7-1-3-1-2 Complétives du nom à l’infinitif et deux « de » différents

D’ailleurs, il est intéressant de remarquer que H. Huot (1977, 1981) distingue deux de différents, « ayant sans doute une lointaine origine commune, mais ayant chacun un statut et un rôle syntaxique tout à fait particulier, l’un étant une préposition, l’autre un complémentiseur ». (H. Huot, 1977, 167). Elle fait observer que les complétives à l’infinitif régies par d’autres noms que le fait peuvent être reprises par le pronom en à la suite de la dislocation droite tout comme un syntagme génitival d’un groupe nominal (l’ex.19), tandis que les complétives à l’infinitif régies par le fait n’ont pas cette possibilité d’être reprises par le même clitique comme en témoignent les exemples suivants (l’ex.20) :

  • (Ex19)

  • (a) Pierre avait désormais la certitude de revenir à Lyon.

  • (b) Pierre en avait désormais la certitude , de revenir à Lyon.

  • (c) Il lui a demandé la permission de la raccompagner en voiture.

  • (d) Il lui en a demandé la permission , de la raccompagner en voiture.

  • (Ex20)

  • (a) Pourquoi voulez-vous minimiser le fait d’avoir réussi ?

  • (b) *Pourquoi voulez-vous en minimiser le fait , d’avoir réussi ?

  • (c) Les chômeurs ressentent très durement le fait de ne pas travailler.

  • (d) *Les chômeurs en ressentent très durement le fait , de ne pas travailler.

Selon cette linguiste, en étant un pronom clitique reprenant un groupe prépositionnel, dont la préposition sous-jacente est de, la possibilité de substituer en à la séquence de + Inf. prouve que de est une préposition introduisant un groupe prépositionnel dans l’ex. (19) ; par contre, l’impossibilité de reprendre la séquence de + Inf. par en démontre qu’on n’a pas affaire dans l’ex. (20) à une préposition mais à un complémentiseur.

H. Huot propose ainsi une analyse différente, avec d’autres propriétés syntaxiques à l’appui, pour les seules complétives à l’infinitif ainsi que les complétives introduites par que précédées de le fait, lesquelles s’opposent aux complétives précédées d’autres noms184. Mais, si l’on reprend l’analyse de F. Kerleroux (1981), on peut distinguer deux types parmi les séquences SN de INF où N est un nom autre que fait, sur les critères suivants : la possibilité ou l’impossibilité de la reprise de la séquence [de +INF] par en ; la nature des N introducteurs de l’infinitif ; la possibilité ou l’impossibilité de la substitution du démonstratif à l’article défini et la possibilité ou l’impossibilité de faire apparaître à côté du nom régissant un syntagme génitival ou un déterminatif possessif qui est interprétable comme l’agent de l’infinitif. Kerleroux fait remarquer que les constructions de la forme [N de INF] en français contemporain peuvent être réparties, eu égard à ces quatre propriétés, en deux sous-ensembles que cette linguiste désigne distinctement par les étiquettes « complétives génitif » et « complétives complément de nom ». Souvent précédées de noms n’ayant pas nécessairement de lien morphologique apparenté avec un verbe, du genre chance, effet, tâché, adresse, geste, etc., les complétives à l’infinitif du second type ne peuvent pas être repris par en, et sont à rapprocher de la structure qui a été postulée par le fait de INF.

Ce qui précède montre qu’en français les complétives à l’infinitif régies par un nom, malgré leur apparence identique [N de INF], n’ont pas toutes un fonctionnement homogène, d’où la distinction entre deux de différents, dont l’un est considéré comme une préposition et l’autre, comme un complémentiseur.

Notes
184.

H. Huot (1977) considère que l’ensemble le fait + complétive, que ce soit une complétive introduite par que ou une complétive à l’infinitif introduite par de, a un statut particulier par rapport à n’importe quel ensemble constitué d’un autre nom et d’une complétive, et que le fait est une sorte de support qui permet à une complétive de fonctionner comme un groupe nominal (Huot, 1977, 308). Néanmoins, dans notre analyse qui va suivre, nous allons considérer cette séquence le fait + complétive (que +P / de + INF) tout comme les séquences autre nom + complétive dans le cadre de la détermination, où la subordonnée complétive a pour fonction de déterminer le nom qui le suit.