6-3-1 La distinction de la relativisation des circonstants en trois cas selon les rapports sémantiques relationnels entre antécédent et relateur (relatif ± préposition)

Pour une discussion générale de la question, rappelons que lorsqu’on aborde le rôle qu’un circonstant assume dans une structure phrastique en français, il est important de prendre en considération non seulement le sens propre de la préposition qui l’introduit, mais aussi le sens lexical et relationnel des constituants qu’elle met en relation, c’est-à-dire le constituant nominal qu’elle introduit et le prédicat verbal éventuellement accompagné d’autres constituants nominaux, car un même constituant nominal introduit par une même préposition peut se voir assigner un rôle circonstanciel qui varie d’un contexte à l’autre.

Par exemple, dans une structure phrastique, un complément marqué par la préposition avec peut être un circonstant d’accompagnement, ou un circonstant instrumental, un circonstant de manière, ou encore un circonstant de matière : Elle a préparé son plat avec Pierre / avec un mixer / avec soin / avec de la farine , du lait et du sucre. Dans ces exemples, il est clair que la prise en considération uniquement du sens de la préposition avec ne permet pas d’identifier le rapport sémantique exact que le constituant nominal qu’elle introduit a avec le reste de la phrase. En dehors du sens propre de cette préposition, le sens lexical et relationnel des constituants reliés, notamment le sens du constituant nominal qu’elle introduit joue un rôle important dans ce cas présent pour qu’on puisse déterminer le type de rôle adéquat du circonstant concerné dans chaque phrase.

En fait, outre les prépositions, il existe des locutions prépositionnelles (à cause de, grâce à, à côté de, etc.) qui ont un sens relativement plus stable par rapport à celui des prépositions pour spécifier précisément les types de rôles de circonstants. Tous ces éléments de relation contribuent donc de manière variable à l’interprétation du rôle sémantique du circonstant qu’ils marquent selon leur nature, en corrélation avec le sens lexical et relationnel que ce circonstant établit avec le reste de la phrase. Par exemple, dans les deux énoncés suivants : Il a fait chaud cet été à Grenoble  / Il a fait chaud cet été à cause du réchauffement planétaire, on constate que la contribution de la préposition à et celle de la locution prépositionnelle à cause de ne sont pas les mêmes relativement aux constituants nominaux Grenoble et le réchauffement planétaire qu’elles introduisent chacune et qui s’analysent comme un circonstant de lieu pour le premier et comme un circonstant causal pour le second. Dans le premier énoncé, c’est le sémantisme du nom désignant le lieu Grenoble qui est important, voire primordial, plutôt que la préposition à qui est presque vide de sens dans ce cas. De plus, cet été s’identifie à un circonstant de temps même s’il n’est introduit par aucun élément de relation. Dans le second énoncé, en revanche, le constituant nominal le réchauffement planétaire est relié avec le reste de la phrase par une relation sémantique « causale » bien déterminée et spécifiée par la locution à cause de qui explicite clairement cette relation sémantique. On peut faire le même constat quant à la reconnaissance des types de circonstants du coréen.

Nous pensons pouvoir envisager une analyse homologue des cas de relativisation des circonstants en coréen et en français, avec la restriction toutefois qui consiste à ne considérer ici que le rapport sémantique qui s’instaure entre le nom-pivot, identifié comme assumant un type de rôle circonstanciel dans la subordonnée relative, et cette subordonnée, marquée d’une façon ou d’une autre par un élément de relation aidant peu ou proue à la reconnaissance du rôle du circonstant relativisé en question. Tout comme le circonstant avec le reste de la phrase dans une structure phrastique, le nom-pivot, une fois reconnu comme ayant trait à un rôle circonstanciel par rapport au verbe subordonné, doit être pris en compte dans son rapport aussi bien sémantique que syntaxique avec la subordonnée relative qui le détermine. Certes, la valence du verbe de cette subordonnée ne contrôle pas directement les différents types de rôles circonstanciels, mais le sens lexical et relationnel de ce verbe, avec d’autres constituants nominaux restant dans cette subordonnée, oriente tout de même l’interprétation du rôle du nom-pivot. On se doit donc de considérer le sémantisme du nom-pivot combiné au sens lexical et relationnel des constituants de la subordonnée relative qui le détermine. Bien entendu, il ne faut pas oublier encore une fois le rôle plus ou moins important joué par les éléments de relation (désormais « relateur »), quant à la possibilité d’indiquer les types de circonstants relativisés. Comme nous l’avons déjà vu, les relatifs éventuellement précédés d’une préposition ou d’une locution prépositionnelle ( , avec qui , pour lequel , à cause de laquelle, etc.) sont des marques de subordination en même temps que les relateurs des structures relatives du français qui sont plus marqués par rapport aux éléments coréens correspondants, à savoir les suffixes déterminatifs [nIn/In/Il].

Prenons par exemple les énoncés français suivants contenant chacun une structure relative qui établit un rapport sémantique de « temps » avec son antécédent.

  • (Ex22)

  • Un jour qu’elle avait rendez-vous avec un homme, au moment où elle l’embrassait dans le hall d’un grand hôtel, un type en jeans et blouson de cuir avait inopinément surgi avec cinq sacoches en bandoulière. [Im.55]

  • (Ex23)

  • (...) aujourd’hui nous ne nous rappelons plus rien de lui, sauf ce célèbre dîner à la cour impériale de Prague au cours duquel il refréna pudiquement son envie d’aller aux cabinets, si bien que sa vessie éclata (...) [Im. 82]

Dans ces deux exemples, les relateurs et au cours duquel n’ont pas la même capacité de spécifier le rapport sémantique de « temps ». En effet, on pourrait dire que dans l’ex. (22), la présence de apparaît même superflu dans l’interprétation du rapport sémantique de « temps » qui existe entre le nom-pivot moment et la relative elle l’embrassait.... Ce qui permet ici essentiellement d’interpréter ce rapport sémantique n’est pas le relateur, mais le sémantisme inhérent de son antécédent moment. Il est intéressant de remarquer aussi que dans le même exemple apparaît une autre subordonnée elle avait un rendez-vous avec un homme que l’on peut analyser comme une relative reliée à son antécédent jour, non pas par le pronom relatif , mais par que analysable comme une conjonction invariable, bien que ceci puisse être jugé comme « incorrect » par les puristes. Le non-emploi du relatif n’empêche pas d’interpréter le rapport sémantique de « temps » qui s’instaure entre la relative et son antécédent jour, puisque le sémantisme de ce dernier le permet169.

D’ailleurs, rappelons-le, peut s’employer entre la relative et le nom-pivot désignant le « lieu »: ‘Imagine que tu aies vécu dans un monde où n’existent pas de miroirs [Im. 58]. De même, il est possible d’inférer le rôle d’un circonstant de « lieu » en s’appuyant non seulement sur la présence du relatif , mais surtout sur le sens lexical et relationnel qui s’établit entre le nom-pivot de « lieu » monde et la subordonnée n’existent pas de miroirs.

En revanche, dans l’ex. (23) le pronom relatif complexe au cours duquel joue un rôle crucial dans l’interprétation du rapport sémantique de ‘temps’ établi entre le nom-pivot ce célèbre dîner à la cour impériale de Prague et la relative il refréna pudiquement son envie... Non seulement ce relateur complexe indique par le sens propre de la locution prépositionnelle au cours de un sens précis de ‘durée’ de l’événement ‘dîner’ exprimé par le nom-pivot, mais il permet aussi, notamment à l’aide de la forme du relatif lequel, de savoir que le nom-pivot étant un syntagme nominal complexe, la relative se rattache à ce célèbre dîner et non à la cours impériale de Prague.

Supposons que dans ce cas présent, le relateur utilisé soit à la place de la locution prépositionnelle au cours duquel : ce célèbre dîner à la cour impériale de Prague il refréna pudiquement son envie.... Dans ce cas, le nom-pivot peut être ambigu : autant le syntagme nominal la cour impériale de Prague que ce célèbre dîner peut être pris comme antécédent de la relative. De plus, même si l’on avait comme antécédent le seul syntagme nominal ce célèbre dîner, son rôle sémantique par rapport à la relative pourrait être interprété tantôt comme un circonstant de « lieu », tantôt comme un circonstant de « temps » dans ce cas présent.

En conclusion de ce qui précède, on peut distinguer, bien qu’il ne soit pas courant de le faire, trois cas de relativisation des circonstants en français selon les rapports sémantiques qui s’instaurent entre antécédent et relateur (relatif ± préposition), tout en prenant en compte le sens lexical et relationnel du verbe subordonné et d’autres arguments présents dans la structure relative :

  • dans le premier cas, le plus courant, le sémantisme du relateur est aussi important que le sémantisme du nom-pivot et de la relative, notamment lorsque le relateur est composé d’un relatif et d’une préposition difficilement réductible à un sens de base stable telles que à, de, par ;

  • dans le second cas, le sémantisme du relateur contribue davantage que le sémantisme des constituants, antécédent et relative, à l’interprétation du rôle sémantique du circonstant relativisé. Cela concerne particulièrement le relatif complexe composé d’un relatif et d’une préposition sémantiquement bien spécifiée comme sous, sur, pendant, etc., ou d’une locution prépositionnelle comme au cours de, grâce à, au moyen de, à côté de, suite à, etc. De ce cas relèvent également les structures relatives non-standard où une « préposition orpheline » ou un adverbe indique le type du circonstant relativisé concerné ;

  • dans le troisième cas, comme par exemple celui de la relativisation des circonstants de ‘temps’ et de ‘lieu’ marqué par un relatif simple 170, c’est le sémantisme du nom-pivot qui joue un rôle essentiel avec le sens lexical et relationnel exprimé par le reste de la relative.

Les types de noms qui peuvent occuper la position d’antécédent sont des noms concrets (à l’intérieur desquels on distingue ‘noms animés’ et ‘noms non-animés’) et, parfois, des noms abstraits, dans le premier et le second cas. En revanche, le nom susceptible d’occuper cette position dans le troisième cas relève du type de noms ayant des significations précises comme le « temps » (le moment où P), « lieu » (l’endroit où P), « manière » (la façon ou la manière dont P), « raison » (la raison pour laquelle P), etc. qui représentent donc eux-mêmes, par leur signification propre, le type de circonstant concerné, comme nous le verrons.

Notes
169.

Il faut tout de même dire qu’à la différence des autres formes de relatifs simples qui et que qui peuvent, avec ou sans l’aide de prépositions, jouer des rôles sémantiques divers, le relatif ‘’ s’emploie avec des rôles sémantiques spécifiés tels que spatio-temporels.

170.

Comme nous allons le voir, nous pensons qu’on peut ajouter à ce groupe les relatives qui ont pour antécédent la ‘manière’ ou la ‘raison’, même si ces termes nominaux sont reliés aux relatives respectivement par ‘dont’ (la manière dont P) et ‘pour laquelle’ (la raison pour laquelle P).