3.2. Les concepts de «poli», «apoli», et «impoli»

La politesse a pour fonction de «permettre une gestion harmonieuse de la relation interpersonnelle»62. Ce niveau global s’accomplit en général par le système local dans lequel la politesse est perçue comme «un moyen de minimiser le risque d’une confrontation»63. En ce sens, elle apparaît comme un ensemble de procédés de «face-work». Ainsi, l’acte de désaccord est considéré comme une action qui risque de mettre en péril la face positive de l’interlocuteur, dans la mesure où il indique que le locuteur pense que son interlocuteur n’a pas raison, n’est pas raisonnable, ou se trompe à propos d’une question donnée. Si le locuteur veut affirmer «non P» dans le rapport contradictoire avec une proposition (P) de son interlocuteur, et qu’il a envie de maintenir l’harmonie sociale, il lui est indispensable de respecter certaines conventions de politesse, qui conduisent à réaliser «non P» sous la forme du ménagement de la face de l’interlocuteur, telle qu’une façon indirecte. Le comportement conforme à ces conventions de la politesse est appelé ’poli’, et le comportement non conforme, ’impoli’. Cette dichotomie ne peut pas être rigide devant l’existence d’un type d’acte de langage ni poli ni impoli, tel que certains types de désaccords surgissant dans le contexte du débat. Il convient donc de rendre compte du comportement langagier dans la distinction ternaire au sens de Lakoff (1989 : 103) qui distingue trois dimensions dans le système de la politesse :

‘«Let us call ’polite’ those utterances that adhere to the rules of politeness whether or not they are expected in a particular discourse type ; ’non-polite’, behavior that does not conform to politeness rules, used where the latter are not expected ; and ’rude’, behavior that does not utilize politeness strategies where they would be expected, in such a way that the utterance can only or most plausibly be interpreted as intentionally and negatively confrontational».’

Alors que le phénomène de la politesse est traditionnellement saisi par la conception binaire de politesse et d’impolitesse, Lakoff, y ajoutant une catégorie neutre, «non-polite» (’apolie’64), tente d’établir le système étendu de la politesse linguistique et de prendre celle-ci en considération dans un type particulier d’interaction, à partir de son système d’attente. Il est permis de penser à la possibilité du conflit entre les règles de politesse et le système d’attente propre au contexte donné. C’est le cas notamment du débat où l’acte de désaccord est attendu, en dépit de la précaution ou de la pression des règles de politesse. Ainsi, le terme ’poli’ désigne un comportement langagier qui se conforme aux règles de la politesse qui sont ou non attendues dans le contexte en question ; on utilisera le terme ’apoli’ lorsque l’acte de langage ne se conforme pas aux règles de la politesse, mais au système d’attente ; quand il dépasse largement ce système, on parle d’acte ’impoli’. Cette perspective semble plus efficace lorsque l’on décrit l’accord et le désaccord dans la situation du débat, car ce type d’interaction a son propre système d’attente et des règles de politesse plus ou moins différentes de celles de la conversation ordinaire.

Notes
62.

C. Kerbrat-Orecchioni, ’La construction de la relation interpersonnelle : quelques remarques sur cette dimension du dialogue’, in Cahiers de linguistique française, 1995, n° 16, p. 74.

63.

R. Lakoff, ’The limits of politeness : therapeutic and courtroom discourse’, in Multilingua, 1989, n° 8-2/3, p. 102.

64.

Sur les termes de ’apoli’ ou ’apolitesse’, voir C. Kerbrat-Orecchioni, ’Les actes de langage dans une perspective interculturelle : problèmes théoriques et descriptifs’, in V. Traverso (éd.) : Perspectives interculturelles sur l’interaction, Lyon, PUL., 2000, pp. 75-92.