7-2-2 Différence morphologique entre relatives et complétives du nom

En français, à part le cas où les relatives sont introduites par que, qui introduit également les complétives du nom, l’identification des premières par rapport à ces dernières paraît généralement facile chaque fois que l’on a affaire aux relatifs , dont, avec qui, parmi lesquels, etc197.

Quant au coréen, nous avons souvent souligné la ressemblance formelle entre les relatives et les complétive du nom, en particulier au niveau de la morphologie des formes verbales subordonnées et des marques de subordination, à savoir les suffixes déterminatifs [nIn / In / Il], qui s’y attachent. Mais il est des cas où les complétives du nom se distinguent formellement des relatives selon les formes verbales utilisées. En effet, comme nous l’avons présenté succinctement plus haut, deux types de formes verbales caractérisent les propositions déterminatives en coréen.

Voyons d’abord les exemples suivants empruntés à K-S Nam et Y-K Ko (1989, 377-380).

On observe que les subordonnées de ces exemples ont en commun la fonction de déterminer chacune le terme nominal qui la suit et ont toutes des formes verbales marquées morphologiquement par le suffixe déterminatif [nIn]. Celui-ci y joue le rôle de marque de subordination et d’indicateur de la fonction déterminative des subordonnées auxquelles il est attaché. Toutefois, on peut remarquer que les formes verbales auxquelles ce suffixe est attaché sont de deux formes différentes : l’une est une forme verbale déterminative « courte » qui ne contient pas de suffixe terminatif comme [ta] et l’autre, une forme verbale déterminative « longue » pourvue de ce suffixe terminatif. K-S Nam et Y-K Ko (1989) distinguent ainsi, d’un côté, une « proposition déterminative à forme verbale courte », où le suffixe déterminatif [nIn] est attaché à la forme verbale dépourvue de suffixe terminatif, c’est-à-dire à la racine verbale, éventuellement accompagnée d’un suffixe négatif, comme c’est le cas des ex. (41a) et (41b) : [sal-cian-n I n] (vivre-nég.-SD) / [salam-ila-n I n] (personne-être-SD) ; et de l’autre côté, une « proposition déterminative à forme verbale longue », où le suffixe déterminatif [nIn], éventuellement précédé d’une expression [~ko ha~], est fixé à la forme verbale pourvue de suffixe terminatif comme [-ta] (suffixe de modalité déclarative, mais qui pourrait être un suffixe interrogatif [-nya], ou bien impératif [-la] ou encore exhortatif [ca]) contenu dans l’expression verbale [hakoiss-ta-(ko ha) n I n] : être en train de faire-STdécl-SD) de l’ex. (41c).

En ce qui concerne le lien entre ces deux types de formes verbales déterminatives et la distinction entre relatives et complétives de nom, K-S Nam et Y-K Ko (1989) affirment que seule la forme verbale courte apparaît dans les relatives (→41a), tandis que les complétives du nom peuvent se présenter tantôt avec une forme verbale courte (→41b), tantôt avec une forme verbale longue (→41c).

A leur suite, la plupart des grammairiens et des linguistes sont d’accord avec cette analyse. Cela revient à dire que la forme verbale longue peut servir de critère formel immédiatement repérable pour permettre d’identifier la proposition déterminative en question comme une complétive et non comme une relative.

Néanmoins, l’observation des données révèle qu’il existe toutefois des subordonnées déterminatives à forme verbale longue qui peuvent être analysées comme des relatives plutôt que comme des complétives du nom. Prenons les exemples suivants : 

Bien que ces trois subordonnées comportent toutes des formes verbales longues dotées du suffixe terminatif [ta], éventuellement suivi de [-ko ha-] comme dans l’ex. (42c), il est difficile de les analyser comme des complétives du nom, vu le rapport qui s’établit entre ces subordonnées déterminatives et leur nom-pivot. Le nom-pivot [maIl] (village) pourrait occuper la position de complément de lieu dans la subordonnée de l’ex. (42a); [sicOl] (époque), la position de complément de temps dans celle de l’ex. (42b) : [salam] (personne), la position de sujet dans celle de l’ex. (42c). Ainsi on peut considérer l’ex. (42a) comme le résultat de la relativisation du complément de lieu, l’ex. (42b) comme celui de la relativisation du complément de temps et l’ex.(42c) comme le résultat de la relativisation du sujet.

Donc, on voit ici clairement que la présence des formes verbales longues est tout à fait possible dans les subordonnées déterminatives analysables comme des relatives. Ceci remet en cause ce critère formel largement retenu par des grammairiens et des linguistes coréens pour la distinction entre relatives et complétives du nom. Il convient toutefois de préciser immédiatement que la forme verbale longue qui figure dans les relatives se limite, nous semble-t-il, à celle qui se termine par un suffixe terminatif dit déclaratif [ta] suivi du suffixe déterminatif [nIn], tandis qu’il n’y a pas de telle restriction pour la forme verbale longue apparaissant dans les complétives du nom qui peuvent se marquer, outre par le suffixe terminatif déclaratif [ta], par les suffixes terminatifs [nya], [la] et [ca] indiquant respectivement les modalités interrogative, impérative et exhortative. (Voir Supra, 1-3-2 sur les deux formes verbales déterminatives).

Notons au passage que si aucune mention du type de relatives à forme verbale longue n’a été faite dans la plupart des grammaires du coréen, le linguiste T-H YaN (1975) atteste que les relatives à forme verbale courte qu’il désigne sous le nom de « proposition relative non factive » coexistent en coréen avec les relatives à forme verbale longue qu’il appelle « proposition relative factive ».

A partir du moment où on sait qu’il est possible d’avoir tantôt une forme verbale déterminative courte sans suffixe terminatif [ta], tantôt une forme déterminative longue avec suffixe terminatif [ta], dans les relatives comme dans les complétives du nom suivies d’un certain nombre de noms, il convient de savoir ce qui change selon les deux formes verbales déterminatives. On peut d’abord illustrer par les exemples suivants cette possibilité pour une relative et une complétive du nom d’avoir ces deux formes verbales déterminatives. En effet, si l’on reprend ici la relative telle qu’elle est donnée dans l’ex. (42a), on peut faire commuter sa forme verbale déterminative longue avec une forme verbale déterminative courte.

Cette possibilité de commutation s’observe également dans certaines complétives du nom. Nous avons vu auparavant (cf. Supra.1-3-2) que les complétives situées devant certains types de noms seulement comme [sasil] (fait), [mokcOk] (but, objectif), [kyOlsim] (décision), [hyOmIi] (inculpation), etc. pouvaient contenir tantôt l’une, tantôt l’autre de ces formes verbales, comme le montrent les exemples suivants (empruntés à K.S.NAM, 1986, 38)

Dans chacun des exemples (43) et (44), la forme verbale longue dotée du suffixe terminatif [ta] s’oppose à la forme verbale courte dépourvue de ce suffixe : (43) relative : [thEOna-ss-ta - n I n / maIl] (naître-acc-STdécl-SD / village) message URL harr.gif [thEOna-n / maIl] ] (naître-SD : acc / village) ; (44) complétive du nom : [hweNlyONha-yOss-ta-n I n / hyOmIi] (détourner-acc-STdécl-SD / inculpation) message URL harr.gif [hweNlyONha-n / hyOmIi] (détourner-SD :acc / inculpation). Le choix d’une forme verbale longue ou d’une forme verbale courte entraîne certaines nuances différentes qui sont liées au rapport de l’énonciateur à son énoncé.

En effet, intéressés par ces deux formes verbales se trouvant principalement dans les complétives, certains linguistes coréens ont tenté de donner des explications sur leurs nuances sémantiques. Ces explications varient toutefois sensiblement d’un auteur à l’autre. Selon K-S Nam (1986) et T-H YaN (1972), l’utilisation de la forme verbale courte implique que ce qui est exprimé par la subordonnée est vrai, ou plutôt est perçu comme vrai par l’énonciateur, tandis qu’avec la forme verbale longue, l’énonciateur ne met pas en balance la vérité ou la fausseté du contenu. Autrement dit, sa valeur de vérité est suspendue. H-S I (1990) avance que l’énonciateur emploie préférentiellement une forme verbale courte lorsqu’il veut mettre en relief son propre jugement vis-à-vis de la valeur de vérité du procès exprimée par la subordonnée. La forme longue est quant à elle employée lorsqu’il veut mettre en valeur le jugement d’autrui. En revanche, pour I-S I & H-P Im (1983) et K-H CaN (1987), avec la forme verbale courte c’est le fait subordonné qui est envisagé en tant que tel, tandis qu’avec la forme verbale longue, le fait subordonné est envisagé plutôt comme un objet d’énonciation.

On peut dire que toutes ces explications divergent quant à leur formulation, mais ont ceci de convergent que la différence entre les deux formes verbales est traduite par une différence d’attitude que manifeste l’énonciateur par rapport à son énoncé. Nous pensons que l’analyse de cette différence de fonctionnement énonciatif dépend sensiblement de la façon dont on analyse la séquence [ta-n I n] présente dans la forme verbale longue. Selon l’analyse courante, [ta-n I n] est une forme réduite de la séquence [ta + ko ha + n I n]. [-ko-] est un suffixe dit couramment « citatif » et [-ha-] provient à l’origine du verbe [ha-ta], littéralement équivalent à faire, mais utilisé ici au sens de dire. Il faut reconnaître toutefois que cette analyse de [ha] en tant que racine verbale ayant le sens de dire n’est pas admise unanimement par les linguistes. On considère généralement que ces deux morphèmes [ko ha], qui jouent sémantiquement un rôle primordial dans cette séquence, restent souvent implicites dans la forme réduite [-ta (ko ha)-n I n]. Certains linguistes comme Ph-Y I (1993) analysent cette forme verbale subordonnée longue comme une « forme verbale au discours indirect », opposée à la « forme verbale au discours direct » marquée par la présence d’autres suffixes terminatifs. Une telle analyse fait dire à certains linguistes que la présence de [ta-nIn], forme réduite de l’expression verbale dite « citative » [ta + ko ha + nIn], dans la forme verbale subordonnée longue indique que la subordonnée en question est l’objet d’une énonciation.

Suivant cette analyse, nous avons introduit, dans la traduction française des exemples coréens (42a-b-c) cités plus haut, l’expression « on dit que P », ou « X dit que P » lorsque le sujet de l’énonciation est explicite comme c’est le cas dans l’ex. (42c).

Il est intéressant d’observer au passage que ces relatives font penser aux relatives du français connues couramment sous le nom de « relatives imbriquées » dites aussi « relatives complexes » : Ce technicien réexamine l’hypothèse qu’on dit qui est négligée. C’est un cas de relativisation du sujet d’une subordonnée complétive qui est négligée — dont sa principale on dit est enchâssée elle-même dans la phrase matrice Ce technicien réexamine l’hypothèse. Abstraction faite de leur équivalence sémantique, si l’on compare la subordonnée complexe de cet énoncé français qu’on dit qui est négligée avec celle de la subordonnée déterminative de l’exemple coréen (42a) ([OmOni-ka / [thEOna-ss-ta-n I n / maIl] : mère-p.nom / [naître-acc-STdécl-SD / village) « le village où on dit qu’elle est née  », on voit que là où il y a la subordonnée qu’on dit en français, seule la suite [ta-nIn] est présente dans la forme verbale subordonnée du coréen [thEOn-ass-ta-n I n] (naître-acc-STdécl-SD). Une construction prédicative correspondant à celle du français on dit n’y est pas présente à proprement dit. Mais si l’on prend la séquence [-ta ko ha -nIn] dont serait issue la forme réduite [ta-nIn], elle apparaît plus proche de la séquence française qu’on dit, mais encore faudrait-il dire que le sujet indéterminé correspondant à on soit absent. Si l’on admet l’hypothèse selon laquelle en coréen le sujet indéfini, équivalent à on, est couramment supprimé dans un énoncé, on pourrait considérer que le sujet indéfini de la séquence verbale [-ta ko ha-nIn] est absent pour cette même raison. Mais on ne peut qu’accepter sous réserve une telle analyse.

Nous devons préciser que ce rapprochement entre la séquence verbale coréenne [P -ta (ko ha)–nIn +N] et la séquence française on dit que, qui se trouve entre un terme nominal appartenant à la principale et une subordonnée relative imbriquée [N que (pr.) + on dit + que (conj.) P], nous a été suggéré par une certaine ressemblance sémantique. Mais il faut dire immédiatement qu’en français les relatives imbriquées peuvent se construire différemment : à la place de on dit peuvent se trouver un sujet et un verbe différents pouvant introduire une complétive comme : Voici le livre à qui je sais que vous vous intéressez  ; Voici la personne avec qui je veux qu’elle se marie . Dans ce cas, il n’est pas certain que le coréen ait, pour chaque construction de relatives imbriquées, des constructions équivalentes, et même s’il y en a pour certaines, elles doivent se construire différemment de ce que l’on a vu précédemment198.

En bref, l’idée essentielle dans le rapprochement de la séquence coréenne [-ta (ko ha)-nIn] et de la séquence française « qu’ on dit que P » est de montrer que cette séquence coréenne fonctionne comme une sorte de marque du « discours », comme le fait on dit dans l’exemple français.

Il convient aussi de signaler que cette analyse de la séquence [-ta-nIn] comme marque du « discours indirect » n’est pas admise à l’unanimité par des linguistes. Comme on a pu le constater dans les définitions proposées par des linguistes comme K-S Nam (1986) et T-H YaN (1972), certains semblent y voir plutôt la présence d’une marque de modalisation différente qui indique une attitude subjective de l’énonciateur par rapport au procès exprimé par la subordonnée ; en utilisant la forme verbale courte dans la subordonnée, l’énonciateur exprime sa certitude vis-à-vis du fait subordonné, tandis qu’au moyen de la forme verbale longue, il manifeste une certaine distance par rapport au fait subordonné.

Pour faire apparaître, selon l’analyse qu’on vient de présenter, cette différence de nuance que manifestent les deux formes verbales distinctes dans les ex. (44a) et (44b), nous sommes amenée à traduire en français la forme verbale subordonnée longue [hweNlyONha-yOss-ta-n I n / hyOmIi] : détourner-acc-STdécl-SD / inculpation], en utilisant le tiroir verbal en -rait (qu’il aurait détourné) dans l’ex. (44a) : *Kim, chef de section, a été écroué sous l’accusation qu’il aurait détourné des fonds publics, et la forme verbale courte [hweNlyONha-n / hyOmIi] : détourner-SD :acc / accusation] par une forme verbale correspondant à l’infinitif (d’avoir détourné) dans l’ex. (44b) : Kim, chef de section, a été écroué sous l’accusation d’avoir détourné des fonds publics.

Remarquons au passage que l’ex. (44a) se prête moins bien que l’ex. (43a), nous semble-t-il, à l’interprétation selon laquelle la subordonnée déterminative fait l’objet d’un « discours indirect ». D’où la difficulté d’insérer qu’on dit dans sa traduction française.

Enfin, des deux analyses de la séquence coréenne [-ta-n I n] qu’on vient de présenter, nous ne saurions dire, de façon stricte, laquelle convient le mieux pour expliquer la différence du fonctionnement énonciatif de la forme verbale incluant cette séquence par rapport à celle qui en est dépourvue. Il faudrait réaliser une étude plus approfondie. Mais que cette séquence soit analysée comme une marque du « discours indirect » ou comme une marque de modalités, l’idée commune et essentielle est qu’elle exprime l’attitude énonciative de l’énonciateur par rapport à son énoncé. Des questions subsistent toutefois : faudrait-il y voir un glissement des fonctionnements de la séquence [-ta-n I n] ? ou bien ne serait-elle pas l’homonyme de deux morphèmes distincts, l’un faisant fonction de marque du « discours indirect » et l’autre fonction de marque de modalités ?

Notes
197.

On rappellera que comme des pronoms relatifs où, qui, avec lequel, etc. sont homonymiques des pronoms interrogatifs, on confond parfois les relatives avec les complétives dénommées « interrogation indirectes » , qui s’en distinguent par l’absence d’un antécédent : Je me demande qui est ce monsieur / Je ne sais pas il va. La ressemblance formelle est totale, lorsque la relative est une relative substantive qui a pour antécédent un pronom démonstratif ce devant les relatifs qui et que : je ne sais pas ce que tu veux  : interrogation indirecte / donne-moi ce que tu veux : relative substantive. Dans ce cas, la distinction peut se faire à partir du sens du verbe principal. Cf. Grammaire méthodique du français et Grammaire d’aujourd’hui.

198.

La comparaison de telles constructions complexes entre les deux langues serait envisageable dans une perspective contrastive. Cette piste de recherche pourrait être exploitée plus tard dans le prolongement de la présente étude qui se limite à observer les relatives directement enchâssées dans la phrase matrice.