1. Problème de définition

1.1. La définition searlienne

L’accord et/ou le désaccord sont considérés tout d’abord dans la théorie des actes de langage comme une valeur illocutoire d’«assertion». Pour une classification des actes illocutoires, Searle (1982 : 39-70) distingue cinq classes majeures : assertifs, directifs, promissifs, expressifs, et déclarations. La taxinomie présuppose douze critères qui permettent de différencier les types d’actes illocutoires. Quatre de ces critères sont considérés comme les plus décisifs : le but de l’acte, la direction d’ajustement entre les mots et le monde, l’état psychologique exprimé, et le contenu propositionnel. Ainsi, la classe des actes illocutoires qui nous intéressent tout particulièrement est celle des assertifs35, dans la mesure où le désaccord se présente comme un acte assertif. D’après Searle (1982), la classe des assertifs a pour but illocutoire «d’engager la responsabilité du locuteur sur l’existence d’un état de choses, sur la vérité de la proposition exprimée»36. En d’autres termes, il s’agit d’une représentation qui peut comprendre le vrai et le faux, et qui correspond à la condition essentielle. Par rapport à la direction d’ajustement, elle va dans le sens mots (le contenu propositionnel) → monde pour les assertifs, car en réalisant une assertion, le locuteur contracte l’obligation de donner une description, à l’aide de ses mots, correspondant à l’état du monde37. L’état psychologique exprimé en accomplissant l’acte illocutoire en question n’est rien d’autre qu’une condition de sincérité : la croyance en la vérité d’une proposition ’P’. Autrement dit, «celui qui affirme, explique, asserte ou prétend que «P» exprime la croyance que ’P’»38.

Pour caractériser l’acte d’assertion, le point de départ de Searle (1972 : 59) est la conviction suivante : «parler c’est accomplir des actes selon les règles». C’est-à-dire que tout acte de langage doit satisfaire «un ensemble de conditions nécessaires et suffisantes à la réalisation de certains types particuliers d’actes de langage». D’après lui, la description de ces conditions nous permet enfin d’extraire un ensemble de règles définitoires qui constituent un acte de langage particulier. Ainsi, pour le cas de l’acte d’assertion, tel qu’’asserter’, ’déclarer’, ’affirmer’, ces conditions sont définies par les règles suivantes :

  1. De contenu propositionnel : Toute proposition P

  2. Préliminaire :
    1. L a des preuves (des raisons pour croire, etc.) que P est vraie.

    2. Il n’est certain, ni pour L, ni pour A, qu’A sache (se souvient de, etc.) P.

  3. De sincérité : L croit P.

  4. Essentielle : Revient à assurer que P représente une situation réelle39.

Si l’on applique ces conditions nécessaires et suffisantes à la définition de l’acte d’accord et de désaccord, on pourrait en tirer les conditions minimales suivantes :

Condition Acte d’accord Acte de désaccord
1. propositionnelle ’Oui P’ ’Non P’
2. préliminaire L a des raisons de croire que P est vraie L a des raisons de croire que P n’est par vraie
3. de sincérité L croit que Oui P L croit que Non P
4. essentielle A et/ou L considèrent cet acte comme un acte d’accord A et/ou L considèrent cet acte comme un acte de désaccord

Ce cadre montre les conditions satisfaisantes à la bonne réalisation de l’acte d’accord ou de désaccord, mais, dans la mesure où elles portent sur l’attitude du locuteur dans le contexte d’un énoncé isolé, il est douteux qu’elles soient valables pour expliquer ces deux actes produits en situation conversationnelle. En effet, cette caractérisation de Searle sur les actes en question à partir des critères définitoires mentionnés ci-dessus peut amener à se poser deux questions. D’une part, bien qu’il soit évident que les actes d’accord et de désaccord aient le caractère d’un acte d’assertion dans la classe des actes illocutoires, il nous semble qu’ils partagent à la fois les fonctions expressive et déclarative dans la taxonomie de Searle lui-même, dans la mesure où ils se définissent comme un acte illocutoire où le locuteur exprime une émotion positive ou négative, concordante ou discordante, à propos de la proposition soutenue par son partenaire. D’autre part, l’accord et le désaccord ont comme point commun de répondre à des actes de langage initiaux qui appartiennent au type représentatif au sens de Searle (1977) et bien particulièrement à l’assertion. En d’autres termes, ils ne concernent pas des actes initiatifs, mais ils sont essentiellement réactifs à l’énonciation précédente de l’interlocuteur.

Notes
35.

S’agissant des actes en question, Austin (1970) parle plutôt d’actes expositifs.

36.

J. Searle, Sens et expression, Paris, Minuit, p. 52.

37.

Cf. Moeschler, Dire et contredire, Pragmatique de la négation et acte de réfutation dans la conversation, Berne/Francfort, Per Lang., 1982, p. 55.

38.

J. Searle, opt. cit., pp. 42-43. Souligné par l’auteur.

39.

J. Searle, Les actes de langage, Paris, Minuit, 1972, p. 108.