionne pas dans d’autres constructions comme une particule d’objet, mais plutôt comme une particule discursive (appelée « particule modale » par l’auteur) indiquant une mise en relief, particule que ce linguiste analyse comme ayant remplacée une particule locative postposée au départ au complément de lieu. C’est une des grandes problématiques rencontrées dans la description du système verbal du coréen que nous n’aborderons pas de façon détaillée ici. Il faudrait en fait étudier chaque cas de constructions verbales pour rendre compte de la nature exacte du complément de lieu marqué par la particule accusative. Nous admettrons ici simplement que le complément de lieu marqué par la particule accusative assume la fonction d’objet dans une construction transitive et que celui marqué par une particule locative assume la fonction de complément de lieu dans une construction intransitive.

Ceci étant dit, lorsque le complément de lieu de telles constructions fait l’objet d’une relativisation, la reconnaissance de sa fonction exacte devient délicate. Reprenons l’ex. (11b) en (12-a) :

Quelle que soit la particule postposée au complément de lieu de cet énoncé, la relativisation de ce constituant nominal donnerait une structure identique à celle-ci (12-b) :

A la question de l’identification de la fonction du terme nominal relativisé qui s’identifie au nom-pivot [kOli] (rue), on ne saurait dire exactement laquelle des deux fonctions syntaxiques, objet ou complément de lieu, aurait dans cette subordonnée ce complément de lieu, car aucune marque segmentale ne la spécifie. La valence du verbe subordonné [tolatani-ta] (flâner) ne permet pas non plus de la repérer, même s’il s’agit là d’une fonction généralement définissable par la valence de ce verbe. La seule chose évidente est que ce complément de lieu [kOli] (rue) est déterminé par la subordonnée déterminative précédente, où il apparaît, sous le contrôle valenciel du verbe employé, comme ayant un rapport argumental quelconque.

Dans le passage de cette subordonnée en français, si l’on prend le verbe intransitif français flâner comme équivalent au verbe coréen [tolatani-ta], il n’y aurait aucun problème de traduction quant au choix du pronom relatif qui ne peut être qu’, car ce verbe n’a qu’un emploi intransitif pouvant avoir un complément de lieu.

Par contre, tout se passerait autrement avec l’ex. (11c) repris en (13a), lorsque le complément de lieu de celui-ci fait l’objet d’une relativisation, ce qui donne l’ex. (13b)

Dans la phrase indépendante, le rôle sémantique qu’établit le complément de lieu [kI tosi] (cette ville) avec le verbe [ttOna-ta] (partir) change sensiblement selon la particule postposée : [kI tosi-l I l] (cette ville-p.accus.) désigne le lieu de départ, [kI tosi-es O] (cette ville-de), le lieu d’origine du mouvement, et [kI tosi-lo] (cette ville-pour), le lieu de destination du mouvement. Mais dans la structure déterminative où ce complément de lieu [kI tosi] (cette ville) est relativisé (→13b), aucune marque de relation ne permet d’attribuer à celui-ci les rôles sémantiques aussi variés qu’il peut avoir dans la phrase indépendante (→13a). Si l’on extrait cette structure déterminative de tout contexte possible, il nous semble que l’interprétation la plus plausible qu’on puisse donner au terme relativisé [kI tosi] parmi les trois types de rôles sémantiques présentés plus haut, est le rôle de complément d’objet désignant le lieu de départ dans le procès exprimé par le verbe [ttOna-ta] (partir). En pareil cas, il nous paraît difficile de reconnaître à ce complément de lieu relativisé le rôle de complément désignant le lieu de destination du mouvement ou bien le rôle de complément indiquant le lieu d’origine du mouvement. Ceci tient au fait que dans la structure relative, ce complément de lieu relativisé [kI tosi] (cette ville), identifié lexicalement grâce au nom-pivot, est dépourvu de marque de relation précisant l’idée d’origine ou celle de destination, idée qui est exprimée par la particule [esO] (de) ou [lo] (vers) dans la phrase indépendante correspondante.

Toutefois, ces deux dernières interprétations ne sembleraient pas totalement exclues pour le nominal relativisé de (13b), ceci à condition qu’il y ait un contexte textuel ou situationnel particulier qui induit de telles interprétations.

Dans le passage de cette structure subordonnée du coréen en français, peuvent apparaître deux formes de structures relatives distinctes avec deux verbes différents selon l’interprétation. Dans le cas où le complément de lieu est interprété comme un lieu de départ, il pourrait avoir comme prédicat un verbe de mouvement tel que quitter par rapport auquel il assumerait un rôle d’objet (X — quitter — CL ). Comme nous l’avons présenté dans la traduction française de l’ex. (13), sa relativisation donnerait en français une structure relative en que : cette ville que ch O lsu a quittée. En revanche, dans le cas où le complément de lieu est interprété comme un lieu d’origine ou de destination celui-ci pourrait avoir comme prédicat un verbe de mouvement tel que partir, par rapport auquel il assumerait le rôle de complément de lieu (X — partir — de ou pour CL). La relativisation de ce dernier donnerait une structure relative en d’où’ ou pour laquelle : cette ville d’où / pour laquelle ch O lsu est parti.

Notes
162.

C.S HoN (1989) Etude sur les constructions verbales du coréen contemporain, Séoul, Ed. Tap

163.

C.S HoN (1989), ibidem, p. 22.

164.

Parmi lesquelles « Complexes verbaux et verbes de mouvement en coréen » (1982); « Analyse d’un complément en [lIl] dans la construction des verbes de mouvement en coréen » (1983); Syntaxe des verbes de mouvement en coréen contemporain (1985a); « Classe de verbes de mouvement en coréen et en français » (1985b). (Cf. voir les références détaillées dans notre bibliographie)