7-4-2 Détermination en coréen et verbalisation en français

Les exemples suivants montrent la forte tendance du coréen à mettre en oeuvre des subordonnées déterminatives non-relatives qui ont pour rôle de spécifier un nom en tête, là où le français utilise des constructions notamment prédicatives. Le cas illustré par ces exemples peut être envisagé en continuité avec l’analyse effectuée du cas précédent, selon laquelle les subordonnées déterminatives non-relatives du coréen se trouvent souvent transformées en d’autres formes linguistiques dans le passage du coréen au français, du fait que le coréen offre une plus grande souplesse d’emploi des constructions déterminatives ayant comme noyau des noms de catégories référentielles variées, que le français. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est de relever qu’au delà de cette différence structurelle, existe également une différence qui se manifeste au niveau de la mise en discours de ce type de constructions déterminatives dans les deux langues. On peut mettre à jour cette différence en s’interrogeant sur les rôles que ces constructions pourraient assumer en discours, par exemple sur le plan informationnel.

Observons d’abord des exemples :

En coréen, le terme nominal [kokye] (acrobatie) est déterminé par la subordonnée déterminative « que (les hirondelles) remontaient d’un seul coup en l’air juste au dessus de ma tête » en spécifiant sémantiquement le référent de ce terme nominal qui assume la fonction d’objet dans la principale «Elles faisaient des acrobaties (que P) ». En revanche, dans la traduction française, cette relation syntaxique entre proposition principale et proposition subordonnée qui s’observe en coréen est, en quelque sorte, inversée : le fait décrit dans la subordonnée du coréen est exprimé en français par une proposition principale, tandis que le terme nominal [kokye] (acrobatie), repris, fait partie d’une subordonnée au gérondif où il est l’objet du verbe faisant.

Dans l’exemple suivant, pour le même type de subordonnée coréenne, le passage en français est effectué un peu différemment.

Si le terme nominal déterminé [case] (attitude) n’est pas rendu dans la traduction française, le fait exprimé en coréen par la subordonnée « que j’étais debout en face à la montagne / d’être debout en face à la montagne » qui caractérise sémantiquement ce nom-pivot, est traduit sous la forme d’une construction participiale détachée Debout face à la montagne, où le verbe participiale étant reste implicite.

Il est essentiel de remarquer dans ces deux exemples la propension du coréen à utiliser des propositions déterminatives suivies de noms, là où le français met souvent en jeu des constructions prédicatives. Cette tendance se confirme d’une façon plus convaincante dans le passage du français en coréen. En effet, comme en témoignent les exemples suivants que nous avons empruntés au texte français Immortalité, de Kundera, et leur traduction coréenne, le procès exprimé au moyen d’une construction prédicative en français est reformulé en coréen sous la forme d’une construction déterminative.

Cet exemple correspond exactement à celui de l’ex. (62) que l’on vient de voir. L’unité phrastique son père se tint assis qui apparaît comme indépendante en français est rendue en coréen sous la forme d’une subordonnée déterminant le nom [case] (position), nom qui a été introduit par le traducteur. Il en va de même dans l’exemple suivant.

On voit que l’événement qui est décrit en français au moyen d’une phrase indépendante est exprimé par une subordonnée déterminative suivi du nom [caNmyOn] (image ou scène) que celle-ci spécifie dans la traduction coréenne. Ceci a pour effet que si en français l’événement exprimé par une phrase indépendante est envisagé en tant que tel au premier plan, en revanche, en coréen cet événement est relégué au second plan en faveur de la modalité d’appréhension de celui-ci explicitée par le nom-pivot [caNmyOn] (image ou scène).

Par ailleurs, si l’on prend en compte le rapport de l’énoncé en question avec l’énoncé précédent dans le contexte donné, l’énoncé coréen « c’est l’image qu’un avion en flamme était tombé dans la foule des spectateurs » comme l’énoncé français « Un avion en flamme était tombé dans la foule des spectateurs » ont ceci de commun sur le plan informationnel d’apporter une nouvelle information à ce qui est dit dans l’énoncé précédent. Ils constituent donc une partie rhématique. Mais la construction mise en oeuvre pour véhiculer cette nouvelle information  est par contre différente d’une langue à l’autre : en l’occurrence, le français opte pour une unité phrastique indépendante (P) et le coréen opte pour une construction du type (C’est N + prop. déterminative).

En effet, dans une perspective informationnelle, il nous semble que ce cas est particulièrement intéressant, dans la mesure où celui-ci (C’est l’image que P) est construit selon le schème prédicatif du type [A est B] et que c’est conformément à ce schème prédicatif que se réalise souvent la répartition de l’information en thème et en rhème. Lorsque A et B sont des éléments de statut propositionnel, il s’avère que ces derniers prennent souvent la forme d’une séquence [Proposition déterminative + N], ou bien la forme d’une proposition nominale. De là, on peut supposer que la propension à organiser les énoncés selon le schème informatif [Thème-Rhème] en coréen, tendance qui est largement attestée, a une incidence sur l’occurrence fréquente des propositions déterminatives dans cette langue.

Pour justifier cette idée, il faudrait une étude plus approfondie des propositions déterminatives dans une perspective informationnelle. Pour ce faire, on doit évidemment prendre en considération le cadre textuel étendu, ce que nous ne pouvons envisager ici. Mais l’ex. (64) a permis de voir du moins que l’utilisation fréquente des propositions déterminatives en coréen a sans doute un lien étroit avec l’organisation des énoncés qui tend à se faire en fonction de l’organisation informative plutôt qu’en fonction de l’organisation syntaxique.