8-2 Propositions de formes déterminatives avec ND ordinaires en coréen et les relatives périphrastiques en français

Comme nous l’avons dit, les ND ordinaires ont des propriétés sémantiques et syntaxiques assez « autonomes » relativement aux autres types de noms dépendants qui vont suivre : en emploi grammatical, ils peuvent exercer toutes les fonctions grammaticales, sujet, objet, complément circonstanciel, et ceci, bien entendu, à condition qu’ils soient précédés d’un déterminant quelconque ; en emploi sémantique, ils désignent des notions telles que la « personne », « objet », « temps », « lieu » et « direction » etc., conservant plus ou moins leur propre signification originelle. Bref, contrairement aux autres types de noms dépendants qui connaissent de fortes contraintes de sélection des éléments qui les entourent, les ND ordinaires construisent avec ces éléments avoisinants des formes de constructions plutôt libres et non tout à fait figées.

Il est important de souligner que certains ND ordinaires ont des noms indépendants correspondants qui renvoient aux mêmes notions et fonctionnent comme les substituts de ces derniers. Par exemple,

Notions Nom indépendants Noms dépendants
Personne kI - salam (cette personne)
kI -yOca (cette femme)
kI-OlIn(cette personne respectueuse )
kI -i /ca (Il / celui-là)
kI -nyO (Elle / celle-là)
kI-pun(celui/celle-là+honorifique)
objet (+objet de pensée aussi) kI - mulkOn (cet objet) kI -kOs (ce/cela)
Temps kI - sunkan (cet instant) kI -ttE (ce moment-là)
Lieu kI - caNso (cet endroit) kI -kos (cet endroit-là)
Direction kI - paNhyaN (cette direction) kI -ccok (ce côté-là)
kI -pyOn (ce côté-là)

Il est utile de préciser que beaucoup de grammaires du coréen présentent les formes des colonnes « personne » et « objet » de ce tableau comme des pronoms personnels de troisième personne ([kI-i] (il / celui-là) (plus souvent [kI] tout simplement), [kI-nyO] (elle / celle-là) et [kI-pun] avec un sens honorifique (il / elle / celui / celle-là + sens honorifique) et comme pronom démonstratif ([kI-kOs] (ce/cela)). S’il en est ainsi, ces grammaires ont tort, nous semble-t-il, de ne pas considérer comme pronoms substituts les autres formes du tableau [kI-ttE] (ce moment-là), [kI-kos] (cet endroit-là), et [kI-ccok] (ce côté-là), car celles-ci sont composées, elles aussi, du démonstratif médian [kI-] et du nom dépendant et peuvent également se substituer aux noms indépendants qui leur correspondent référentiellement. Dans ce sens, on pourrait reconnaître en coréen la présence non seulement de substituts spécifiques qui représentent les notions de « personne » et d’« objet » (y compris l’objet de pensée), mais aussi des substituts qui impliquent des notions de « temps », « lieu » et « direction ».

Il n’est pas question de débattre sur l’opportunité de traiter toutes ces formes composées de démonstratifs et de noms dépendants comme des pronoms dans le système du coréen215. L’essentiel est de remarquer qu’il est tout à fait arbitraire que dans la description courante du coréen on présente les formes représentant les concepts « personne » et « objet », seules considérées traditionnellement comme des pronoms substituts, différemment de celles qui représentent d’autres concepts, alors qu’elles ont les mêmes comportements fonctionnels.

Ce qui nous intéresse ici particulièrement concerne le cas où les ND ordinaires cités plus haut dans le tableau se trouvent postposés par les propositions de formes déterminatives que nous estimons assimilables aux relatives sur certains points :

Les segments soulignés, comportant des formes propositionnelles en suffixe déterminatif et des noms dépendants, occupent des positions argumentales différentes dans la phrase complexe où ils figurent. Dans ces segments, les constructions précédant les noms dépendants sont des propositions déterminatives nécessaires ici à l’actualisation de ces noms qui exigent par nature la présence d’un déterminant quelconque devant eux. Chacune est reliée au nom dépendant qui lui sert de nom-tête par un rapport d’interdépendance, c’est-à-dire que l’un ne peut exister sans l’autre. La proposition déterminative ainsi formée possède des caractéristiques semblables à celle de la relative qui a pour nom-tête des noms indépendants. Outre le marquage de sa forme verbale par le suffixe déterminatif qui est variable selon la valeur aspectuelle de celle-ci, cette proposition déterminative entretient avec le nom dépendant un rapport sémantique de type événement-participant identique à celui entre la relative et le nom indépendant ; d’un point de vue structurel et non plus sémantique, elle présente, comme la relative, une configuration caractérisée par l’absence d’un terme nominal (ce qui est indiqué entre parenthèses) supposé identique au nom-tête.

Sur ce dernier point, il faut toutefois noter que si l’on admet comme relative la proposition en question, lorsque le nom dépendant apparaît en position de nom-tête, il est quelque peu difficile de postuler l’effacement d’un nom dépendant identique à ce dernier dans cette proposition, car si on le restituait dans une position nominale de celle-ci, ce nom dépendant ne pourrait pas, faute d’autonomie, s’y trouver seul. Ceci dit, si l’on peut parler tout de même ici de l’identité des deux noms dépendants, l’un, nom-tête appartenant à la principale et l’autre, constituant supposé effacé dans la subordonnée, c’est uniquement dans la mesure où l’on considère cette identité comme une condition syntaxique nécessaire à la mise en oeuvre de la relativisation, abstraction faite des caractéristiques concrètes de ces noms.

En fait, le même constat peut s’effectuer pour les constructions du français dites « relatives périphrastiques » qui sont comparables aux constructions du coréen que nous venons de voir. Il s’agit de relatives qui ont pour nom-tête les pronoms démonstratifs celui, variables en genre et en nombre selon le référent (celui / celle / ceux / celles), ou ce invariable. Prenons par exemple la traduction française des exemples (7a) et (7b) :

Tout comme ce qui se produit entre les noms dépendants et leurs propositions déterminatives en coréen, les démonstratifs celui et ce ne pourront pas fonctionner si on supprime les relatives adjacentes. Si c’était le cas, tout comme les noms dépendants qui nécessiteraient comme support un déterminant, celui et ce auraient besoin, chacun, d’un support -ci ou - (la) (celui-ci/ celui-là et ceci/cela). Eux aussi, ils dépendent de ces relatives autant que celles-ci en dépendent. Le référent auquel chacun de ces démonstratifs renvoie reste virtuel et n’est donné que par la relative. Avec celle-ci, celui représente une personne et ce, une chose. A ces relatives périphrastiques certains auteurs ajoutent la relative ayant pour antécédent l’adverbe de lieu : J’irai où tu vas. Toutefois a davantage d’autonomie que les deux premiers. De plus, à la différence des relatives périphrastiques précédées de celui et ce qui peuvent occuper toutes les positions argumentales, celle précédée de est confinée dans le rôle de subordonnée circonstancielle dans la phrase complexe où elle apparaît. Dans ce sens, pourquoi ne pas considérer comme un démonstratif de lieu, ce que ne fait pas la grammaire traditionnelle ?

D’un point de vue contrastif, ces relatives périphrastiques du français sont proches des propositions déterminatives précédées de noms dépendants du coréen qu’on vient de voir, en ce qu’elles construisent avec les éléments posés à la place de nom-tête des formes de constructions étroitement « liées » par leur interdépendance et qui sont partiellement semblables aux constructions de relatives prototypiques de chacune de ces langues. Si on confronte ces éléments situés en position de nom-tête, démonstratifs celui, ce et en français et noms dépendants cités ci-dessus en coréen, les seconds représentent des notions plus variées que les premiers : comme nous l’avons vu, il existe non seulement des noms dépendants de personne, de chose et de lieu, auxquels correspondent respectivement celui, ce et , mais aussi des noms dépendants de temps et de direction.

Les noms dépendants spatio-temporels désignant le temps, le lieu, la direction, etc., outre ceux que nous avons présentés dans le tableau, sont très nombreux : [aph] (devant), [twi] (derrière), [hu] (derrière, après), [wi] (le dessus), [alE] (le dessous), [toNan] (le durée, pendant), etc216. Si les segments qu’ils accompagnent, qu’ils soient de type nominal ou de type propositionnel, peuvent exercer toutes les fonctions grammaticales, cet ensemble de construction tend cependant à assumer fréquemment la fonction circonstancielle, étant donné le sémantisme inhérent à ces noms dépendants. Dans cette position, les ND spatio-temporels, comme les ND à caractère adverbial que nous allons voir dans la section suivante, s’emploient le plus souvent avec la particule casuelle [e] (équivalent de ‘à’) et occasionnellement avec des particules autres que nominatives et accusatives pour former des locutions qui fonctionnent comme les marqueurs des segments en fonction circonstancielle. C’est ce que nous allons voir plus précisément.

Notes
215.

Pour les formes de noms dépendants que nous venons de voir dans le tableau, il nous semble que s’il est possible de les présenter comme des substituts pronominaux, il est également possible de les traiter comme des substituts lexicaux. Ces deux possibilités d’analyse relèvent même des caractéristiques des noms dépendants qui se trouvent grosso modo dans une étape intermédiaire dans le processus de grammaticalisation des noms.

216.

Dans cette classe de noms dépendants sont rangés un certain nombre de noms qui ont encore leur autonomie. Les noms coréens autochtones et sino-coréens y coexistent et expriment la même chose : [aph] = [cOn] (devantt, avant) [twi] = [hu] (derrière, après), [an] = [nE] (intérieur, dedans), [palk] = [we] (extérieur, dehors), etc.