6-3 Etat problématique de l’étude contrastive des cas de relativisation des compléments circonstanciels (« circonstants ») en français et en coréen.

Pour commencer, il est utile de rappeler que les circonstants établissent avec les verbes différents types de rapports sémantiques qui sont généralement indiqués, dans les structures phrastiques, par des éléments de relation tels que les particules ou les locutions « circonstancielles » en coréen et les prépositions ou les locutions prépositionnelles en français. Ces éléments de relation ne marquent pas seulement le rapport syntaxique du circonstant par rapport au verbe en tant que complément de celui-ci, mais surtout le type de rôle sémantique que le référent du circonstant assure dans le procès exprimé par le verbe. Leur présence est donc importante pour la reconnaissance des différents types de rôles qu’assument les circonstants auxquels ils s’attachent. Comme on s’en est aperçue dans le chapitre précédent, en français standard, lorsqu’un circonstant est relativisé, il est généralement repris en tête de relative sous forme d’un pronom relatif simple (, dont) : le jour elle est partie ; ou bien d’un pronom relatif simple ou complexe précédé d’une préposition (avec qui, pour qui, devant laquelle, etc.) ou d’une locution prépositionnelle (au cours de, au milieu de, etc.) : l’amie pour qui il a parcouru tout ce pays); le grand repas au cours duquel il y aura des spectacles. Dans les relatives du français non-standard généralement introduites par la conjonction invariable que, lorsqu’un circonstant prépositionnel est relativisé, même si le terme nominal n’est pas repris sous forme d’un pronom relatif variable, la « préposition orpheline » ou un adverbe (avec, sans, pour, dessus, dessous, etc.) reste, généralement, dans sa position habituelle, ce qui permet de reconnaître aisément le type du circonstant relativisé : le candidat pour qui il a voté le candidat qu’il a voté pour.

En revanche, rien de tel en coréen : les marques de subordination [nIn/In/Il] de la structure relative ne sont pas variables en fonction du terme nominal relativisé et, de plus, le circonstant relativisé est absent avec sa particule casuelle « circonstancielle » dans la structure relative réalisée.

Si l’on compare les cas de relativisation des circonstants du français avec les cas correspondants du coréen, on remarquera que le contraste est important entre ces deux langues pour ce qui est des types de circonstants qui sont relativisables et ceux qui ne le sont pas. Mais la question qui se pose avant tout en coréen est de savoir ce qui permet de repérer le rôle précis du circonstant relativisé en question dans la subordonnée, puisque cette langue n’a pas de marque de relation qui indiquerait, comme en français standard, le rôle précis du terme nominal relativisé dans la subordonnée, et ceci, quelle que soit la nature de la fonction de celui-ci. Disons tout de même qu’en français familier, on peut avoir le même problème avec un énoncé comme le jour que tu m’as parlé, qui peut donner deux interprétations possibles : le jour / dont tu m’as parlé.

L’absence de ces marques de relation dans la structure relative du coréen est en fait une source d’ambiguïté encore plus grande dans les cas de relativisation des circonstants que dans les cas de relativisation des fonctions syntaxiques fortement régies par la valence du verbe telles que le sujet, l’objet ou encore le complément du type « datif » régi par un verbe trivalent comme [cuta] (donner). Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’en l’absence de marque indiquant la fonction du terme nominal relativisé dans la structure relative du coréen, il est possible, comme le suggère Givón (1990, 659), d’inférer sa fonction en s’appuyant sur les informations données par des éléments qui constituent le domaine propre à la relative comme le nom-pivot (« antécédent »), la valence du verbe subordonné et les constituants nominaux restant à l’intérieur de la relative en question. Mais il convient de souligner que ceci vaut surtout pour les cas de relativisation des fonctions fortement régies par la valence du verbe subordonné. Dans les cas de relativisation des circonstants, l’inférence du rôle précis de ces derniers lorsqu’ils sont relativisés, n’est pas possible à partir de la valence du verbe subordonné, car les circonstants sont des arguments qui échappent au contrôle de la valence du verbe168. Par conséquent, la valence du verbe subordonné n’aide pas, en l’absence des marques de relation dans la structure relative du coréen, à l’identification des différents types de rôles qu’assument les circonstants.

De plus, autre problème, on ne saurait délimiter les différents types de circonstants sur la seule base de leurs implications sémantiques. On sait qu’à la différence des fonctions directes comme le sujet, l’objet ou encore l’attribut, les circonstants, qu’ils soient d’ailleurs relativisés ou non, entraînent des difficultés d’analyse de par la diversité de leurs comportements syntaxiques et sémantiques. Diversité que les linguistes, tant coréens que français, ont du mal à circonscrire avec une certaine cohérence.

On peut remarquer au passage que les grammaires du français comme celles du coréen se sont peu souciées de décrire les propriétés syntaxiques que manifestent relativement au prédicat verbal les divers types de circonstants qu’elles énumèrent, car il ne semble pas possible de préciser de façon simple et satisfaisante des caractéristiques strictement syntaxiques qui permettraient de les distinguer. En revanche, nombreuses sont les analyses sémantiques, du fait des fortes implications sémantiques des circonstants dans le procès exprimé par le reste de la phrase. Ainsi, les linguistes se préoccupent d’établir une typologie davantage sémantique que syntaxique des circonstants. Mais l’inventaire des types de circonstants proposés varie sensiblement d’une description à l’autre dans une même langue, selon le degré d’abstraction de l’analyse et les termes métalinguistiques choisis. Cette divergence est encore plus grande quand on a affaire à une étude contrastive entre deux langues aussi différentes que le français et le coréen. La problématique générale posée par un classement syntaxique et sémantique des circonstants que nous venons d’évoquer devient plus épineuse lorsqu’on étudie leur relativisation. Elle est encore plus délicate en coréen qu’en français, car il n’y a aucune marque formelle qui spécifie le rôle du circonstant relativisé ou supposé tel dans la structure relative.

Si l’on anticipe un peu sur ce à quoi va nous conduire l’observation suivante, on peut signaler que la vraie difficulté de l’analyse des circonstants relativisés ou supposés tels en coréen provient surtout du fait que cette langue possède une autre sous-classe de subordonnées déterminatives — comparable à celle des « complétives du nom » du français — dont une partie se construit morphologiquement et structurellement de la même façon que celles considérées généralement comme relatives en coréen. En fait, une recherche approfondie sur les circonstants relativisés ou supposés tels amène inévitablement à s’interroger sur un autre problème à la fois théorique et pratique, à savoir la distinction des propositions déterminatives en deux sous-classes, relatives et « complétives du nom » en coréen. Il apparaît plus difficile de tracer une frontière nette entre les complétives du nom et les « relatives » dans lesquelles il y aurait un circonstant relativisé ou supposé tel en coréen. Nous n’aborderons pas en détail ici ce problème qui nécessite une discussion plus approfondie qui sera reprise au chapitre suivant.

Compte tenu des problèmes jusqu’ici évoqués, est-il légitime alors de parler de la relativisation des circonstants dans une langue comme le coréen, où rien ne semble permettre de reconnaître à première vue la mise en oeuvre de cette opération? Si oui, selon quel angle peut-on les aborder ? Si non, faudrait-il exclure les circonstants de la liste des fonctions relativisables en coréen, en considérant toutes les structures déterminatives, autres que celles où il y a relativisation des fonctions fortement régies par la valence du verbe, comme faisant partie d’une autre sous-classe de propositions déterminatives, appelée « complétives du nom » ? Ce sont des questions délicates auxquelles nous ne sommes pas en mesure de répondre ici de manière tranchée. Car comme nous allons le voir, les structures déterminatives du coréen qui correspondent aux relatives du français où il y a relativisation des circonstants, sont souvent ambiguës ou ambivalentes : selon les cas, certaines peuvent être interprétées comme des relatives (nous avons déjà vu quelques cas dans la section précédente), alors que d’autres non.

Cependant, malgré les problèmes d’interprétation, voire descriptifs, que suscitent un bon nombre de subordonnées déterminatives du coréen pour une analyse des cas de relativisation des circonstants, nous pensons qu’on ne peut pas totalement les exclure du cadre de la relativisation. Une attitude raisonnable serait de situer ces subordonnées du coréen ayant un circonstant relativisé au milieu d’un continuum allant des relatives contenant le sujet ou l’objet relativisé aux complétives du nom du type (l’idée que P).

Ceci admis, il n’est pas sans intérêt de jeter un regard ici sur ces subordonnées déterminatives en comparaison avec les structures relatives à circonstant relativisé du français. Vu l’extrême variété des types de circonstants attestés dans les deux langues, on s’en tiendra à l’observation d’un petit nombre qui sont couramment présentés dans la typologie des deux langues, tels que les circonstants de temps, de lieu, de manière, de cause, de moyen, d’accompagnement, de but, et quelques autres. Cette confrontation nous permettra de mieux montrer la nette différence des contraintes de relativisation portant sur les divers types de circonstants entre ces deux langues et aussi de rendre compte de quelques cas ambigus liés à la reconnaissance du type de circonstants relativisés ou supposés tels en coréen par rapport au français.

Notes
168.

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