3.2. Geoffrey Leech

Leech (1983) intégrant le principe de coopération et de politesse dans le domaine de la rhétorique interpersonnelle qu’il oppose à la rhétorique textuelle, considère ces deux principes comme des facteurs pragmatiques importants régissant l’interaction : le principe de coopération au niveau du contenu et celui de politesse au niveau de la relation. Leech propose en quelque sorte le principe de politesse dans un sens complémentaire et en interaction avec le principe de coopération de Grice, dans le but d’expliquer la raison qui fait que le locuteur ne respecte pas la maxime de conversation. Il tente ainsi de détailler certains principes de politesse sous la forme de maximes aux aspects positifs et négatifs. Pour Leech (1983 : 132), le principe de politesse, qui repose sur les notions de «coût» et de «bénéfice», se présente comme un ensemble de six maximes de politesse et de leurs sous-maximes :

  1. Tact maxim (in impositives and commissives)
    1. Minimize cost to other

    2. Maximize benefit to other

  2. Generosity maxim (in impositives and commissives)
    1. Minimize benefit to self

    2. Maximize cost to self

  3. Approbation maxim (in expressives and assertives)
    1. Minimize dispraise of other

    2. Maximize praise of other

  4. Modesty maxim (in assertives)
    1. Minimize praise of self

    2. Maximize dispraise of self

  5. Agreement maxim (in assertives)
    1. Minimize disagreement between self and other

    2. Maximize agreement between self and other

  6. Sympathy maxim (in assertives)
    1. Minimize antipathy between self and other

    2. Maximize sympathy between self and other

Pour Leech (1983 : 81) le principe de politesse se formule de cette façon : maximalisez l’expression de la croyance polie (’polite beliefs’) et minimisez l’expression de la croyance impolie (’impolite beliefs’). Chacune de ces maximes opérant sur l’échelle de valeur du coût et du bénéfice, la politesse est plus élevée quand le coût est plus grand pour le locuteur et que le bénéfice est plus grand pour l’allocutaire. Comme Lakoff, Leech montre également que des sociétés différentes ont leurs propres normes de politesse, c’est-à-dire qu’elles établissent un ordre de priorité entre les maximes. Ainsi, il apparaît que dans la société coréenne, les maximes de modestie et d’accord sont plus puissantes que dans la société française. En effet, ces deux maximes sont fonction l’une de l’autre, dans la mesure où, exprimer son désaccord, est une action dans laquelle le locuteur semble exposer ses connaissances avec ostentation en s’opposant à ce qui est dit par son interlocuteur ; cette attitude peut aussi faire allusion au fait que ’je suis différent de vous et je suis meilleur’. Dans une communauté concernée par cette interprétation des actes de désaccord, les maximes de modestie et d’accord pèsent davantage sur ses membres que dans une autre communauté. On peut dire que l’acte de désaccord est en coréen régi forcément par la maxime de modestie. En tout état de cause, ces six maximes de politesse peuvent être efficaces pour expliquer les phénomènes de communication et permettent de définir la nature de la politesse. Mais elles ne permettent pas de composer un modèle de politesse hiérarchique et global.

Leech (1983 : 83) propose également une autre distinction intéressante entre la politesse ’absolue’ et la politesse ’relative’. La politesse absolue repose sur une perspective selon laquelle certains actes de langage sont intrinsèquement polis, et d’autres, impolis. Dans ce cadre, la politesse se divise en politesse positive et négative : la politesse négative consiste à minimiser la nature impolie d’un acte de langage, et la politesse positive, à maximaliser l’effet perlocutoire poli. La politesse relative, quant à elle, est fonction du cotexte et du contexte, dans la mesure où la nature d’un acte de langage peut varier selon la relation interpersonnelle entre participants, le type d’interaction et la communauté culturelle. En ce sens, la politesse absolue débouche sur la pragmatique générale qui s’occupe des aspects plus abstraits tels que les conditions générales d’emploi du langage dans la supposition d’’universalité’. En revanche, la politesse relative concerne les éléments moins abstraits et plus spécifiques des conditions particulières sur l’usage du langage, et est présentée sous le nom de ’socio-pragmatique’ par Leech.

Enfin, il mentionne le phénomène intéressant de la «politesse paradoxale» (’politeness paradox’), qui indique un ensemble d’échanges polis qui peuvent conduire à l’inactivité même dans une situation idéalement polie. Ainsi, deux personnes qui s’apprêtent à franchir la même porte, devraient rester là sans cesse, l’un cédant poliment la priorité, et l’autre refusant poliment la proposition de son partenaire15. Mais ce paradoxe se produit rarement dans la vie quotidienne en raison de la possibilité de négociation par le statut, le sexe, l’âge, etc. Sinon, le refus persistant est perçu comme une situation embarrassante pouvant amener à soupçonner la sincérité de l’auteur de ces actions. On a ainsi tendance à accepter le remerciement ou l’excuse, même si l’autre personne n’a pas de raison particulière pour ce faire.

Notes
15.

M. Sifianou, Politeness phenomena in England and Greece, Clarendon Press. Oxford, 1992, p. 30.