3.3. Le cadre de participation

Le nombre et la nature des participants dans les interactions verbales sont des facteurs essentiels à la fois pour une typologie et pour une observation du cadre participatif propre à un type d’interaction. Le problème des participants à la communication a traditionnellement été approché d’un point de vue binaire : locuteur et allocutaire. C’est Goffman qui a remis en cause la conception binaire traditionnelle et lui a substitué la notion de «cadre participatif», qui se décompose en un «format de production» et un «format de réception», et qui recouvre à la fois «le nombre des participants, et leur statut ou rôle interlocutif»30.

Ainsi, les émissions à la radio qui constituent notre corpus ont comme cadre participatif trois participants ratifiés (un animateur et deux invités) sur le plateau d’émission, et les auditeurs (’bystanders’) qui ne sont pas présents dans le studio. De plus, les participants ratifiés jouent alternativement le rôle interlocutif de locuteur et d’allocutaire, mais ils ne partagent pas le même rôle interactionnel, car l’animateur est chargé de gérer l’organisation des tours de parole en posant des questions comme intervieweur, les deux invités sont obligés de répondre, comme interviewés, aux questions de l’animateur. En revanche, la masse des auditeurs entend à travers les ondes ces participants sur le plateau pour juger leur point de vue ou le discours (ou l’argument) persuasif. Il s’agit du schéma global de participation du débat radiophonique. Les débats de notre corpus comportent ces deux niveaux de dispositif énonciatif, mais nous allons dans ce travail nous intéresser en priorité aux triades dynamiques mises en scène par les participants ratifiés.

Dans bien des cas de l’interaction à trois participants, le «format de réception» est, comme le dit Kerbrat-Orecchioni (1997 : 2), plus imprévisible que celui de l’interaction dyadique, puisque si dans le dilogue, le non-locuteur correspond forcément à l’allocutaire ; dans le trilogue, le format de réception est plus complexe, car le non-locuteur peut avoir le statut d’un «destinataire privilégié» ou d’un «destinataire secondaire»31. Ainsi, lorsque le locuteur en cours ne s’adresse qu’à une seule personne, il s’agit bien entendu d’un allocutaire. Ce qui pose problème à ce moment-là est la présence de l’autre participant ratifié, et son statut comme «témoin», «tiers», ou «destinataire réel» ne peut être ignoré, dans la mesure où il va à un moment donné occuper la position émettrice. Le statut des destinataires potentiels se modifie sans cesse au cours du développement de l’interaction, et est largement fonction d’un ensemble d’indices hétérogènes de l’allocution même dans le cas d’un discours «bi-adressé». Ce qui est décisif pour déterminer dans le cadre de notre corpus le statut du «non-locuteur» c’est un type d’indices verbaux comme une «séquence métacommunicative», ou un «pronom de deuxième personne accompagné d’un appellatif». C’est le cas notamment des adressages de l’animateur qui s’adresse souvent à un débatteur avec un terme d’adresse au moment de lui poser une question. En revanche, ce débatteur prend son tour de parole sans aucun indice verbal d’allocution. Son destinataire peut donc être soit l’animateur, soit l’autre débatteur : d’une part, il est certain que c’est à l’animateur qu’il s’adresse, car son intervention n’est rien d’autre que la réponse à la question ; d’autre part, celui qui a le statut de destinataire privilégié peut être l’autre débatteur, dans la mesure où c’est lui qui prend souvent le tour subséquent, ce qui implique qu’il est le destinataire réel, par anticipation que le contenu propositionnel s’adresse à lui. Il nous semble donc que le contenu d’une intervention fonctionne comme une sorte d’indice d’allocution. De plus, l’intervention d’un débatteur, qui peut être plus ou moins longue peut comporter des éléments opposés, dont une partie s’adresse à un des destinataires, et le reste, à l’autre. Dans ce cas, c’est la teneur des propos qui a le statut de destinataire privilégié. En tout état de cause, le débatteur répondant à l’animateur s’adresse aussi directement ou indirectement à son adversaire. Cela revient à dire de nouveau le processus du «trope communicationnel» qui se réalise au second niveau du dispositif énonciatif opposé au premier niveau dont nous avons déjà remarqué ci-dessus.

Notes
30.

C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales tome 1, Paris, A. Colin, 1990, p. 82 et p. 85.

31.

Sur la catégorie des récepteurs, voir Kerbrat-Orecchioni, ’Introduction’, in Kerbrat-Orecchioni, C. et C. Plantin, (eds.) : Le trilogue, Lyon, pul, 1997, p. 2. : allocutaire, destinataire direct ou principal, et ’addressed’ pour Goffman vs destinataire indirect, ’unaddressed’ pour Goffman, ou ’side participant’ pour Clark & Carlson.