2.2. Le dispositif énonciatif

Le débat radiophonique composé, comme nous l’avons établi précédemment, de modules d’interview et de modules de discussion, se caractérise d’abord par la modulation d’un genre à l’autre. Il est aussi déterminé par d’autres paramètres tels que le cadre préexistant, le lieu à caractère public, la présence de l’animateur comme arbitre et des invités, l’existence d’auditeurs et la dominance des formes d’échanges compétitives. Il se caractérise enfin par un double dispositif qui consiste en une activité langagière sur le plateau de radio et en son articulation aux auditeurs, comme le remarque Kerbrat-Orecchioni (1990 : 125) : A un premier niveau, les participants (l’animateur et deux débatteurs), qui sont présents sur le plateau, se parlent en occupant alternativement les fonctions émettrice et réceptrice ; à un second niveau, la masse des auditeurs qui entend les participants de premier niveau à travers les ondes sont confinés dans leur rôle de purs récepteurs dans un sens unilatéral.

Ce double dispositif énonciatif repose sur la finalité de l’interaction médiatique qui a pour objectif de transmettre des informations à travers la discussion et la confrontation d’opinions entre des participants défendant chacun une position déterminée. Leurs activités langagières sont donc conflictuelles et argumentatives, conformément à la finalité interne qui consiste à essayer de se convaincre l’un l’autre. Toutefois, lorsqu’on prend en considération la finalité externe et ultime du média, on peut dire que les participants au premier niveau tentent en apparence de convaincre leur adversaire comme dans la discussion, mais que c’est en réalité l’auditeur du second niveau qu’ils essaient de persuader, comme le dit Garcia (1980 : 101) :

‘«Le débat vise donc moins à modifier les convictions des interlocuteurs en présence, qu’à argumenter le public sur la légitimité relative des positions qu’ils défendent.»’

Il est en effet difficile d’attendre ou d’observer dans la situation du débat radiophonique le cas où l’un des débatteurs change son point de vue de début de discussion. En ce sens, leur langage verbal est «bi-adressé» en comportant deux niveaux de destinataire. Et ce phénomène est considéré comme un «trope communicationnel»26, notion définie ainsi par Kerbrat-Orecchioni (1990 : 92) :

‘«Il y a ’trope communicationnel’ chaque fois que s’opère, sous la pression du contexte, un renversement de la hiérarchie normale des destinataires ; c’est-à-dire chaque fois que le destinataire qui en vertu des indices d’allocution fait en principe figure de destinataire direct, ne constitue en fait qu’un destinataire secondaire, cependant que le véritable allocutaire, c’est en réalité celui qui a en apparence statut de destinataire indirect.»’

Enfin, le trope communicationnel dans la situation de débat consiste à feindre d’adresser un énoncé à un débatteur alors qu’il est en réalité destiné aux auditeurs qui constituent le véritable destinataire dans le format d’émission de débat radiophonique, même s’ils ne sont pas présents physiquement sur le plateau de l’émission. Cela se traduit parfois dans certains moments de crise de l’interaction, par le fait qu’un débatteur institue les auditeurs en destinataires directs de son argument, en formulant ces paroles ’pour nos auditeurs’, avant de préciser un contenu. En outre, les auditeurs constituent également un tiers, dans la mesure où ils peuvent exercer une influence à travers «le taux d’écoute sur le maintien d’une émission dans les programmes»27. Ils conditionnent donc le déroulement de l’interaction, dans laquelle leur rôle comme tiers est concrétisé par celui du meneur en tant qu’il les représente et qu’il est le destinataire privilégié de l’argumentation des débatteurs.

Notes
26.

Cf. C. Kerbrat-Orecchioni,

- 1986 : ’«Nouvelle communication» et «analyse conversationnelle»’, Langue française, n° 70, pp. 131-137.

- 1990 : Les interactions verbales tome 1, Paris, A. Colin, pp. 92-101.

- 1992 : Les interaction verbales tome 2, Paris, A. Colin, pp. 212-213.

- 1996 : La conversation, Seuil, coll. «Mémo», pp. 19-20.

27.

D. André-Larochebouvy, ’L’interview radiophonique : le modèle de José Artur’, in Charaudeau, (ed.), : Aspects du discours radiophonique, Didier Erudition, 1984, p. 118.