8-4 Propositions de formes déterminatives avec ND à caractère verbal en tant qu’expressions aspectuelles et modales

Si nous avons vu jusqu’ici le cas où les ND, précédés de propositions de formes déterminatives, interviennent dans le cadre de la syntaxe des phrases complexes du coréen, ce que nous allons observer à présent relève du cas où ils participent plutôt à la formation des formes verbales complexes. Examinons d’abord le segment souligné dans l’énoncé suivant :

Dans le segment souligné de cet exemple qui est une forme verbale complexe, sont agglutinés des verbes successifs qui sont eux-mêmes formés d’éléments divers ayant des statuts différents:

Le ND à caractère verbal [pp O n], qui ne signifie rien ou presque à lui seul, construit en association avec le suffixe déterminatif [(I)l] et le verbe [hata], cette dernière locution verbale ayant la signification de ‘faillir’.

D’autres ND à caractère verbal [su] (possibilité), [ttalIm, ppun] (ne faire que), [moyaN] (forme, aspect), [yaN, chOk, che] (semblance), [tIs] (ressemblance), etc., et quelques ND ordinaires comme [kOs] se rattachent, parfois par l’intermédiaire d’une particule, à un nombre de verbes limité tels que [i-ta] (être), [iss-ta] (exister), [ha-ta] (faire) ou la forme négative de chacun de ces verbes [ani-ta] (ne pas être), [Ops-ta] (ne pas exister), [anha-ta] ou [hacianh-ta] (ne pas faire), etc. Comme le verbe [ha-ta] dans la locution [(I)l-ppOn-hata], ces verbes sont dépourvus de leur sens lexical plein et s’emploient dans ce cas comme « verbalisant » du nom dépendant lié, alors que dans leur emploi habituel où ils ont leur sens lexical plein, ils fonctionnent comme centre organisateur des arguments nominaux dans une structure phrastique. De ce fait, on peut les appeler « verbes supports » comme les verbes français partiellement comparables tels que ‘faire, être, avoir, etc. qui, à côté de leur emploi habituel, peuvent tantôt avoir un emploi de verbes auxiliaires (avoir acheté, être acheté, faire acheter), tantôt construire avec un nom ou un adjectif des formes complexes fonctionnellement équivalentes à un verbe (rendre service à aider / avoir peur de craindre). Pourtant, en coréen les locutions ainsi formées n’ont pas encore la capacité de fonctionner en tant que verbes autonomes au sens plein, et se font donc précéder de verbes, le plus souvent de formes déterminatives, marqués par l’un des suffixes déterminatifs [nIn/In/Il] (le choix entre ces trois suffixes est souvent imposé) et parfois de formes nominalisées à l’aide du suffixe nominalisant [ki]. Et, comme nous l’avons constaté dans l’exemple (17), l’ensemble constitue donc des formes verbales complexes dans lesquelles la locution verbale est utilisée comme un auxiliaire relativement au verbe précédent de forme déterminative ou de forme nominalisée utilisé comme verbe principal.

Quels sont alors les rôles de ces locutions formées de « verbes supports » en association avec les ND ? Nous ne pouvons pas rendre compte ici du rôle détaillé de chacune des locutions qui sont trop nombreuses. Mais on peut dire globalement que beaucoup d’entre elles permettent au locuteur d’exprimer son attitude subjective vis-à-vis du contenu de son énoncé et certaines d’indiquer des valeurs aspectuelles. En somme, c’est l’un des moyens linguistiques qui, sous forme de locutions verbales, marquent d’une part des valeurs modales et, d’autre part, des valeurs aspectuelles.

Prenons par exemple quelques locutions qui expriment des valeurs aspectuelles.

Dans l’exemple (a-1), l’expression [~(n I n)- cu N -i-ta] marque le procès en cours de réalisation. Vu que le ND [cuN] est à l’origine un nom sino-coréen ayant la signification « milieu » ou « centre », on comprend mieux le fait que cette expression verbale soit destinée à marquer l’aspect progressif du procès exprimé par l’énoncé. Elle correspond à la forme périphrastique française ‘être en train de’. Mais dans la traduction littéraire, elle est rendue par le semi-auxiliairecontinuer à’ qui saisit aussi le procès en cours de développement. Quant à l’expression [~(ki)-sicak-ha-ta] de l’exemple (b-1), elle indique un procès saisi au début, donc l’aspect inchoatif, tout comme les expressions françaises correspondantes ‘commencer à’ ou ‘se mettre à’. Cette forme verbale a la particularité de se combiner avec le verbe marqué par le suffixe nominalisant [ki] qui le précède. L’expression [~(I n)-c O k-i- O ps- O ss-ta] de l’exemple (c-1) indique un procès accompli dans le temps passé. Plus précisément, l’expression [~(In) c O k-i-iss / O ps-ta] permet de dire que le procès est perçu comme une expérience vécue ou non dans le temps passé, et ceci peut s’expliquer par la signification de cette expression qui se traduit littéralement ainsi : « (cet enfant) n’a pas eu le moment d’(avoir vu son père)».

En ce qui concerne l’expression [~( I l)-k O s-i-ipnita] de l’exemple (d-1), on peut dire qu’elle marque un procès à venir. Rappelons que cette expression [~( I l)-k O s-i-(ipni)ta] est traitée traditionnellement comme une expression du futur de forme verbale périphrastique, concurrencée par le suffixe verbal appelé également de « futur » [kess]. Il ne faut pas oublier que cette expression du futur se charge de différentes valeurs modales telles que la probabilité ou l’incertitude ou la supposition, associées à l’avenir, ce qui est par excellence le cas de l’exemple (d-1), énoncé exprimé lors d’une prévision météorologique. Cependant, elle est davantage apte à exprimer intrinsèquement des valeurs modales qu’une valeur temporelle de futur, qui apparaît du reste qu’occasionnellement selon le contexte. Cette expression peut s’employer pour un événement qui s’est déroulé dans le temps passé, comme dans l’exemple suivant. Dans ce cas, elle n’indique qu’une valeur modale de probabilité ou de supposition sans marquer de valeur temporelle futur.

Il s’agit d’un énoncé formulé par un narrateur qui parle de sa mère en se rappelant son enfance. Complètement démunie de valeur temporelle, l’expression [~( I l)-k O s-i-ta] indique ici clairement une valeur modale de probabilité. Elle est rendue en français par le verbe auxiliaire modal ‘devoir’ dans la traduction littéraire.

Beaucoup de locutions verbales sont construites de la même façon selon le schème [V-sd-ND-verbe support] et ont pour rôle d’exprimer les différentes attitudes subjectives du locuteur vis-à-vis du contenu d’une proposition. Nous attribuons au contenu propositionnel et à la modalité le même sens que Ch. Bally donne à « dictum », contenu propositionnel, ou procès pur et simple considéré comme débarrassé de toute intervention du locuteur, et à « modus », modalité qui indique la position du locuteur par rapport à la réalité du contenu propositionnel exprimé219.

Observons quelques exemples que nous avons relevés dans notre corpus.

Dans ces exemples, les locutions soulignées permettent au locuteur d’exprimer certaines attitudes évaluatives ou appréciatives par rapport au contenu propositionnel de son énoncé. Dans la traduction française littéraire, les diverses nuances de valeurs modales qu’expriment ces expressions sont rendues par les traductrices à l’aide de différents moyens linguistiques : des verbes auxiliaires ‘devoir (←V-n - moya N -i-ta), arriver à (←V-l - ciky ON -i-ta), ‘ne pas pouvoir (←V-l-su-ka- O ps-ta); une locution de perception introduisant la complétive comme ‘avoir l’impression que (←V-n I n-t I s-ha-ta) ; un adverbe de négation sélective ‘ne—que’ (←V-l-ppun-i-ta).

Notes
219.

Ch. Bally (1965, rééd.)Linguistique générale et linguistique française, Berne, Franck.