7-2-3 La différence de statut sémantico-référentiel entre relatives et complétives du nom

En dehors des différences structurelle et morphologique entre relatives et complétives du nom, nous avons déjà souligné la nécessité de considérer leur différence de statut sémantico-référentiel par rapport au nom-pivot que ces propositions viennent déterminer.

Il a déjà été dit au chapitre 5 que puisque la relativisation comporte une relation coréférentielle entre le nom-pivot et un argument de la subordonnée, d’un point de vue sémantico-logique, la relative exprime une propriété qui caractérise le référent d’un constituant nominal, tandis que la complétive du nom exprime un contenu propositionnel, c’est-à-dire la représentation (ou conceptualisation) d’un événement ou d’une situation dénotée par le nom-pivot. Comme le font certains linguistes, cette différence de relation sémantico-référentielle peut être définie selon qu’il y a ou non coréférentialité entre le contenu référentiel du nom-pivot et celui de la proposition qui le détermine.

Prenons l’exemple suivant : La certitude qu’il ment ne me donne pas l’envie de le revoir. Dans ce cas de complétive du nom, il existe une équivalence entre le contenu référentiel du nom-pivot et celui de la proposition qui lui est incidente. Cette coréférentialité peut être mise en évidence par les structures suivantes : Qu’il ment EST une certitude ou bien Ma certitude EST qu’il ment. Comme ce dernier nom, plusieurs noms tels que hypothèse, idée, conclusion, etc., susceptibles d’avoir comme modificateur une complétive introduite par la conjonction que, ont cette aptitude de former ainsi avec cette construction complétive des constructions attributives, dont le verbe introducteur est la copule être 199  : l’hypothèse / l’idée / la conclusion qu’il ment

En comparaison, dans l’exemple de la relative comme la certitude qu’a son père me donne le courage de continuer, il ne peut y avoir coréférentialité entre le contenu du nom-pivot et celui de la relative pour la bonne raison que le nom-pivot correspond à un argument, à savoir l’objet du verbe avoir de la relative. Si le nom-pivot joue syntaxiquement le rôle de complément d’objet du verbe dans la relative, il est bien clair que cet objet ne saurait équivaloir référentiellement à la relative tout entière. Cela élimine d’office toute égalité référentielle entre le nom-pivot et la subordonnée, puisque celui-ci correspond à une partie et une partie seulement du domaine référentiel de cette dernière. Ainsi une telle inégalité référentielle entre le nom-pivot et la relative peut être expliquée par l’impossibilité d’avoir une construction attributive telle que: *Qu’a son père EST une certitude.

C. Muller (1996, 31) explique cette différence du rapport de coréférentialité entre ces deux types de propositions déterminatives et leur nom-pivot en considérant que l’antécédent ne coréfère pas de la même façon, puisque la coréférence est globale, centrée sur le verbe subordonné dans le cas des complétives, tandis qu’elle est partielle, centrée sur l’un de ses arguments dans le cas des relatives.

D’ailleurs, il est intéressant de remarquer qu’une telle observation peut se faire également au niveau des modificateurs du type génitival. En effet, avec la relative qu’on vient de voir, on retrouve quelque chose qui rappelle la structure du syntagme génitival la certitude de son père. De tels syntagmes peuvent donner lieu en effet à la relativisation, soit du terme x, soit du terme y : la certitude qu’a son père ou son père qui a une certitude. Il est possible de commuter la proposition complétive examinée plus haut avec un substantif complément de nom : La certitude qu’il arrivera prochainement / de son arrivée prochaine me donne le courage de continuer. On retrouve ici l’équivalence référentielle examinée supra. Cette équivalence peut être exprimée de deux façons différentes : Son arrivée prochaine EST une certitude ou bien Qu’il arrivera prochainement EST une certitude.

Il y a une grande différence entre deux syntagmes génitivaux tels que la certitude de son arrivée et la certitude de son père. Certes on a dans les deux cas le même schéma formel : [x de y], dans les deux cas aussi, on peut dire que y vient déterminer x. Mais, au niveau référentiel, il s’agit de deux types de détermination différents que l’on peut faire apparaître par deux structures phrastiques distinctes, l’une construite autour de être et l’autre autour de avoir. En effet, La certitude de son arrivée présuppose l’énoncé de base : Son arrivée EST une certitud e, autrement dit [y est x]. Par contre, La certitude de son père présuppose l’énoncé : Son père A une certitude, autrement dit [y a x]. Une relation établie par être est une chose, une relation établie par avoir en est une autre.

En effet, quand on dit la certitude de son père , on met en relation deux référents de nature différente : un homme et une idée en lui sont deux entités distinctes. Si l’on peut dire Son père a une certitude, il est impossible de dire : *Son père est une certitude. En revanche, quand on parle de la certitude de son arrivée, on a affaire à deux saisies différentes d’une même entité. En effet, selon que l’on se situe au plan de la réalité ou au plan de l’image mentale, on peut dire aussi bien que Son arrivée est un fait, (quand elle a déjà eu lieu et qu’elle a fait l’objet d’un constat sur le terrain), que Son arrivée est une certitude, si elle n’a pas été constatée et qu’on anticipe sa réalisation avec de bonnes raisons de croire qu’elle se produira. D’autres modalités d’appréhension référentielle sont possibles : La conviction / l’ espoir / l’ idée qu’il arrivera prochainement / de son arrivée prochaine etc. On a donc affaire à une seule unité référentielle que l’on saisit doublement : au niveau de sa simple réalisation dans les faits (le fait de son arrivée) et au niveau des modalités épistémiques de sa représentation dans les esprits (idée, hypothèse, possibilité, espoir, conviction, certitude, etc.).

Bien que diverses et variées, ces représentions psychiques ne sont pas illimitées, et en français, le nombre de substantifs qui admettent une complétive du nom constituent une liste fermée. Nous verrons ultérieurement qu’en coréen la liste est beaucoup plus longue, car elle inclut, en dehors de la représentation purement cérébrale, un certain nombre de représentations sensorielles telles que bruit, odeur, image, etc.

En français, si les substantifs admettant une complétive du nom relèvent généralement d’un groupe de noms abstraits renvoyant seulement à certaines réalités notionnelles ou à des concepts comme la connaissance (nouvelle, souvenir...), l’opinion (pensée, supposition...), la déclaration (annonce, affirmation, promesse...), etc., les substantifs admettant une relative en français constituent par contre une liste ouverte. Que ce soit un nom concret, y compris le nom propre, ou abstrait, les diverses sous-catégories des noms peuvent y figurer normalement en français.

On voit par là que le rapport sémantico-référentiel entre nom-pivot et complétive est sous le signe de l’homogénéité référentielle, alors que le rapport entre nom-pivot et relative est sous le signe de l’hétérogénéité référentielle. Les deux relations déterminatives rencontrées dans les deux types de syntagmes génitivaux [x de y] que nous avons analysés et dans les deux types de propositions déterminatives correspondantes (a) [x QU-y (relative)] et (b) [x QUE y (complétive du nom)] sont complètement différentes, puisque les deux termes x et y, de nature substantivale ou propositionnelle, sont tantôt « hétéro-référentiels » (a), tantôt « homo-référentiels » (b).

Au lieu d’évoquer en termes de coréférentalité d’une part la relation sémantico-référentielle entre le nom-pivot et un argument de la relative et de l’autre, celle entre le nom-pivot et l’ensemble de complétive du nom, Lemaréchal (1997) oppose ces deux sous-classes de propositions déterminatives par leur différence appelée d’« orientation ».200. Selon ce linguiste, les complétives (complétives du verbe ainsi que celles du nom) et équivalentes, qui, d’un point de vue sémantico-logique, représentent des Noms de propositions, sont caractérisées par une orientation primaire vers l’action ou l’événement comme les noms abstraits d’une action ou de qualité, tandis que les relatives sont orientées vers un participant défini par un rôle particulier comme celui d’agent ou de patient ou de destinataire, etc. du procès exprimé par la forme verbale. Ainsi il dit qu’en français une relative qui chante dans l’homme qui chante est orientée vers l’agent tandis que, dans (je suis étonné) du fait qu’il chante, la complétive qu’il chante est orientée vers l’action ou l’événement201.

Bien entendu, pour effectuer cette analyse, il faut prendre en compte toutes les informations véhiculées par des éléments différents202 comme la valence du verbe subordonné, un marquage particulier, en l’occurrence qui et que, la structure interne de la subordonnée, le rapport de celle-ci avec le nom-pivot, la nature sémantico-référentielle du nom-pivot, etc., éléments qui servent à reconnaître l’orientation de la subordonnée en question par rapport au nom-pivot. D’un point de vue typologique, Lemaréchal (1997) montre que comme dans le cas des relatives, les complétives et équivalentes sont constituées par des segments de statut et de structure interne qui sont tout à fait différents selon les langues, mais il affirme que c’est l’orientation vers l’action qui apparaît comme un trait commun aux complétives ou équivalentes à travers les langues, tout comme c’est l’orientation vers un participant qui caractérise en commun les relatives des langues les plus diverses203.

On remarque ici que des linguistes expliquent, avec des termes différents dus souvent au cadre théorique dans lequel ils se situent, la différence de statut sémantico-référentiel entre relatives et complétives du nom par rapport à leur nom-pivot, alors que les idées qui en découlent sont plus ou moins identiques du fait qu’on reconnaît généralement qu’il y a une relation coréférentielle (ou anaphorique) partielle, comme le dit C. Muller (1996), entre le nom-pivot et un argument de la relative et une relation coréférentielle globale entre le nom-pivot et le contenu propositionnel de la complétive du nom. Le même type d’arguments se retrouve dans les descriptions données par des grammairiens et des linguistes coréens concernant la distinction sémantique entre ces deux types de propositions déterminatives.

Mais on ne peut accepter telle quelle cette distinction sémantico-référentielle sans émettre quelques réserves, notamment lorsqu’on a affaire à certains cas de relativisation des « circonstants » en coréen. Comme on l’a déjà observé dans le chapitre précédent, la différenciation entre la relativisation et la complémentation est ténue, faute de marque morphologique distincte, pour les équivalentes du coréen (→l’ex.46) des relatives en français standard où il y a relativisation des circonstants, comme :

Cette subordonnée relative française a pour équivalent en coréen la forme suivante :

Ce type de propositions déterminatives du coréen est ambigu au niveau sémantico-référentiel ainsi qu’au niveau structurel. En d’autres termes, on ne peut décider nettement si la subordonnée déterminative a une « orientation vers l’événement » (le cas des complétives du nom) ou une « orientation vers un participant » (le cas des relatives), si l’on reprend les termes de Lemaréchal (1997).

Nous avons vu qu’un problème d’analyse semblable pouvait se poser parfois en français, en particulier pour les subordonnées déterminatives introduites par que souvent employées dans le registre non-standard, ce qui est le cas de l’exemple (47) qui correspond à l’exemple (45) :

Il est intéressant de signaler au passage que le français connaît également, parallèlement à ces constructions, des constructions infinitives ayant, pour nom-pivot, les mêmes termes nominaux.

En montrant la possibilité de commutation entre les subordonnées déterminatives à verbe fini de l’ex. (47) et les complétives à l’infinitif de l’ex. (48), on peut analyser les premières comme des complétives du nom. Cependant, comme le feraient certains linguistes travaillant sur les relatives non-standard, il est également possible d’en faire des relatives, en les considérant comme des variantes de relatives non-standard qui correspondraient aux relatives standard illustrées par l’ex. (45). La question reste ouverte.

En réexaminant principalement les trois critères, structurel, morphologique et sémantico-référentiel qui sont généralement proposés pour différencier, au sein des propositions déterminatives, les relatives des complétives du nom, l’observation que nous avons faite dans cette section révèle que ceux-ci s’appliquent généralement de façon complémentaire, mais aucun d’eux ne constitue un critère décisif pour cette distinction dans les deux langues. Nous avons abordé plusieurs cas problématiques où ces critères deviennent peu opérants. Le coréen soulève en fait davantage de problèmes que le français, dus en particulier à la difficulté d’une part d’identifier les relatives par rapport aux complétives du nom, étant donné l’absence des marques morphologiques distinctes, et d’autre part de récupérer des constituants nominaux absents et de leur assigner le rôle syntaxique dans les subordonnées, étant donné leur ellipse fréquente en coréen. On a pu constater également en français quelques cas, bien plus rares qu’en coréen, où des problèmes d’analyse semblables se posaient. Tout ceci montre la complexité de l’analyse des relatives et des complétives du nom dans les deux langues qui laisse certaines questions sans réponses.

Notes
199.

Cela ne veut pas dire que tous les types de noms pouvant avoir pour modificateur une complétive aient une telle aptitude. En effet, on peut constater que certains noms ne le permettent pas : par exemple, Nous avons manifesté notre indignation qu’on lui ait permis d’entrer . →*Qu’on lui ait permis d’entrer est une indignation (exemple pris par C. Muller (1996, 33)

200.

Dans son ouvrage Zéro(s) (1997, 53), l’« orientation » est définie comme l’association d’une forme verbale (définie par la sous-classe à laquelle appartient la base verbale, par sa diathèse et sa voix) d’un rang (actant 1, 2, 3,...) d’un rôle (agent, patient, destinataire, etc.), et d’un marquage particulier (séquence, marque casuelle, relateur) à chacun des participants contrôlés par le verbe. Inspiré de la théorie tesniérienne de la valence, ce linguiste tente de préciser son modèle descriptif par la distinction entre rang (opposition sujet/objet) et rôle (opposition agent/patient/ destinataire, etc.) et par l’intégration de tout constituant (un marquage particulier, ordre des mots, etc.) contrôlé par le verbe en spécifiant le schéma valenciel pour les différentes formes verbales (sous-catégories, valence des bases et des formes marquées en diathèse (causative, applicative, etc.) et en voix (active, passive, etc.). Ainsi il parle d’« orientation primaire » de la forme verbale vers l’agent lorsque la forme verbale, en l’occurrence celle à l’actif, assigne au premier actant le rôle d’agent, d’« orientation secondaire » vers le patient, lorsque la forme verbale, en l’occurrence un verbe transitif à l’actif, assigne au second actant le rôle de patient, et ainsi de suite. Dans le modèle, cette notion d’orientation comme celle de valence, ne se limitent pas aux formes verbales, et s’étendent également aux noms et aux subordonnées comme les relatives ou les complétives. Pour des détails supplémentaires, nous renvoyons le lecteur en particulier aux deux ouvrages, Les parties du discours, Sémantique et syntaxique (1989), Paris, PUF et Zéro(s) (1997), Paris, PUF.

201.

On comprend dans cet exemple que lorsque Lemaréchal parle d’orientation de la relative vers l’agent il s’agit là de la relativisation de la fonction sujet. Si la plupart des analyses du rôle du terme nominal relativisé portent généralement sur la fonction syntaxique que celui-ci assume dans la relative, (sujet, objet, complément datif, etc.), ce linguiste opte pour en parler en termes sémantiques comme agent, patient, expérienceur, etc. Mais il nous semble qu’une telle approche sémantique du rôle du terme nominal relativisé présente certains inconvénients. Pour n’en citer qu’un, prenons par exemple, des relatives du français par qui comme l’homme qui chante / l’homme qui reçoit des coups / l’homme qui ressent la douleur dans son poumon. Au niveau purement sémantique, le terme nominal relativisé l’homme peut être tantôt l’agent, le patient, l’expérienceur du procès exprimé par le verbe subordonné de chacune de ces relatives, alors qu’au niveau syntaxique, il est simple de dire que c’est la fonction de sujet qui est également relativisée dans les trois cas, quel que soit son rôle sémantique dans chaque cas. De plus, parler du rôle du terme nominal relativisé en termes purement sémantiques ne permet pas de rendre compte de la spécificité du système des pronoms relatifs du français qui varient, en fait, selon la fonction syntaxique du terme nominal relativisé et non selon le rôle sémantique de celui-ci. Ainsi, si l’analyse de qui comme marque d’orientation dans les exemples présentés ci-dessus est possible, c’est bien qu’elle indique l’orientation vers la fonction de sujet du terme nominal relativisé dans chaque cas et non vers son rôle sémantique comme celui d’agent ou celui de patient ou encore d’expérienceur.

202.

A. Lemaréchal parle de ces éléments en termes de marques qu’il distingue en marques segmentales, en marques catégorielles, en marques intégratives et séquentielles, etc.

203.

Pour des détails supplémentaires, cf. Lemaréchal Zéro(s) notamment le chapitre V-2 « l’orientation des propositions » pp136-149