2.2.2. Expressions linguistiques et degré de gravité

Le désaccord est d’abord une réaction verbale à l’acte initiatif qui affirme une proposition ou un argument qui comporte ’constatation’, ’critique’, ’appréciation’, ’accusation’, etc. Cette réaction se dirige vers un ensemble d’actions variables telles que ’dénégation’, ’contre-argument,’ ’critique’, ’refus’, ’plainte’, etc. Elle vise une double cible : l’interlocuteur et son discours. Ces deux objets se distinguent l’un de l’autre, mais ils sont pour la plupart amalgamés au cours de l’interaction. D’ailleurs, l’acte de désaccord se prolonge dans un contexte conflictuel entre les participants, en glissant de la dimension du contenu communicatif à celle de la relation interpersonnelle. Ce second niveau se dissimule souvent derrière la première dimension dans la conversation ordinaire, comme le montrent Watzlawick et al. (1972 : 80). Autrement dit, c’est plutôt au niveau de la relation que le désaccord se localise en fait, qu’au niveau du contenu. En effet, le désaccord peut surgir à chacun de ces deux niveaux, et ces deux formes entrent dans un cercle vicieux, le désaccord de la première dimension donnant lieu à la seconde, et vice versa.

Cela revient à dire que le choix à l’encodage de telle ou telle formule et son décodage sont largement tributaires du type de relation interpersonnelle, d’une part, et d’autre part, du degré de gravité de l’acte de désaccord. Ainsi, l’acte de désaccord dépend de sa nature intrinsèque et de certains éléments contextuels, tels que la relation et le contrat communicatif. Il est bien évident que la nature de la relation interpersonnelle, soit dans l’axe vertical, soit dans l’axe horizontal, nous fournit le contexte interprétatif de l’effet perlocutoire de l’acte de désaccord, comme nous l’avons fait remarquer dans le paragraphe précédent. Ainsi, dans une relation hiérarchique, le désaccord d’un locuteur qui a un statut bas peut être reconnu comme plus menaçant que celui qui a lieu dans une relation d’égal à égal, dans la mesure où il se présente comme un défi contre l’autorité. D’autre part, le degré de gravité du désaccord est également fonction de sa nature intrinsèque, que la cible en soit l’énoncé ou l’énonciation, comme le montre le travail de Moeschler (1982) sur la réfutation. D’après lui, la réfutation est toujours énoncée sous le mode ’vous prétendez’, qui présuppose que le contenu de l’énoncé d’un locuteur est tenu pour faux par son partenaire. Elle se divise, selon les différentes cibles, en rectifications qui ont pour but de corriger un élément de la proposition, en réfutations propositionnelles qui ont pour but de réfuter un contenu asserté, et en réfutations présuppositionnelles qui ont pour but de réfuter un contenu présupposé. Moeschler (1982 : 102) déduit de la nature interactionnelle de ces trois types de réfutations que le premier type est moins menaçant que les deux autres, et que le dernier est le plus menaçant. Car si la rectification constitue une réaction plus ou moins coopérative, la réfutation propositionnelle thématise l’inappropriété contextuelle du contenu posé, et la réfutation présuppositionnelle a pour objet davantage l’énonciataire que son énoncé dans la mesure où elle le met directement en cause.

En ce qui concerne l’autre facteur contextuel du degré de gravité du désaccord, il faut enfin mentionner la nature du contrat communicatif qui relie le locuteur et l’allocutaire. Il renvoie aux types d’interaction où l’acte de langage est régi par le système des droits et des devoirs entre les interlocuteurs. Ainsi, dans une situation institutionnelle telle que le débat radiophonique de notre corpus où les débatteurs sont invités à discuter, leur discussion est souvent mise en scène dans un discours polémique qui renvoie à une «guerre métaphorique» ou une «guerre verbale», présupposée par l’existence du désaccord et la falsification de la parole de l’autre58. Dans ce contexte, l’acte de désaccord n’est pas accompagné par un procédé d’atténuation, dans la mesure où il est attendu et prévisible comme une réaction où le locuteur attaque, disqualifie et/ou discrédite l’adversaire et/ou son discours, à partir du mode de la négation et du fonctionnement des axiologiques négatifs. Cela ne revient pas à dire que l’acte de désaccord se déclenche dans le discours sur le mode impoli de l’agression, mais il convient plutôt de l’approcher d’un point de vue spécifique au contexte.

Notes
58.

C. Kerbrat-Orecchioni, ’La polémique et ses définitions’ in Le discours polémique, Lyon, P.U.L, 1980, pp. 9-10.