7-1-3-2 Les complétives du nom à « forme verbale déterminative longue » et à « forme verbale déterminative courte » en coréen

Nous venons de nous apercevoir dans les ex. (21) et (22) qu’en coréen les complétives du nom se subdivisent selon la morphologie de leur forme verbale. Ainsi il est possible d’opposer les complétives à « forme verbale déterminative longue » aux complétives du nom à « forme verbale déterminative courte », sans que cette distinction n’ait de rapport avec la structure interne de la subordonnée en question. On peut représenter ces deux formes verbales déterminatives de la façon suivante :

Ces deux formes verbales déterminatives ont les caractéristiques différentielles suivantes :

  1. la forme longue comporte un des suffixes terminatifs [ta] (déclaratif), [nya] (interrogatif), [ca] (exhortatif) et [la] (impératif), suffixes que l’autre ne contient pas ;

  2. les suffixes [ass], [-n] ou [kess], etc qui apparaissent normalement dans une unité phrastique indépendante, pour indiquer des valeurs aspecto-modales, figurent seulement dans les formes longues ;

  3. la forme longue ne peut être marquée que par le seul suffixe déterminatif [nIn] dépourvu de valeur aspectuelle quelconque, tandis que la forme courte peut être affectée de l’un des trois suffixes déterminatifs [nIn / (I)n / (I)l], qui peuvent, selon les cas, indiquer des valeurs aspecto-modales lorsqu’il est possible de les faire commuter ;

  4. la forme longue comporte parfois entre le suffixe terminatif et le suffixe déterminatif la suite de morphèmes [ta- (ko ha)-nIn ] : [ko] dit suffixe citatif et [ha-] racine du verbe [ha-ta], qui correspond littéralement à faire, mais utilisé ici au sens de dire. [-ta-nIn-] est généralement considérée comme une forme réduite de la séquence [ta- (ko ha)-nIn].

Nous avons précédemment souligné que le choix entre ces deux formes verbales est étroitement lié aux types de noms régissant que les subordonnées déterminent. Selon K-S NAM (1986)185, auquel nous empruntons les exemples, les noms se répartissent en trois types selon la forme verbale déterminative avec laquelle ils sont compatibles :

  1. Noms n’acceptant que la forme verbale déterminative « courte »
    Ceux qui relèvent de ce type sont des noms indépendants ou dépendants comme [yoNki] (courage), [kiOk] (souvenir), [iyu] (raison), [kanINsON] (chance ou possibilité) et [kyONu] (occasion), [sakOn] (accident, événement), [kyONhOm] (expérience), etc.
    (Ex23)
    k I -ka / 1/ us IN ha- &{; l, *-kess-ta-n I n &}; /2/ kan IN s ON-i /3/ man-ta /4/
    lui-p.nom /1/ gagner- &{; SD:évent / *-évent-STdécl-SD &}; /2/ possibilité-p.nom /3/ il y en a beaucoup-STdécl /4/
    → Il y a beaucoup de possibilité qu’il gagne. / Il a beaucoup de possibilité de gagner.

  2. Noms n’acceptant que la forme verbale déterminative « longue » :
    [mal] (parole), [myONlyON] (ordre), [cean] (proposition), [cilmun] (interrogation), [sosik] (nouvelle), [cONpo] (information), [poko] (rapport), [noNtam] (plaisanterie) etc. La plupart de ces noms ont une signification liée à l’acte de parole, dont certains forment également, au moyen de [hata], des verbes de même signification186.
    (Ex24)
    (a) kI-nIn /1/ hank I l-i /2/ O nce /3/ panpho-twe- &{; *n, O ss-n I nya-n I n &}; /4/ cilmun-e /5/ tEtap-hacimosha-yOss-ta /6/
    lui-p.top /1/ écriture coréenne-p.nom /2/ quand /3/ promulguer-aux.passif- &{; *SD:acc / acc-STinter-SD &}; /4/ question-à /5/ répondre-aux.nég-acc-STdécl /6/
    →Il n’a pas répondu à la question *que (de savoir) quand HankIl a été promulgué.

  3. Noms susceptibles d’accepter la forme déterminative « courte » ainsi que la forme verbale « longue »

Certains noms peuvent se placer tantôt derrière la forme déterminative courte, tantôt derrière la forme déterminative longue : [sasil] (fait), [mokcOk] (but), [kyOlsim] (décision), [hyOmIi] (inculpation), etc.

A ceci il faut ajouter que, parmi les noms compatibles avec les formes déterminatives « courtes », certains connaissent une contrainte forte pesant sur le choix des suffixes déterminatifs (-nIn / -(I)n / -(I)l) qui les marquent.

Dans l’ex. (26a) seul le déterminatif [(I)l] est possible avec le nom [philyo] (nécessité) et dans l’ex. (26b) seul [(I)n] apparaît possible avec le nom [kiOk] (souvenir), alors que comme beaucoup de substantifs, le nom [cul], nom dépendant ayant une signification proche de fait, peut être précédé de [nIn], ou bien de [(I)n], ou encore de [(I)l]. Dans ce cas, ces suffixes déterminatifs indiquent, outre le marquage de la détermination, des valeurs aspecto-modales comme [nIn]→inaccompli ; [(I)n] → accompli ; [(I)l] → éventuel dans les complétives du nom. Quant à la contrainte portant sur le choix du suffixe déterminatif pour certains substantifs, notamment comme [(I)n] (SD : accompli) pour [kiOk] (souvenir) de l’ex. (26b) ou [(I)l] (SD:évent) pour [kanINsON] (possibilité), il nous semble qu’elle est souvent, mais pas toujours, liée au rapport entre le sémantisme des noms concernés et la valeur exprimée par le suffixe déterminatif en question.

Nous pouvons expliquer de la même manière la contrainte portant sur le choix des suffixes terminatifs pour certains substantifs qui se trouvent combinés avec les formes verbales déterminatives longues. Rappelons que si les suffixes déterminatifs portent des valeurs aspecto-modales dans les formes verbales « courtes » des complétives du nom, les suffixes terminatifs tels que [ta], [(nI)nya], [ca], [la] indiquent, eux, respectivement les modalités de phrase déclarative, interrogative, exhortative et impérative dans les formes verbales longues. Ils sont en corrélation avec les noms-pivot dont les significations correspondent aux implications sémantiques de ces modalités d’énonciation.

On observe dans ces exemples que les noms-pivot [sosik] (nouvelle), [cilmun] (question), [cisi] (ordre) et [cean] (proposition) se trouvent précédés des formes verbales longues incluant : (a) le terminatif déclaratif [ta] : [casalha-yOss-ta-nIn + sosik] → [s’est suicidé-acc-STdécl-SD + nouvelle] ; (b) l’interrogatif [nInya] : [Ot-Oss-n I nya-nIn + cilmun] → [obtenir-acc-STinter-SD + question] ; (c) l’impératif  [la] : [kOmkOha-la-nIn + cisi] → [arrêter-STimpér-SD + ordre] ; (d) et l’exhortatif [ca]  : [koNkyOkha-ca-nIn + cean] → [attaquer-STexhor-SD + proposition]. Il faut immédiatement préciser qu’un tel lien étroit entre le nom-pivot et tel ou tel suffixe terminatif est valable pour une partie des noms seulement. L’ex. (27e) montre que le terminatif impératif [la] est mis en oeuvre dans la forme verbale, alors qu’un terme nominal comme [phyOnci] (lettre) peut figurer, tout comme un terme nominal [cisi] (ordre), en position de nom-pivot.

En tout cas, on observe dans un bon nombre de cas que le choix d’un suffixe verbal, que ce soit un déterminatif ou un terminatif, dans les formes verbales subordonnées des complétives du nom, est soumis à des contraintes qui sont imposées souvent par la classe sémantique du nom régissant de la proposition principale.

Par ailleurs, on doit remarquer en français qu’une contrainte semblable se manifeste entre le nom-pivot dont dépend la complétive introduite par que et le mode du verbe de cette subordonnée (l’indicatif / le subjonctif). Dans de nombreux cas, le choix entre le subjonctif ou l’indicatif dans la forme verbale subordonnée s’impose selon le sémantisme du nom-pivot. Le verbe à l’indicatif s’emploie obligatoirement dans la complétive du nom après des noms comme certitude, conviction, impression, persuasion, sensation, affirmation, conclusion, etc., tandis que le verbe au subjonctif est obligatoire après des noms comme besoin, crainte, désir, envie, regret, peur, souhait, etc187. Sans prétendre à une généralisation excessive sur les propriétés sémantiques des noms qui se construisent avec une complétive, on observe grosso modo l’indicatif avec des noms exprimant des modalités épistémiques et le subjonctif avec des noms exprimant des modalités déontiques (G. Chevalier et J-M Léard (1994)).

En dehors des cas où l’indicatif ou le subjonctif sont grammaticalement imposés par le nom dont dépend la complétive, le choix entre ces deux modes est parfois possible après des noms comme fait. Ce qui est intéressant de noter, c’est que d’un point de vue énonciatif, cette possibilité de choix permet parfois à l’énonciateur d’exprimer différemment sa perception du procès dénoté par la subordonnée en question. Selon l’analyse courante, la différence entre (a) Le fait qu’il est parti ne m’étonne pas / (b) Le fait qu’il soit parti ne m’étonne pas réside en ce que l’énonciateur exprime, au moyen de l’indicatif, son adhésion et sa certitude vis-à-vis du procès dénoté par la subordonnée, le fait subordonné étant envisagé en tant que tel, tandis qu’avec le subjonctif, la certitude n’est pas acquise et le fait subordonné est perçu d’un point de vue subjectif, bien que la différence entre ces deux modes soit ténue à cause du sémantisme de fait.

Nous pensons que c’est de ce point de vue énonciatif qu’on pourrait également expliquer la différence entre la forme verbale déterminative « courte » (dépourvue de suffixe terminatif) et la forme verbale déterminative « longue » incluant un suffixe terminatif, lorsque le choix entre ces deux formes verbales déterminatives est possible pour l’énonciateur, même si la description grammaticale courante ne les aborde pas en termes de mode. Certes, il est clair qu’on ne peut assigner à ces deux formes verbales des valeurs modales identiques à celles qui sont reconnues aux formes verbales à l’indicatif et au subjonctif dans le système français. Mais l’opposition entre ces deux formes verbales coréennes nous semble, en partie, comparable à celle entre les formes verbales à l’indicatif et celles au subjonctif du français, dans la mesure où l’énonciateur peut exprimer, à travers ces formes verbales distinctes, un degré d’adhésion différent par rapport au fait décrit dans la subordonnée.

Contrairement à ce que laisse croire la plupart des descriptions grammaticales, les deux formes verbales déterminatives sont attestées dans des relatives. Nous reviendrons sur ce sujet dans la section suivante consacrée à la question de la différenciation entre relatives et complétives du nom.

Notes
185.

K-S Nam (1986) kuk O wanhy ON pomunp O py O nku (Etude des complétives du coréen), Séoul, Ed. Tap.

186.

[hata], qui est, à l’origine, un verbe équivalent à faire, sert fréquemment à dériver le verbe d’un substantif : [mal] (parole) → [malhata] (parler) / [poko] (rapport) → [pokohata] (rapporter) / [noNtam] (plaisanterie) → [noNtamhata] (plaisanter). Ceci conduit de nombreux linguistes à affirmer que les complétives du nom établissent un lien étroit avec les complétives.

187.

Nous renvoyons le lecteur à une étude effectuée par G. Chevalier et J-M Léard (1994) pour davantage d’informations sur la corrélation entre les propriétés sémantiques des noms régissant une complétive, (« noms modalisateurs » pour ces linguistes) et des manifestations syntaxiques, en l’occurrence le mode du verbe subordonné, dans la subordonnée.