4.1. La délimitation entre chevauchement et interruption

Le chevauchement et l’interruption apparaissent comme une sorte de ’raté’ du système de tours, en ce qu’ils se produisent tous deux, comme le remarque Kerbrat-Orecchioni (1990 : 172), dans le cas où le successeur prend la parole trop tôt. Mais il nous semble qu’il y a une différence entre ces deux phénomènes, dans la mesure où ils interfèrent autrement sur le déroulement des tours. Alors que le chevauchement est une violation au niveau de la coordination formelle des tours, l’interruption est une rupture au niveau du contenu du tour précédent, afin d’accélérer l’accord ou le désaccord, et de confirmer ou rejeter l’information.

Le chevauchement diffère selon le moment de son apparition dans le discours. Il y a le chevauchement qui se produit juste avant la fin de tour prévue (’fin-chevauchement’), celui qui se produit en milieu de tour d’un locuteur en cours sans aucun signal de fin de tour (’milieu-chevauchement’) et le démarrage simultané qui se réalise à la «pause inter» ou à la «pause intra» entre deux successeurs potentiels (’début-chevauchement’). Ainsi, la coordination formelle des actions des participants peut être linéaire dans la mesure où la prise de parole se produit à une place transitionnelle possible et avec l’imbrication de l’un de ces différents types de chevauchements. Et il nous semble que ceux-ci fournissent les aspects formels de l’apparition de l’interruption.

L’interruption, quant à elle, peut prendre deux formes : interruption accompagnée d’un chevauchement ou interruption au cours de la pause qui apparaît à l’intérieur d’un tour (’pause intra’). Elle est enfin une action qui permet au locuteur de s’emparer, par inadvertance ou volontairement, de la parole du partenaire. L’intention du locuteur qui veut interrompre l’intervention de son partenaire peut être de poser une question, faire un commentaire, demander une explication ou la confirmation d’un fait, manifester l’accord ou le désaccord, etc. En effet, ces typologies d’interruptions et leur effet pragmatique, que nous allons traiter dans la troisième partie, varient selon le type d’interaction et de relation interpersonnelle entre les participants.

Ainsi, l’interruption peut passer non seulement pour un accident conversationnel, surtout dans les conversations asymétriques, mais aussi pour un tour normal, au point qu’elle est d’une grande utilité dans l’interaction symétrique, et qu’elle fonctionne comme un vrai tour qui construit l’interaction verbale. En outre, elle se passe dans ce cas-là avec impunité et sans aucune sanction sociale. Il semble que ce type d’interruption ait un caractère coopératif ou involontaire, dans la mesure où l’interruption est due à des erreurs d’appréciation sur la place transitionnelle. Elle occasionne ainsi des chevauchements brefs, et en même temps une procédure de négociation par laquelle, si un participant interrompt le locuteur actuel, ce dernier cède tout de suite son tour. Mais il existe d’autres cas où elle est produite en chevauchement concurrentiel. Il s’agit alors de l’interruption délibérée qui peut ouvrir une crise de relation interpersonnelle, dans la mesure où elle constitue une action menaçante pour la face du locuteur interrompu et nécessite une réparation. Nous allons donc examiner dans ce qui suit ces deux sortes d’interruptions, involontaires et délibérées, dans leur rapport avec le chevauchement.