Dans le débat radiophonique qui constitue notre corpus, le tour du débatteur peut être interrompu soit par une expression d’opposition ou d’approbation de l’autre débatteur ou de l’animateur, soit par une question ou une demande de confirmation. Il arrive que la demande de confirmation soit réalisée sous forme d’interruption par le débatteur ou souvent par l’animateur :
(1) (Répliques 2 : 144-146)
144 P : je je je n’ai pas très bien compris votre votre reproche sur les quotas dans la magistrature puisque vous êtes plutôt pour, euh, dans les autres ordres mais je je là, je suis obligé de faire une parenthèse étant en ce moment au jury de, d’école nationale de la magistrature je ne peux pas laisser dire qu’il y a des quotas, alors que dans la tête de certains membres du jury il y ait
→ 145 D : ils le disent hein
146 P : oui ils le disent bien sûr, il y a une véritable peur de la part des femmes que, on pratique une sorte de quotas de fait dès que le contrôle (...)
L’exemple ci-dessus montre le cas, marqué par la flèche, de l’interruption qui se produit dans la ’pause intra’ pour que le débatteur (Francine Demichel) donne en 145 son adhésion à l’argument du partenaire (Evelyne Pisier). Dans l’exemple (1), la confirmation est marquée par la présence du ’hein’ qui oriente la réaction de l’interlocuteur du côté de la confirmation74. Elle repose sur l’élaboration de la formule du partenaire (’au jury de, d’école nationale de la magistrature je ne peux pas laisser dire qu’il y a des quotas’). C’est donc une hétéro-reformulation avec modification syntaxique.
D’autre part, la confirmation se réalise souvent dans l’intervention de l’animateur après le tour d’un débatteur dans lequel celui-ci propose son argument. Il arrive que l’animateur l’interrompe avec un chevauchement afin de confirmer le contenu des informations :
(2) (Répliques 7 : 010-012)
010 D : ça n’a absolument pas rencontré d’écho d’ailleurs en 72 il y a eu à l’inverse un génocide dans le pays à côté qui était le Burundi, où il y a eu 250.000 Hutus qui ont été tués par des Tutsis, ça n’a absolument pas rencontré d’écho. Et d’ailleurs euh il y a quelques jours encore euh une mission de l’ONU qui a enquêté au Kivu a annoncé qu’il y avait un un génocide fabriqué euh par les Tutsis contre les Hutus réfugiés au
Kivu //[inaudible]
→ 011 F : //le Kivu c’est au Zaïre
012 D : au Zaïre. Donc dans cette région malheureusement.
Dans l’exemple (2), l’interruption marquée par la flèche est une intervention confirmative de l’animateur, qui se produirait dans la ’pause inter’. L’interruption confirmative a pour but de contrôler l’incompréhension et d’amorcer une discussion essentielle, en se produisant non seulement dans le milieu-chevauchement, mais aussi dans la ’pause intra’ comme dans l’exemple (1). Ainsi, dans les exemples ci-dessus, les interlocuteurs interrompus répondent à la demande de confirmation sous la forme de l’hétéro-répétition (’ils le disent’, ’au Zaïre’) et/ou d’un marqueur d’accord (’oui’, bien sûr’), et reprennent la parole avec le fil conversationnel précédent. L’interruption confirmative se clôt tout de suite avec la réponse positive, comme dans les extraits ci-dessus. Mais, dans le cas où elle est suivie plutôt par une évaluation négative, elle s’enchaîne à un échange supplémentaire (’échange latéral’) qui s’enchâsse dans l’activité en cours pour traiter le problème.
(4) (Répliques 7 : 134-143)
134 D : vous avez entre 59 et 62 quelques massacres, euh : les Belges maintiennent peu ou prou la sécurité mais ont vraiment envie de partir, et ils partent assez rapidement, y a des élections, qui montrent bien que les Tut- les Hutus emportent
majoritairement mais ultra-majoritairement le
pouvoir //et
→ 135 F : //donc c’est là pour vous le vice de la démocratie
→ 136 D : mais non c’est pas le vice de la //démocratie
→ 137 F : //non je veux dire par là en Afrique c’est-à-dire
que /à partir du moment où il y a
138 D : /non non
139 F : d’abord un vote /(.) les Hutus votent pour les Hutus et //les Tutsis pour les Tutsis
140 D : /au Rwanda //le drame le drame
141 D : oui on l’a vu au //Burundi on l’a vu au Burundi on l’a vu au Rwanda on l’a vu
142 F : //oui c’est ça que je veux dire
143 D : partout le drame de ce pays des Grands Lacs de ces pays c’est qu’il n’y a que deux ethnies, quand il y a comme dans un certain nombre de pays 30-40 ethnies d’abord le métissage
Dans l’exemple ci-dessus, le tour de parole de l’animateur (Alain Finkielkraut) en 135 n’est rien d’autre que l’interruption confirmative produite dans le chevauchement avec le locuteur précédent (Bernard Debré). Cette confirmation est réfutée en 136 par le débatteur (Debré) et accompagnée d’une marque d’opposition (’mais non’). Au moment suivant, ces deux interlocuteurs veulent donner leurs propres explications dans des échanges supplémentaires dont les tours sont perturbés par le chevauchement. Les interventions de l’animateur (Finkielkraut) en 137 et en 139 apparaissent comme une proposition pour justifier le sens de son tour. Elles sont en 141 acceptées par le débatteur (Debré) avec le marqueur d’approbation (’oui’) et ratifiées aussi par l’animateur lui-même en 142, même si son intervention n’a pas le statut d’un tour. Leur conflit est négocié et résolu, et le débatteur (Debré) reprend la parole à la fois pour expliquer de nouveau son désaccord en 136 et pour conserver la continuité d’une activité principale qui avait été arrêtée en 134. En conséquence, le tour de l’animateur en question contient un acte subordonné qui s’enchâsse dans une activité principale en 134, et il est donc prolongé par l’échange latéral.
A. Auchlin, ’Complémentarité des structures thématiques et fonctionnelles pour l’accès aux interprétations dans le discours’, Cahiers de linguistique française, 1986, p. 175.