4.3. L’interruption délibérée

L’intervention qui survient en milieu de tour, sans qu’aucun signal n’ait annoncé la fin du tour, peut être considérée comme interruption délibérée. Ce type d’interruption se produit dans la ’pause intra’ ou en chevauchement médian et se réalise quelquefois dans le chevauchement concurrentiel :

(1) (Répliques 5 : 191-206)

Dans l’extrait ci-dessus, on assiste à une compétition plus ou moins longue (191-197) pour prendre la parole entre les deux débatteurs (Denis Tilinac et Jacques Juillard). La compétition fait appel à un processus de négociation où un candidat en compétition cède la parole et l’autre continue à parler, ou bien elle finit par l’intercession de l’animateur. Ainsi dans l’exemple (1), la tentative d’interruption de Tilinac est en 204 contestée par son interlocuteur (Juillard), et l’alternance des tours s’établit en 205 par la sélection et/ou par la ratification du locuteur auto-sélectionné.

L’interruption ne se produit pas seulement dans le chevauchement, mais aussi dans la pause qui apparaît à l’intérieur d’un tour. Dans ce cas, il s’agit d’une interruption sans chevauchement, dans la mesure où le locuteur suivant se glisse, note Kerbrat-Orecchioni (1990 : 174), dans un interstice du discours du locuteur en cours, qu’il prend ou feint de prendre pour une place transitionnelle, et que le locuteur en cours, prenant son parti de ce changement inopiné de locuteur, renonce alors à poursuivre.

(2) (Répliques 7 : 008-010)

Ces interruptions ne reposent pas sur des erreurs d’appréciation de la place transitionnelle, mais plutôt sur la pause ’intra’ qui est due aux inachèvements syntaxico-sémantiques dont est responsable le locuteur en place. Elles semblent être plus ou moins délibérées, ce qui pose la question de la délimitation avec le vrai tour. A la différence de ce qui se passe avec celui-ci, les auteurs d’interruption tentent souvent de prendre la parole en émettant des régulateurs verbaux, et en revanche, les locuteurs qui sont interrompus en cours de tour mettent en évidence leur intention de reprendre la parole. En tout état de cause, les interruptions peuvent correspondre à diverses attitudes pragmatiques par rapport à la proposition du tour précédent. D’où les typologies d’interruption : l’interruption coopérative qui accélère l’accord ou répare le vocabulaire, l’interruption conflictuelle qui accélère le désaccord et l’interruption confirmative qui enquête sur le contenu proposé par le partenaire et qui n’est ni coopérative, ni conflictuelle. Il va de soi que ces différents types sont souvent fonction des types d’interactions verbales. Nous retrouverons dans notre corpus l’ensemble de ces interruptions.