6-1-4 Le constituant nominal-[(I)lo] et sa relativisation

[(I)lo] est une des particules casuelles qui changent sensiblement de sens selon le rapport syntaxique et sémantique des constituants qu’elle met en relation. En se combinant avec le sémantisme des constituants reliés, cette particule peut indiquer des relations sémantiques diverses telles qu’instrumentale (avec, par), causale (par, à cause de), de ’titre’ ou de qualité (en tant que, comme, pour), locative directionnelle et temporelle (vers, pour) lorsqu’elle s’attache à des termes nominaux ayant des significations spatio-temporelles. Ainsi, le constituant nominal marqué par cette particule [(I)lo] peut remplir, fonctionnellement et sémantiquement, ces divers types de fonctions obliques dans les différentes constructions prédicatives.

En ce qui concerne la relativisation, elle s’applique à certaines fonctions obliques mais pas à toutes. Cependant, disons tout de suite qu’à ce propos une analyse détaillée n’est pas sans poser des problèmes.

Voyons d’abord quelques exemples où la relativisation apparaît impossible.

Si l’on examine d’abord les rôles syntaxiques des constituants nominaux marqués par la particule [(I)lo] dans les ex. (18-a1), (18-b1) et (18-c1), on constate qu’ils assument tous le rôle de complément, qui est soit fortement régi par la valence du verbe, ce qui est le cas pour [chOncE-lo] (génie-comme) dans l’expression phrastique (18-b2) [A-ka B-lIl C- lo yOkita] « A prendre B pour C » (ou « A considérer B comme C ») et [chicI-lo] (fromage-pour) dans l’expression phrastique (18-a1) [A-ka B- ( I )lo yumyONhata] «A est célèbre pour B», soit faiblement régi par la valence du verbe comme pour [yuksaN sOnsu-lo] (athlète-comme) dans l’expression phrastique (18-c1) [A-ka B-e C- lo chamkahata] «A participer à B comme C». Ces compléments ont tous des implications sémantiques du type « qualité » ou « titre ». Mais on doit remarquer que la relativisation de ces compléments est exclue, quelle que soit le degré de solidarité qui les unit avec leur verbe respectif. Les expressions prédicatives (18-a1), (18-b1) et (18-c1) ne sauraient être transformées par la relativisation de ces compléments en structures relativisées (18-a2), (18-b2) et (18-c2), qui ne sont pas acceptables.

Le même constat peut se fait en ce qui concerne les équivalents français des ex. (18-b2) et (18-c2).

Si l’on observe de près l’expression phrastique (18-b2) [A-ka B-lIl C- lo yOkita] « A prendre B pour C », on a une construction contenant deux compléments B et C, dans lequel C entretient avec le complément d’objet B le même rapport qu’un attribut du sujet B avec le sujet A dans la phrase du type [Aka B-ita] «  A est B », bien que l’objet et son attribut ne soient pas construits de la même façon que le sujet et son attribut. On constate ici que, tout comme l’attribut du sujet que nous avons déjà vu plus haut, l’attribut de l’objet n’est pas relativisable.

En revanche, il semble que la relativisation ne soit pas exclue pour le complément instrumental ou le complément causal. On peut considérer que dans les expressions prédicatives des exemples suivants, les constituants nominaux marqués par [(I)lo] assument, l’un, le rôle de « complément instrumental ou de moyen », en l’occurrence [khInpus-Ilo] (gros pinceau-avec) dans l’expression phrastique (19-a1) [A-ka B- lo C-lIl kIlita] « A dessine C avec B », et l’autre, [pyON-Ilo] (maladie-de), le rôle de « complément causal »165 dans l’expression phrastique (19-b1) [A-ka B- lo cukta] « A meurt de B ». A partir de cette analyse, si l’on admet que de ces expressions prédicatives sont issues les structures relativisées (19-a2) et (19-b2), on peut dire que celles-ci étant acceptables, il y a là une relativisation du complément instrumental d’un côté et du complément causal de l’autre.

Si les exemples précédents montrent que ces types de complément, instrumental (ou de moyen) et causal, sont accessibles à la relativisation, il existe toutefois des cas où la relativisation n’est pas applicable, nous semble-t-il, pour les compléments du même type qui apparaissent dans d’autres expressions prédicatives. Ainsi dans les exemples suivants, les expressions prédicatives (20-a1) et (20-b1) contiennent chacune un constituant nominal marqué par [(I)lo] dont le rôle peut être analysé, pour l’un, comme « complément causal » (→ [hoNsu-lo] (inondation-par) dans (20-a1) [A-ka B- lo munOcita] « A est effondré par B », et pour l’autre, comme « complément instrumental ou de moyen » (→[hIlk-Ilo] dans (20-b1) [A-ka B- lo C-lIl ssahta] « A bâtit C avec B ». Cependant, ces expressions prédicatives ne sauraient donner lieu aux structures relativisées (20-a2) et (20-b2) qui sont d’ailleurs d’acceptabilité très douteuse.

Contrairement à nous, H-S U (1987), auquel nous avons emprunté les structures relativisées (20-a2) et (20-b2), les considère comme tout à fait acceptables. Pour vérifier leur acceptabilité, nous les avons soumises à un certain nombre de natifs coréens, qui les ont jugées « fautives » ou « inacceptables ». Il faut ajouter cependant que si un tel jugement négatif est majoritaire en ce qui concerne ces exemples, les exemples précédents (19-a2) et (19-b2) sont davantage acceptés par les interrogés166. Ceci dit, on ne saurait expliquer pourquoi les uns sont davantage acceptés que les autres par les natifs, alors que ce sont les mêmes types de compléments qui sont en jeu pour la relativisation dans les deux cas.

Lié au fonctionnement du constituant nominal marqué par [(I)lo], un autre cas intéressant à évoquer est celui dans lequel la structure relative ne peut être considérée comme sémantiquement équivalente à l’expression phrastique supposée comme phrase sous-jacente. En effet, la particule [(I)lo] peut s’attacher à des constituants nominaux ayant des significations spatio-temporelles et qui se comportent fonctionnellement comme un complément de lieu ou un complément de temps dans une expression phrastique. Suivant l’analyse que nous avons jusqu’ici pratiquée, il semblerait à première vue qu’on puisse traiter la structure relative (21-a) où le complément de temps est impliqué dans la relativisation, comme résultant de la transformation de l’expression phrastique (21-b). Mais, si l’on observe le rapport sémantique précis qu’établit le complément en question avec le reste de la phrase, la structure relative (21-a) ne correspond pas à l’expression phrastique (21-b), mais plutôt à (21-c) où le complément de temps est marqué par la particule [e].

Comme le montrent les traductions françaises des phrases (21-b) et (21-c), celles-ci ont des implications sémantiques différentes : la première phrase contenant le complément de temps marqué par [(I)lo] implique « le dimanche est le jour où l’élection aura lieu : le dimanche est le jour de l’élection » et la seconde comportant le complément de temps marqué par [e] implique « le dimanche est le jour où on a décidé un jour pour le vote ». De ces deux phrases c’est la seconde qui serait considérée comme sous-jacente à la structure relative (21-a). Comme nous l’avons vu précédemment avec d’autres exemples, le cas de l’ex. (21) montre que lorsqu’un complément circonstanciel est relativisé, en l’occurrence le complément de temps relativisé [ilyoil] (dimanche), celui-ci ne peut exprimer, en dehors du sens « temporel », des nuances variées, faute d’une particule casuelle qui marquerait à la fois les rôles syntaxique et sémantique du terme nominal relativisé dans la structure relative (alors que dans une expression phrastique, il peut être marqué par différentes particules « circonstancielles » qui ajoutent des nuances variées au sens exprimé par ce complément), ce qui a pour effet de sous-spécifier le type de complément de temps. Mais dans le cas où le terme nominal relativisé est reconnu comme un type de complément circonstanciel, en l’absence de tels éléments de relation, la relativisation connaît des restrictions qui tiennent non seulement à la fonction syntaxique du terme nominal relativisé dans la structure relative, mais aussi au rôle sémantique de celui-ci et en même temps à la sous-classe de ce rôle sémantique.

Notes
165.

Il est possible que ce complément soit interprété comme un « complément d’agent » dans ce cas présent tout comme dans le cas de l’exemple (20-a1) suivant.

166.

Pour éviter une ambiguïté éventuelle due à la troncation de ces séquences déterminatives, nous les avons présentées chacune dans le contexte entier d’une phrase. Les phrases coréennes données sont comparables à ce qu’on a en français avec

(19-a2) → Le revolver que (avec lequel) le criminel a assassiné le témoin a été présenté au cour comme une preuve décisive.

(19-b2) → La maladie que (de laquelle) son père est mort était le cancer du poumon.

(20-a2) → L’inondation que (par laquelle) le barrage a été effondré a eu lieu en 1986.

(20-b2) → La terre que (avec laquelle) les soldats construisent des remparts devient boueuse par la pluie.

Les interrogés ont remarqué à propos des séquences déterminatives (19-a2) et (20-b2) où il y aurait relativisation du complément instrumental qu’il serait préférable de dire des énoncés équivalents aux énoncés français « le revolver que le criminel a utilisé pour assassiner le témoin... » et « la terre que les soldats utilisent pour construire des remparts... ». Bien entendu, avec ce changement, le rôle syntaxique du terme nominal relativisé n’est plus le complément instrumental, mais l’objet « instrumental » du verbe utiliser dans les deux cas. Ceci confirme, du moins, une tendance générale qui consiste à éviter la structure relative d’accessibilité moindre en faveur de celle d’accessibilité plus grande, en l’occurrence à éviter la relativisation du « complément prépositionnel » en faveur de celle de l’« objet direct », si l’on se réfère à l’échelle d’accessibilité à la relativisation présentée par Keenan et Comrie. (Voir supra. ).