7-4-4 Les complétives du nom et les relatives à relatif prépositionnel

On a vu précédemment que les types de catégories référentielles des noms abstraits susceptibles d’être déterminés par une subordonnée déterminative non-relative, à savoir une complétive du nom, étaient tellement variés en coréen qu’on ne pouvait en établir la liste. Il est intéressant de constater l’existence d’une certaine corrélation entre l’utilisation des deux types de propositions déterminatives, relatives et complétives du nom, et celle des types de noms pouvant devenir nom-pivot, tels que les noms concrets (ceux désignant la « personne » ou l’« objet ») et les noms abstrait (ceux liés à la « notion », la « connaissance », le « discours », la « sensation », etc.). En effet, nous avons observé dans une partie du chapitre précédent consacrée à la relativisation des circonstants qu’en coréen, la relativisation d’un nom concret était possible lorsque celui-ci fonctionnait dans des positions syntaxiques nucléaires comme le sujet ou l’objet, ou bien le complément datif, mais elle était difficile lorsqu’il assumait certains types de rôles circonstanciels. Par contre, lorsque le nom-pivot est un nom abstrait impliquant certaines notions de circonstances (« temps », « lieu », « raison », « manière », « but », etc.), seulement et si seulement on admettait la relativisation des circonstants dans ces cas-là, la relativisation des différents types de rôles circonstanciels est relativement facile. Mais nous avons tenu ce propos avec quelques réserves, du fait que ce sont des cas de détermination où la distinction entre relativisation et complémentation est ténue en l’absence de toute marque formelle distincte. D’où l’idée de présenter ces cas de détermination sur un continuum entre la relativisation et la complémentation.

Nous avons vérifié de plus à travers l’examen de quelques exemples de traduction entre français et coréen que là où en français il y a relativisation d’un nom concret assumant un rôle circonstanciel marqué par un relatif prépositionnel (par exemple, la personne pour qui je travaille), la subordonnée relative est souvent traduite en coréen par une coordonnée ou une phrase indépendante dans laquelle le terme relativisé en français est repris sous la forme d’un complément de bénéficiaire avec une particule adéquate, comme si l’énoncé français de départ était Je travaille pour cette personne. Pour la relativisation des circonstants à relatifs prépositionnels en français, mais avec, pour nom-pivot, un nom abstrait, sa traduction en coréen se fait parfois de la façon qu’on vient de présenter, mais souvent ces relatives sont rendues par des subordonnées déterminatives qui sont généralement analysables comme des complétives du nom, non sans ambiguïtés.

De même, on constate que là où le nom abstrait est déterminé par une complétive du nom en coréen, le nom correspondant est spécifié par une relative à relatif prépositionnel en français.

Alors qu’en français les noms-pivot métadiscursifs, information et conclusion, sont déterminés par des relatives introduites par selon laquelle et suivant laquelle, relatifs prépositionnels de sens proche, en coréen les noms correspondants [iyaki] (histoire) et [kyOllon] (conclusion) sont déterminés par des complétives du nom à forme verbale longue (avec suffixe terminatif).

On voit ici qu’il est plutôt aisé de traduire des relatives à relatif prépositionnel du français par des subordonnées déterminatives en coréen tout en gardant la construction de détermination, lorsque le nom-pivot qu’elles déterminent relève des noms abstraits.

D’ailleurs, la comparaison entre ces relatives ayant pour nom-pivot des noms abstraits, en rapport avec les complétives du nom, et des subordonnées déterminatives correspondantes qui peuvent être analysées, selon les cas, tantôt comme des relatives à circonstant relativisé, tantôt comme des complétives du nom, amène à faire les deux remarques essentielles suivantes.

Premièrement, comme G. Chevalier et J-M Léard (1994) l’ont fait remarquer, on peut observer que dans certains contextes, le nom-pivot étant le même, la complétive du nom [N + que + P] est concurrencée par une relative à relatif prépositionnel, souvent [N + selon lequel + P], ou encore [N + en vertu duquel + P] : [l’idée + que / selon laquelle + P], [l’hypothèse + que / selon laquelle + P], [l’avis + que / selon lequel + P], [la règle + que / selon laquelle + P], etc. (les ex. (73b-c) sont empruntés à G. Chevalier et J-M Léard (1994, 59))

Comme le suggèrent ces deux linguistes, une étude plus approfondie devrait être envisagée sur ces faits, en s’interrogeant notamment sur l’incidence que peut exercer une telle alternance entre relatives à relatif prépositionnel et complétives du nom sur les aspects syntaxiques et sémantiques.

La deuxième remarque concerne le fait que ces relatives peuvent déterminer des catégories référentielles de noms abstraits beaucoup plus variées que les complétives du nom. En effet, nous avons vu qu’en français il n’y avait qu’un nombre assez réduit de noms abstraits, souvent de sens métadiscursifs, qui pouvaient avoir comme déterminant propositionnel des complétives conjonctives introduites par que, alors que les relatives ne connaissaient pas une telle restriction sur le choix des noms qu’elles peuvent déterminer, qu’ils soient du type abstrait ou concret. Lié à ce fait, l’observation de certaines relatives introduites par un relatif prépositionnel, notamment selon lequel / laquelle, nous amène à penser que celles-ci pourraient s’employer parfois en guise de complétives du nom, lorsque l’utilisation de ces dernières n’est pas possible en présence d’un nom abstrait quelconque.

Ainsi les quelques exemples suivants, que nous avons relevés dans le texte de L-J Calvet (op. cit.), montrent des relatives à relatif prépositionnel qui sont enchâssées dans des noms abstraits ne pouvant être déterminés par une complétive introduite par que.

La présence des relatifs prépositionnels selon laquelle et au sein de laquelle devant les subordonnées permet de dire que celles-ci sont des relatives et non des complétives du nom. Certes, ces relatifs prépositionnels indiquent précisément le rôle argumental que pourrait avoir le nom-pivot à l’intérieur de la subordonnée relative. Mais, si l’on observe le rapport sémantico-référentiel qui s’établit entre le nom-pivot et la subordonnée en question, on pourrait dire que cette subordonnée spécifie le contenu référentiel du nom-pivot, tout comme le ferait une complétive du nom. De ce point de vue, mise à part la présence du relatif prépositionnel, la différence entre les relatives telles qu’elles sont données dans les exemples cités et les complétives du nom paraît minime. On peut ainsi faire l’hypothèse selon laquelle, vu que la mise en oeuvre des complétives est normalement impossible après les termes nominaux information, phrase, vision, les relatives souvent introduites par selon laquelle /lequel, seraient utilisées en guise de complétives du nom, afin de déterminer un nom, donc de spécifier et caractériser son référent, ce qui est avant tout le rôle commun de ces deux types de propositions déterminatives.

Les relatives dans les ex. (74a-b-c) sont toutes traduites en coréen par des propositions déterminatives.

Le même constat pourrait être fait concernant certains emplois des relatives introduites par le relatif simple . En fait, ces relatives déterminent en général des noms de sens lexical temporel et locatif. Toutefois, il arrive que les relatives en ont pour nom-pivot des noms abstraits « locatifs » pris dans un sens métaphorique.

Certes, la présence du relatif indique formellement que le nom-pivot qui le précède aurait un rôle argumental à jouer, en l’occurrence celui d’un circonstant locatif, dans la subordonnée que ce relatif introduit. Mais si on considère le sens du nom-pivot dans chaque exemple, on constate que le sens locatif ou temporel est plus marqué lexicalement pour le nom-pivot région ou encore (un peu moins) situation que pour les noms-pivot la colonisation et les lettres.

Signalons au passage que Grevisse (1986 §696) a déjà fait remarquer que se substituait parfois à la conjonction que introduisant une complétive dans les exemples suivants :

Par ailleurs, dans certaines expressions figées comme dans le sens où P, dans la mesure où P, etc., on peut également retrouver des noms tels que sens, mesure n’ayant pas de sens lexical locatif et qui sont antéposés au relatif , qui aurait pu être la conjonction que.

Si les subordonnées déterminatives introduites par le relatif avec un nom-pivot abstrait, lexicalement non marqué par un sens locatif ou temporel, s’analysent comme des relatives en présence de ce relatif, celles qui apparaîtraient comme leurs correspondantes en coréen sont plutôt des complétives du nom que des relatives. En tout cas, dès que le nom-pivot relève du type abstrait et qu’il ne correspond à aucune position argumentale nucléaire dans la subordonnée qui le détermine, il est souvent difficile, comme nous l’avons dit plus haut, de savoir si l’on a affaire à une relative ou à une complétive du nom. De là on peut supposer les difficultés qu’un traducteur pourrait rencontrer, lorsqu’il a à traduire en français de telles subordonnées déterminatives, étant donné que celles-ci entretiennent une relation assez floue avec le nom-pivot contrairement à leurs correspondantes du français dont la relation avec le nom-pivot doit être spécifiée soit au moyen d’un relatif d’une forme précise, soit au moyen d’une conjonction que.

L’observation de ces quelques cas a permis de voir, ne serait ce que partiellement, quelles sont les réalisations induites par le passage réelle de ces subordonnées d’une langue à l’autre et quels problèmes de traduction ce passage engendre. Il apparaît en particulier essentiel de retenir que l’analyse linguistique — syntaxique, morphologique et sémantique — des propositions déterminatives, relatives et complétives du nom, entre les deux langues ne peut totalement faire l’économie de la prise en compte de l’activité de traduction. On a pu constater en effet que certains problèmes rencontrés à plusieurs niveaux par les linguistes dans l’analyse des subordonnées déterminatives, notamment celles du coréen, pouvaient devenir des problèmes de traduction qu’un traducteur peut lui-même affronter. Par ailleurs, parmi les cas de traduction observés, le second (« détermination en coréen et verbalisation en français ») nous a permis d’apercevoir que les subordonnées déterminatives ont des emplois discursifs différents d’une langue à l’autre, et qu’il serait pertinent d’étudier leurs rôles non seulement sur les plans syntaxiques et sémantiques, mais aussi sur les plans discursifs, énonciatifs, ou encore pragmatiques.

Notes
210.

Il faut préciser qu’étant donné que les complétives du nom introduites par que et des relatives marquées par certaines formes de relatifs prépositionnels que nous allons voir sont liées à certains types sémantiques de noms abstraits (de discours, de connaissance, etc.) qui peuvent devenir leur nom-pivot, leur occurrence est généralement plus fréquente dans des textes scientifiques, argumentatifs ou explicatifs que dans des textes littéraires.