3. La politesse dans le débat radiophonique

3.1. Politesse dans le contexte

La communication humaine a pour but de transmettre des informations (clarté) et/ou d’établir et de maintenir la relation interpersonnelle (politesse). L’interaction médiatique qui constitue notre corpus correspond au premier type

d’interaction, qui sert de motif au principe de coopération au sens de Grice alors que la conversation ordinaire semble appartenir au second type, qu’illustre le motif du principe de politesse. En effet, la conversation est conçue comme une sorte de discours plus interactif mettant davantage l’accent sur les aspects relationnels entre les participants que dans d’autres types d’interactions. C’est la raison pour laquelle le phénomène de la politesse linguistique est généralement examiné à partir des conversations ordinaires par certains spécialistes tels que Lakoff, Leech, et Brown & Levinson, dans les années 70. En outre, la conversation quotidienne se présente comme le prototype des interactions verbales, comme le dit Lakoff (1989 : 102) :

‘«it [= Ordinary conversation] is the form we all learn first, under the setting most conducive to comfort and familiarity, and the one we use the most. Hence it functions as a template for all others, which we experience in terms of their similarities to and differences from OC [= Ordinary conversation], and feel more or less comfortable with to the degree that they conform to our OC-based expectations.»’

En ce sens, la théorie de la politesse, visant à décrire les actes de langage et leurs fonctions dans le contexte de la conversation ordinaire, nous fournit divers outils et modèles qui permettent d’interpréter ou expliquer efficacement ce qui se passe dans l’interaction sociale, en s’appuyant sur la notion dyadique de politesse et d’impolitesse. Nous portons intérêt à rechercher s’il est possible, à partir de la politesse observée dans la conversation ordinaire dyadique, de dégager un résultat susceptible de s’appliquer à d’autres types de discours qui sont moins interactifs et plus informatifs, bien que la politesse soit «omniprésente dans tous les types d’échanges, des plus familiers aux plus formels»59. La réponse de Lakoff demeure sceptique, dans la mesure où les règles de politesse s’appliquent différemment selon le contexte et la corrélation avec le degré d’interactivité et l’adhésion aux règles de politesse :

‘«(...) the more interactive a type of discourse is, the more it will require adherence to politeness rules. Conversely, the more a discourse type is designed for the sharing of information, the less important politeness will be, and the less it will be an integral part of the system.»60

Dans son article intitulé ’the limits of politeness’, Lakoff a essayé d’élargir le domaine d’investigation de la politesse linguistique des types de discours chargés de transmettre des informations, aux types du discours thérapeutique et du discours au tribunal, à partir de trois notions : politesse, ’apolitesse’, et impolitesse. En ce sens, notre travail, inspiré par son article, a pour objectif de tenter d’appliquer ces trois notions au type d’interaction du débat radiophonique dans lequel sont intrinsèques la confrontation, le conflit, le désaccord, la réfutation, la critique, etc.

D’après Brown et Levinson (1987 : 68-74), lorsque dans une situation ordinaire, un acte de langage réalise une opposition ou une contradiction avec la proposition de l’interlocuteur précédent, il doit se produire avec certains procédés de «face-work» au sens de Goffman (1974) qui le définit comme «tout ce qu’entreprend une personne pour que ses actions ne fassent perdre la face à personne (y compris elle-même)»61. L’ensemble de ces procédés se présentent comme une sorte de considération de la face de son partenaire de la part du locuteur, de sorte que l’effet perlocutoire de l’acte de langage en question soit diminuée ou ambiguë. Néanmoins, les choses changent dans le contexte du débat : au lieu d’une relation interpersonnelle harmonieuse, on attend une relation de ’distance sociale’, et on admet aussi une ’normalisation’ du désaccord, au lieu de son évitement. En fait, il nous semble que la question est de savoir de quelle façon s’exprime l’acte de désaccord dans ce type d’interaction verbale, car même s’il s’agit d’un acte présenté comme un FTA, il ne correspond pas toujours au comportement langagier impoli.

Notes
59.

C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales, tome 2, Paris, A. Colin, 1992, p. 245.

60.

R. Lakoff, ’The limits of politeness : therapeutic and courtroom discourse’, in Multilingua, n° 8-2/3, p. 102.

61.

E. Goffman, Les rites d’interaction, Paris, Minuit, 1974, p. 15.