6-3-2 Analyse contrastive de la relativisation des circonstants en français et en coréen

6-3-2-1 Cas coréens correspondants aux cas des structures relatives introduites par des relatifs prépositionnels en français

Le fait que les structures relatives du coréen ne possèdent généralement pas de relateurs comparables aux pronoms relatifs précédés d’une préposition en français laisse supposer que le coréen ne connaît pas, dans la majorité des cas, de relativisation des circonstants dont les rôles sémantiques précis seraient spécifiés. Effectivement, le contraste est grand entre ces deux langues à ce niveau. Si l’on peut dire que de telles marques fonctionnelles et sémantiques permettent de relativiser des types de circonstants très variés en français, en en spécifiant les rôles sémantiques d’une manière plus précise et concrète que ne le ferait un relatif simple comme ou dont, corollairement, leur absence dans les subordonnées déterminatives du coréen ne permet pas de large possibilité de relativisation.

En français par exemple, un terme nominal désignant le lieu comme société peut être relié à une structure relative par des relatifs différents :

  • (Ex24)

  • (a) Circonstant de lieu :

  • →la société mon père a travaillé pendant trente ans

  • (b) Circonstant de « but » (ou « bénéficiaire ») :

  • →la société pour laquelle mon père a travaillé pendant trente ans

Nous avons pris volontairement ces deux séquences de détermination où est relativisé le même terme nominal afin de montrer le rôle important des relatifs simple et complexe pour laquelle dans l’indication des relations sémantiques, respectives de « lieu » et de « but » (ou « bénéficiaire »), qui s’établissent entre antécédent et relative. Dans le second cas, ce n’est pas le sémantisme de le nom-pivot société, mais le relatif complexe pour laquelle qui joue un rôle décisif dans l’interprétation du rapport de « but » qui unit le terme nominal de lieu société à la relative.

Le coréen peut utiliser la séquence déterminative suivante comme correspondant à ces exemples français :

  • (Ex25)

  • apOci-kkesO /1/ samsipnyOn-toNan /2/ ilha-si-n /3/ hwesa /4/

  • père-p.nom (+honor.) /1/ trente ans-pendant /2/ travailler-honor.-SD:acc /3/ société /4/

  • →la société que (où) mon père (+honor.) a travaillé pendant trente ans

Faute de relateur qui aiderait à identifier directement le rôle du nom-pivot [hwesa] (société) à l’intérieur de la subordonnée à partir de cette séquence déterminative, on doit prendre en compte d’abord les rapports syntaxiques et sémantiques entre le verbe subordonné et les constituants nominaux que celui-ci organise à l’intérieur de la subordonnée : le verbe [ilha-si-n] (avoir travaillé) dispose de deux arguments nominaux dont l’un est un nominal-sujet [apOci-kkesO] (père-p.nom (+honor.)) et l’autre [samsipnyOn-toNan] (trente ans-pendant), un circonstant de temps dénotant la « durée » ; et ensuite le rapport syntactico-sémantique entre ces constituants internes de la relative et le nom-pivot [hwesa] (société). C’est le sens lexical et relationnel de ce nom-pivot, se combinant avec celui du verbe subordonné, qui permet d’inférer qu’il s’agit là d’un circonstant de « lieu ». Cette construction coréenne est sémantiquement proche de l’exemple français (24-a) où le nom-pivot société est relié à la relative par le relatif . L’interprétation d’un rapport de « but » nous paraît en revanche impossible, à moins qu’il y ait un contexte qui le permette, ce qui nous semble rarissime171. Ceci revient à dire que du point de vue de l’encodage, il n’est pas possible de relativiser en coréen un circonstant de « but » dans un cas qui correspond à celui de l’ex. français (24-b).

Bien entendu, d’autres relatifs complexes peuvent être employés en français dans l’ex. (24), en indiquant d’autres relations sémantiques encore spécifiées. Il semble important de remarquer qu’outre une relativisation variée, les relatifs complexes permettent de relier à la relative des noms aussi bien « abstraits » que « concrets » dans des relations circonstancielles diverses. Autrement dit, apparaissent peu de contraintes pesant sur le choix des noms qui peuvent être déterminés par les structures relatives en français. Par contre, il semble qu’en coréen les noms concrets en particulier peuvent difficilement, sauf quelques cas, s’adjoindre à une subordonnée déterminative dans une relation circonstancielle quelconque.

Par exemple, en français une structure relative déterminant un terme nominal désignant une « personne » dans une relation sémantique de « bénéficiaire » est tout à fait possible :

  • (Ex26)

  • (a) la personne pour qui / pour laquelle mon père a travaillé pendant trente ans.

  • En coréen, la structure déterminative qui correspondrait à cet exemple français est inacceptable.

  • (Ex26-b)

  • * apOci-kkesO /1/ samsipnyOn-toNan /2/ ilha-si-n /3/ salam /4/

  • père-p.nom (+honor.) /1/ trente ans-pendant /2/ travailler-honor.-SD:acc /3/ personne /4/

  • →* la personne que (pour qui) mon père (+honor.) a travaillé pendant trente ans

Ce dernier exemple coréen montre bien qu’en raison de l’absence de marques fonctionnelles et sémantiques comparables aux relatifs complexes français, des contraintes fortes pèsent sur le choix des noms qui occupent la position de nom déterminé en coréen, surtout lorsque ces noms sont des noms concrets, notamment des noms désignant la « personne » ou l’« objet ».

Ceci dit, nous avons vu à travers l’ex. (19-1) cité plus haut qu’il est des cas où le nom dénotant l’« objet » peut occuper la position d’« antécédent » déterminé par une structure relative du modèle [A dessine B (avec Crel)] où les positions de sujet et d’objet sont remplies par d’autres arguments nominaux, dans une relation circonstancielle de moyen ou d’instrument.

Il faut signaler également que le coréen présente des cas, bien que rares, similaires à des relatives non-standard du français, où certains éléments de relation, comme une préposition « orpheline » ou un adverbe restant dans la relative, aident à interpréter le lien circonstanciel précis établi entre le nom-pivot et la relative. La subordonnée coréenne suivante est comparable à la relative française où est relativisé le « circonstant d’accompagnement ».

  • (Ex27)

  • (a) mali-ka /1/ O ce c O ny O k /2/ hamkke /3/ wechulha-n /4/ salam-tIl-In /5/ tEhakchinku-tIl-i-Oss-ta /6/

  • Marie-p.nom /1/ hier soir /2/ ensemble /3/ sortir-SD:acc /4/ gens-p.pl-p.top /5/ ami d’université-p.pl.-être-acc-ST.décl /6/

  • →Les gens que Marie est sortie hier soir ensemble étaient ses amis d’université.

  • On peut associer à la subordonnée une phrase qui aura la forme suivante :

  • (b) mali-ka /1/ Oce cOnyOk /2/ salam-t I l - kwa /3/ hamkke /4/ wechulh-Ess-ta /5/

  • Marie-p.nom /1/ hier soir /2/ gens-p.pl-p.avec /3/ ensemble /4/ sortir-acc-STdécl /5/

  • →Marie est sortie hier soir ensemble avec des gens.

On observe dans cette phrase indépendante que le terme nominal [salamtIl] (gens), qui fait l’objet de la relativisation en (27), est marqué par une particule «comitative» [~(k)wa]172 suivie d’un adverbe [hamkke] (ensemble). Dans l’usage, celui-ci s’emploie fréquemment avec celle-là, si bien que ces deux éléments constituent une sorte de locution adverbiale telle que [~(k)wa hamkke]. Il en est de même pour l’adverbe du même sens [kathi], qui forme avec [~(k)wa] la locution [~(k)wa kathi]. Mais lors de la relativisation du terme nominal, celui-ci laisse sa position vide avec la particule comitative [~(k)wa], et seul l’adverbe [hamkke] peut rester dans la subordonnée. C’est la présence de celui-ci qui rend avant tout acceptable la construction de la subordonnée déterminative relié au nom [salamtIl] en (27) et qui guide également l’interprétation du rôle de circonstant d’accompagnement de ce nom déterminé.

En fait, il n’est pas impossible que la seule particule comitative [~(k)wa] soit attachée au terme nominal [salamtIl] (gens) en indiquant le rôle de complément d’accompagnement de ce dernier dans une structure phrastique. Mais la possibilité de relativisation n’est pas la même pour cette phrase, car la construction de la subordonnée déterminative correspondante n’est pas acceptable.

  • (Ex28)

  • (a) mali-ka /1/ Oce cOnyOk /2/ salam-t I l - kwa /3/ wechulh-Ess-ta /4/

  • Marie-p.nom /1/ hier soir /2/ gens-p.pl-p.avec /3/ sortir-acc-STdécl /4/

  • →Marie est sortie hier soir avec des gens.

  • (b)*mali-ka /1/ Oce cOnyOk /2/ wechulha-n /3/ salam-tIl /4/

  • Marie-p.nom /1/ hier soir /2/ sortir-SD:acc /3/ gens-p.pl /4/

  • →*Les gens que Marie est sortie hier soir

La subordonnée déterminative de l’exemple coréen (27) a une structure qui ressemble beaucoup à celle de la relative non-standard du français qui se caractérise par la présence d’une « préposition orpheline » dans sa construction, à ceci près que c’est l’adverbe [hamkke] (ensemble) et non pas la particule comitative [~(k)wa] qui guide l’interprétation du rôle du circonstant relativisé, alors qu’en français c’est la préposition orpheline avec, qui, à strictement parler, est comparable à la particule comitative, en assumant le même rôle. Ce dernier exemple coréen montre que l’interprétation d’un circonstant, bien qu’il échappe à la valence du verbe subordonné, est possible grâce à des éléments comme des adverbes qui ne sont pas nécessairement contrôlables par la valence. On pourrait dire que sur le plan de l’encodage, certains types de circonstants sont ainsi relativisables en présence de tels éléments dans la subordonnée. Mais il faut dire encore une fois que c’est un cas de relativisation qui se présente assez rarement.

Notes
171.

Comme nous allons le remarquer dans les exemples suivants de traduction coréenne des relatives françaises à relatifs complexes, si le locuteur coréen veut exprimer ce rapport de bénéficiaire entre ‘société’ et ‘le travail effectué par le père’, il serait amené à formuler une phrase indépendante où il exprimerait explicitement ce rapport à l’aide d’une locution comme [-lIl wihayO] (pour) qui se trouverait postposée au syntagme nominal [hwesa] (société) : apOci-ka /1/ (k I ) hwesa- l I l wihay O /2/ samsipnyOn-toNan /3/ ilh-Ess-ta /4/ →Mon père a travaillé pour cette société pendant trente ans.

172.

Les valeurs de cette particule [-kwa] et de sa variante phonologique [-wa] dépendent de la position qu’elles occupent au sein de la phrase. Elles fonctionnent soit comme une particule «comitative» mettant en relation un terme nominal et un verbe (équivalent à la préposition ‘avec’), soit comme une particule coordinative (équivalent en français à la conjonction ‘et’) reliant deux termes nominaux.