1.2.3. La notion de face

L’analyse de l’interaction face-à-face de Goffman (1974 : 55-68) était basée sur la supposition que les participants à la conversation essaient de montrer de la déférence pour les faces selon deux principes : d’une part, «les rites d’évitement» qui précisent ce qu’il ne faut pas faire, et d’autre part, «les rites de présentation» qui spécifient ce qu’il faut faire. La communication est constamment un lieu de conflit, à la fois entre ces deux rites et entre la considération de son contenu et celle de la face.

Une évaluation semblable se retrouve dans le travail de Brown et Levinson (1987 : 112-117) selon lesquels tous les actes de langage sont intrinsèquement menaçants pour les faces. Dans la nécessité du ménagement d’une situation conflictuelle, ils introduisent les principes de ’Seek Agreement’ et ’Avoid Disagreement’ comme stratégie positive. Le terrain d’entente s’accomplit par la sélection d’un thème consensuel qui n’est pas polémique avec le partenaire, par la répétition partielle ou totale de ce que le précédent locuteur a dit, voire par l’accord renforcé (’upgraded’) ou la même évaluation au sens de Pomerantz. D’ailleurs, le principe de l’évitement du désaccord peut se réaliser de diverses manières : par l’usage de l’accord symbolique (’token agreement’) qui est un mécanisme permettant de simuler l’accord avec le partenaire sous forme de «oui, mais...» ou d’ironie ; par le pseudo-accord (’pseudo-agreement’) accompagné de quelques particules (’then’ et ’so’ en anglais ou ’kûle’ en coréen), qui peut tirer du précédent accord une conclusion opposée ; par l’usage du pieux mensonge (’white lies’) au lieu d’un préjudice pour la face positive ; enfin par l’usage des opinions vagues (’hadging opinions’) qui servent à éviter l’attitude précise du locuteur (’sort of’, ’in a way’). Enfin, dans le cadre théorique de Brown & Levinson (1987 : 66), à la différence de l’acte d’accord, l’acte de désaccord est considéré comme un FTA qui menace la face positive de l’interlocuteur, dans la mesure où le locuteur est censé penser que son interlocuteur n’a pas raison ou n’est pas raisonnable ou se trompe à propos d’une question donnée. Etant donné que le désaccord donne donc lieu au conflit, il peut ne pas s’exprimer, et même s’il s’exprime, les interlocuteurs veulent qu’il soit atténué. Ce désir partagé par l’un et l’autre est donc souvent actualisé par le processus du face-work.

Leech (1983) introduit également une ’Agreement Maxim’ dans son principe de politesse, selon laquelle il faut «minimiser le désaccord entre moi et autrui» et «maximiser l’accord entre eux». En dépit de la nature plus ou moins universelle de ces principes, il admet que leur poids peut varier selon les communautés socio-culturelles. Ainsi, certaines études46 montrent que le désaccord et la confrontation sont compris comme étant positifs, voire comme une forme de sociabilité dans une communauté.

Notes
46.

Voir Schiffrin (1984), Blum-Kulka et al. (1984), Kuo (1991), Jones (1990), etc.