2.2.1. La relation interpersonnelle

Au cours du déroulement de l’interaction conflictuelle et argumentative, l’acte de désaccord peut s’exprimer dans la conversation ordinaire dans une grande variété de réalisations. C’est la raison pour laquelle il est d’autant plus difficile de cerner sa nature, car il est beaucoup moins ritualisé à cause de certaines contraintes sociolinguistiques. Il semble difficile de contester le fait que l’acte de désaccord est largement fonction du contexte social, du type de relation interpersonnelle établie sur l’axe «vertical» ou «horizontal», au moment de l’interaction dans lequel il se trouve. Il est tout aussi incontestable qu’il n’est pas facile de cerner l’ensemble des règles qui sous-tendent l’acte de désaccord, dans la mesure où elles sont éminemment souples, individuelles, et dépendantes du contexte. Il convient pourtant en premier lieu de s’interroger sur la contrainte sociale et le type de relation interpersonnelle à partir de l’hypothèse suivante :

L’autorité absolue est indiscutée sinon indiscutable, et prive l’interlocuteur du droit d’exprimer le désaccord ; le droit au désaccord est en ce cas du côté de celui qui détient le pouvoir, qui peut critiquer et condamner sans réplique ;

L’expression du désaccord est libérée entre paires égaux en droits et en autorité.56

En effet, ces deux principes qui se trouvent dans deux extrêmes engendrent fondamentalement deux contraintes sociales différentes qui correspondent respectivement au «rite d’évitement» et au «rite de réparation» au sens de Goffman. Ainsi, dans une société ou dans une relation interpersonnelle qui est orientée vers le premier élément (a), l’obéissance et/ou le silence peuvent fonctionner comme une sorte de vertu sociale, dans la mesure où l’acte de désaccord reconnu comme un défi ne peut plus être réparé par certains procédés linguistiques. En revanche, dans une société ou dans une relation interpersonnelle qui est orientée vers le second élément (b), il semble que tout soit possible, mais que tout ne soit pas approprié pour établir et maintenir, à la fois, le bon déroulement d’interaction et le niveau relationnel. C’est la raison pour laquelle la réparation est attendue de la part de l’être sociable.

De nos jours, surtout en Corée, l’autorité absolue est en train de changer vers l’égalité, tout en passant par l’autorité relative selon le principe de la démocratie. Ainsi, la société coréenne est partagée comme celle d’autres pays par les deux stratifications de hiérarchie et d’égalité. Dans la relation hiérarchique, l’autorité relative reste encore assez saillante entre professeur et élève et entre parents et enfants. Les conventions sociales précisent implicitement la limite de l’expression du désaccord et fixent ses modalités, sans les abolir complètement, comme le signale Debyser (1980 : 44) :

‘«Du temps où l’autorité parentale était bien assise, on disait à un enfant ergoteur ’on ne répond pas à son père’. Dans un exercice plus ’libéral’ de l’autorité, toute règle n’est pas abolie ; le droit à dire ’non’, ’c’est pas vrai’ ou ’j’veux pas’ peut être accordé à l’enfant mais pas celui de dire à ses parents ’non mais tu es complètement idiot’ ou ’ça va pas la tête !’» ’

Il en est de même pour le cas d’une relation égale, c’est-à-dire que le problème n’est pas d’éviter certaines expressions du désaccord, mais de prendre la précaution de l’exprimer d’une manière modale et adoucie, comme le formule Don Gabor (1985 : 103-105) :

  • D’une part : «vous avez le droit de dire non sans vous sentir coupable»,

  • D’autre part : «Comment exprimer votre désaccord : Lorsque vous n’êtes pas d’accord avec ce que l’on vous dit, évitez les phrases du genre ’Vous avez tort !’ ou ’Où êtes-vous allé chercher une idée pareille ?’ Soyez diplomate, et exprimez votre idée en commençant par : ’Il me semble...’ ou ’La façon dont je vois les choses...’, ’Je crois que...’, ’Je pense que...’, ’J’ai l’impression que...’, ’A mon avis...’»57.

Et lorsque ces façons d’exprimer le désaccord ne sont pas respectées par un participant à une conversation ordinaire, on parle d’impolitesse, agressivité, grossièreté, etc. Cette prise en considération se modifie dans la situation du débat, au fur et à mesure que l’apparition du désaccord est attendue. Il en découle que l’acte de désaccord n’a pas toujours le même statut : il varie d’une société à l’autre, selon le type de relation interpersonnelle et la nature du contexte dans lequel il se retrouve.

Notes
56.

Cf. F. Debyser, ’Expressing disagreement (Exprimer son désaccord)’, in Studies in Second Language Acquisition, 1980, n° 3-1, pp. 43-44.

57.

Cité par C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales, tome 3, Paris, A. Colin, 1994, p. 89.