6-1-3 Le constituant nominal-[esO] et sa relativisation

A la différence des particules [ka/i] et [lIl/Il] qui servent principalement à indiquer la fonction grammaticale de sujet (nominatif) et d’objet (accusatif), [esO] assume la charge d’exprimer, en plus, la relation sémantique que le constituant nominal auquel elle est postposée établit avec un verbe. Cette particule s’attache principalement à des constituants nominaux ayant la signification, concrète ou abstraite, de lieu et qui assument généralement la fonction de complément de lieu. Elle peut indiquer tantôt le lieu de provenance lorsque le constituant nominal se combine avec un verbe de mouvement, tantôt la position dans un lieu lorsque le constituant nominal se combine avec un verbe de ’non-mouvement’. [esO] a, de manière générale, pour équivalent français la préposition de dans le premier cas et les prépositions dans ou à dans le second cas.

Il apparaît que le constituant nominal marqué par [esO] fait l’objet de la relativisation. Tout comme la particule nominative [ka/i] et celle accusative [lIl/Il], [esO] s’efface avec le constituant nominal relativisé.

On peut considérer que le constituant nominal relativisé [yOnkusil] (laboratoire) en (14-a2) et [pyOk] (mur) en (14-b2) assument la fonction de complément de lieu dans leur structure relative respective, avec une différence toutefois au niveau de leur rôle sémantique précis ; pour le premier, il s’agit du complément de lieu à l’intérieur duquel se déroule le procès et pour le second, du complément de lieu de provenance. Une telle interprétation sémantique est possible grâce aux informations données par les éléments qui restent dans la structure relative respective, et plus précisément grâce au sémantisme de ces éléments et à leur rapport syntaxique et sémantique.

Cependant il n’est pas toujours évident d’inférer le rôle syntaxique et sémantique exact du terme nominal relativisé à partir de la structure relative. Considérons d’abord la séquence suivante :

Extraite d’un texte, et considérée pour elle-même, la séquence (15-a1) est le lieu d’une ambiguïté, dans la mesure où on ne peut décider du rôle sémantique exact du terme nominal relativisé [kI tosi] (cette ville), même si on peut lui attribuer syntaxiquement la fonction de complément de lieu. Celui-ci est interprétable sémantiquement de deux façons différentes : soit comme un lieu de destination, soit comme un lieu de provenance. S’il se trouvait dans une phrase indépendante, ce complément de lieu serait marqué soit par une particule [e] dans le premier cas, soit par une particule [esO] dans le second. L’ambiguïté de la séquence (15a) peut disparaître si l’on prend en compte un contexte vaste, c’est-à-dire un enchaînement de plusieurs phrases. Mais nous pensons tout de même que si l’on considère isolément la séquence (15-a1), c’est par défaut qu’on tend à interpréter le complément de lieu comme un lieu de destination.

Dans les séquences suivantes, l’ambiguïté se trouve non seulement au niveau sémantique, mais aussi au niveau syntaxique. Prenons deux exemples cités par H-S U (1987) :

Le linguiste auquel nous avons emprunté ces exemples restitue, sans donner aucun commentaire, le terme nominal suivi d’une particule casuelle [esO] dans les phrases indépendantes correspondantes pour le terme nominal relativisé [uli hakkyo] (notre école) de la structure relative (16-a1) et celui [hwesa] (société) de (16-b1). Pour attribuer à ces deux constituants nominaux les rôles syntaxique et sémantique, deux analyses sont possibles selon le statut qu’on donne à la particule [esO]. Si l’on admet, selon une analyse largement répandue, que cette particule marque une fonction circonstancielle, on peut considérer ces deux termes nominaux relativisés comme assumant le rôle syntaxique et sémantique de complément de lieu dans les structures relativisées. Dans ce cas, il faut constater que celles-ci sont, en plus de leur complément de lieu, dépourvues de leur sujet qui devient sujet indéterminé. A cette interprétation correspond la première traduction française de (16-a1) et de (16-b1) : (16-a1) notre école ( on ) organise une fête sportive chaque année / (16-b1) la société ( on ) a indemnisé de la perte.

Certains linguistes coréens comme K-S Nam et Y-K Ko (1989, 235) remarquent que la particule [esO] peut fonctionner comme une marque de sujet, lorsque le terme nominal auquel elle est postposée est un nom non-animé désignant une collectivité. Si l’on admet cette idée, les deux termes nominaux relativisés [uli hakkyo] (notre école) en (16-a1) et [hwesa] (société) en (16-b1) ne sont pas à analyser comme compléments locatifs, mais comme des noms collectifs en fonction de sujet-agent qui contrôle le procès, et il n’y a pas lieu de poser un sujet indéterminé (équivalent à on) dans chaque structure relative. De plus, il n’est pas impossible de restituer ces termes nominaux relativisés avec une particule nominative [ka], comme le montrent les phrases indépendantes correspondantes (16-a2) et (16-b2) : respectivement [uli hakkyo-ka] (notre école-p.nom) et [hwesa-ka] (société-p.nom). Ces termes nominaux s’analysent comme sujet-agent comme dans le cas précédent. Ceci donne la seconde traduction française des structures relativisées (16-a1) et (16-b1) : (16-a1) notre école qui organise une fête sportive.../ (16-b1) la société qui a indemnisé de la perte.

On peut signaler le cas où le constituant nominal suivi de la particule [esO] forme un groupe nominal complexe avec un autre constituant nominal marqué par une particule [e] (à) ou [kkaci] (jusqu’à) dans une même construction prédicative. Comme les prépositions françaises de et à ou jusqu’à qui leur correspondent, [esO] (de) indique le point d’origine et [e] (à) ou [kkaci] (jusqu’à), la direction vers un point d’aboutissement. Cette opposition se réalise dans des domaines concrets ou abstraits : parcours spatial, temporels ou quantitatifs ou encore qualificatifs. Le constituant nominal suivi de [esO] ne peut être relativisé séparément de l’autre, constitutif de ce groupe nominal complexe, et inversement.

En voici deux exemples qui contiennent chacun un couple de deux constituants nominaux qui établissent un rapport de parcours spatial pour l’un, en l’occurrence [hakkyo-esO ulicip-kkaci] (de l’école jusqu’à notre maison), et un rapport de parcours quantitatif pour l’autre [samchOn-myON-esO sachOn-myON-e] (de trois milles personnes à quatre milles personnes).

Ces exemples montrent bien que lorsqu’un constituant nominal est relié à un autre constituant nominal par une relation d’interdépendance, on ne peut relativiser ni l’un ni l’autre séparément. Cette contrainte s’observe en français comme en coréen. En revanche, si la relativisation porte sur le couple de deux constituants nominaux interdépendants, la relativisation ne semble possible que pour le couple de constituants nominaux établissant un rapport sémantique tel que spatial (→17-a3) (ou temporel), mais non quantitatif (→ 17-b3) (ou qualificatif).