3.1. Robin Lakoff

Pour Lakoff, la communication humaine a deux fonctions majeures qui sont de transmettre les informations, d’une part, et d’autre part, d’établir et maintenir la relation interpersonnelle. Cette dernière fonction dépend largement de la notion de politesse, comme la définit Lakoff (1990 : 34) :

‘«Politeness is a system of interpersonal relations designed to facilitate interaction by minimizing the potential for conflict and confrontation inherent in all human interchange.»’

Lakoff, pour la description des phénomènes de politesse, est motivée par la notion d’acceptabilité d’une phrase. Elle note que le contexte doit être considéré pour juger la grammaticalité d’une phrase. En analysant le contexte, elle formule deux types de règles qu’elle appelle les «règles de compétence pragmatique»10 :

  • - Soyez clair (’Be clear’)

  • - Soyez poli (’Be polite’)

Si le but communicatif est de transmettre une information ou une idée du locuteur, celui-ci se concentre sur la première règle (’soyez clair’) plutôt que sur la deuxième (’soyez poli’). Si ce but est au contraire d’établir, maintenir, et renforcer la relation interpersonnelle, le locuteur va fixer au contraire son attention sur l’expression de la politesse. Le dosage entre la politesse et la clarté s’effectue souvent dans un continuum, mais l’une peut prendre nettement le pas sur l’autre dans certaines situations. Dans une conversation très informelle, il est ainsi plus important d’établir et maintenir la relation interpersonnelle que de transmettre l’information, puisqu’il est plus fondamental d’éviter l’offense que d’obtenir la clarté11. Lakoff divise enfin les discours en deux types : ceux qui ont explicitement pour but de communiquer des informations, et ceux qui sont orientés vers l’interaction elle-même, en mettant l’accent sur la relation à la politesse :

‘«The more interactive a type of discourse is, the more it will require adherence to politeness rules.»12

Lakoff considère que les maximes de conversation de Grice conviennent comme ’règles de clarté’ pour le premier type de discours. Pour rendre compte du deuxième type de discours, elle propose les trois sous-règles qu’elle appelle ’les règles de politesse’ :

  1. 1. Don’t impose. (’N’imposez pas’)

  2. 2. Give options. (’Laissez le choix’)

  3. 3. Make A feel good – be friendly (’Mettez l’autre à l’aise – soyez amical’) 13

La satisfaction de ces règles dépend partiellement du pouvoir relatif et de l’intimité ou de la distance entre locuteur et interlocuteur. La règle (1) est en général appliquée dans une situation de communication entre des interlocuteurs qui maintiennent une distance sociale. En d’autres termes, elle correspond aux formalités de politesse qui leur permettent de garder leurs distances, marquées par l’utilisation des termes d’adresse ou le niveau de langue (vous-politesse). La règle (2), en laissant à l’interlocuteur la possibilité du choix, permet au locuteur d’exprimer sa considération. La règle 3 produit un effet d’égalité et de camaraderie entre les interlocuteurs, en les mettant à l’aise, à travers l’utilisation de la langue familière par exemple. Elle est considérée comme une stratégie qui consiste à renforcer la solidarité, l’intimité et l’informalité. Ces trois règles composent donc les trois stratégies de base de la politesse : la distance, la déférence et l’égalité (ou la camaraderie). Mais il semble difficile qu’elles puissent échapper à la critique qu’«elles ne sont pas articulées entre elles, ni situées dans un cadre général qui les organise en système»14. En effet, ces trois règles sont insuffisantes pour décrire des phénomènes complexes. Lakoff (1973 : 303) montre d’ailleurs qu’elles sont universelles, mais que leur actualisation varie d’une culture à l’autre :

«I am claiming here that these rules are universal. But clearly customs vary. Are these statements contradictory ? I think not. What l think happens, in case two cultures differ in their interpretation of the politeness of an action or an utterance, is that they have the same three rules, but different orders of precedence for these rules».

Elle affirme que ces trois règles de politesse existent dans chaque communauté linguistique, mais que leur ordre de priorité est spécifique et relatif à la culture. Ainsi, on peut dire que dans une société comme la France, qui est orientée plutôt vers l’égalité, la troisième règle peut être plus importante que les autres. En revanche, dans une société plus hiérarchisée comme la Corée, la première et la deuxième règle ont généralement la priorité sur la troisième.

Dans un article (1989), Lakoff, constate que la théorie et la description de la politesse se focalisent sur la forme et la fonction des actes de langage dans la conversation quotidienne. Elle entreprend donc d’étendre le domaine d’investissement de la politesse aux types de discours, tels que le discours au tribunal et l’entretien thérapeutique, qui insistent sur le contenu de l’information communiquée. En effet, pour mieux comprendre les phénomènes divers et complexes de la politesse, il semble intéressant de les observer dans des types de discours particuliers, comme le débat où le désaccord et le conflit sont des éléments intrinsèques. Dans ce contexte, ils peuvent être systématiques et normaux, alors qu’ils sont considérés comme un comportement menaçant dans la conversation ordinaire.

Notes
10.

R. Lakoff, ’The logic of politeness ; or, minding jour p’s and q’s’, in Papers from the ninth regional meeting of the Chicago Linguistic Society, 1973, p. 296.

11.

Ibid., p. 296

12.

R. Lakoff, ’The limits of politeness : therapeutic and courtroom discourse’, in Multilingua, 1989, n°8-2/3, p. 102.

13.

- R. Lakoff, ’The logic of politeness ; or, minding jour p’s and q’s’, in Papers from the ninth regional meeting of the Chicago Linguistic Society, 1973, p. 298.

- R. Lakoff, ’What you can do with words : politeness, pragmatics, and performatives’, in A. Roger, B. Wall & J. P. Murphy (eds.) : Proceedings of the Texas conference on performatives, presupposition, and implicatures, Arlington, Center for applied linguistics, 1977, p. 88.

- Traduit par nous

14.

C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales, tome 2, Paris, A. Colin, 1992, p. 183.