1.1. Question-réponse

Dans la situation de débat, l’intervention de l’animateur se caractérise par l’utilisation de formes interrogatives, c’est-à-dire qu’il adresse souvent aux débatteurs diverses questions (demandes d’informations, de point de vue, de confirmation, etc.). En particulier, à la partie initiale de l’interaction, il pose systématiquement à ses invités une question que De Gaulmyn (1991 : 314) appelle une «question initiatrice». Il est extrêmement rare que l’un des invités ne produise pas, en retour à cette question, l’intervention réactive attendue. Cela peut être dû au contrat de communication ou au système d’attente propre à ce type d’interaction, selon lesquels l’animateur est en droit de questionner et les invités sont tenus de répondre. Ainsi, le plus souvent, les invités sont prêts à coopérer avec l’animateur et à obéir aux contraintes pragmatiques que leur impose la question initiale. Les types de questions que l’animateur utilise au cours du débat se limitent aux formes de «question principale» et «question dérivée» au sens de Plantin (1996b : 16). On parle de question principale lorsqu’il y a simplement reprise de la question fondamentale, avec ou sans modifications, et de question dérivée lorsque la question principale engendre une ou plusieurs autres questions. Dans notre corpus, la «question principale» peut correspondre à un seul thème, dans le cas de débat pour ou contre, ou elle peut comporter plusieurs thèmes selon le sujet du débat. Ainsi, si la réponse à la «question principale» n’est pas jugée satisfaisante par l’animateur, elle peut être suivie d’une question supplémentaire ou d’une «question dérivée» en cours de débat.

Dans le contexte du débat, il est assez rare qu’on voie les débatteurs poser une question, dans la mesure où cela ne fait pas partie de leur propre rôle interactionnel. Lorsque, cependant, les débatteurs posent une question à leur partenaire, cette question joue le rôle d’introduction à un nouveau thème de discussion sous forme de «question dérivée». C’est le cas de l’exemple (1), extrait de l’émission «Répliques (25/10/97)» où les participants débattent sur le paysage :

(1) (Répliques 1 : 073-076)

  • 073 T : je vous ai entendu chez Gilles Lapouge vous avez dit, il ne faut pas conserver les paysages obsolètes alors je voudrais que vous me disiez ce qu’est pour vous un paysage obsolète, d’où nous tombe cet adjectif

  • 074 R : il y a des paysages qui sont obsolètes, je vais vous donner un exemple tout à fait précis et qui est emprunté à une actualité électorale assez récente puisqu’il s’agissait de la campagne de 1981, j’avais été très frappé que le candidat François Mitterand ait tenu, il avait tout à fait raison, bien conseillé par M. Séguéla, il avait mis sur son affiche vous le savez un petit village avec un clocher etc. Bon on sait très bien que pour 90% des français sinon 95, ce paysage n’existe plus en tout cas, ces paysages de village rural on peut on peut les regretter, il se trouve dans les faits, ils ne représentent plus le paysage. Je pense à la majorité de ceux qui vivent dans les villes et les banlieues c’est pas ce paysage qui est le leur, alors ils peuvent éprouver une sorte de nostalgie pour ce petit village avec son clocher, ça a très bien marché pour le candidat François Mitterand, probablement, mais je dis que voilà une affiche qui d’une certaine façon, pour tranquilliser les Français, leur représentait ce qu’ils avaient envie de voir mais qui ne constitue plus le paysage majoritaire des Français

  • 075 F : Jean-Louis Trassard

  • 076 T : c’est pas la question n’est pas là, il ne s’agit pas de l’affiche, vous dites que vous êtes pour la conservation des paysages sauf les paysages obsolètes alors on est pas sur une affiche là, on est sur l’idée de laisser détruire les paysages que

  • vous, vous estimez obsolète, [inaudible]

La question lancée en 073 par le débatteur (Jean-Louis Trassard) permet à son partenaire (Alain Roger) d’expliquer ce que signifie l’adjectif ’obsolète’ dans le ’paysage obsolète’. Elle apparaît comme une véritable demande d’information, dans la mesure où Jean-Louis Trassard semble prêt à céder la parole à son partenaire, et l’intervention d’Alain Roger se présente en 074 comme une réponse à cette question. Il ne s’agit toutefois pas d’un type de question qui implique l’aveu d’un manque, mais plutôt d’une «question piège» dans laquelle le locuteur mine l’argument de son interlocuteur, en attendant la concrétisation d’un constituant discutable dans son opinion afin de l’attaquer au moment suivant en 076 ; ce constituant est alors le point de départ de la disqualification ou de l’accusation de l’argument de son interlocuteur. L’autre but des questions posées par les débatteurs à leur partenaire est de tenter de le mettre en difficulté, comme le montre l’exemple (2) :

(2) (Répliques 6 : 012-019)

  • 012 D : ben, moi je voudrais intervenir sur la question justement de la, de la déférence moi personnellement je suis de ceux qui depuis assez longtemps éprouvaient cette perplexité à laquelle faisait allusion Alain Finkielkraut. (...) Pour moi la question fondamentale qui se pose est la suivante : est-ce que selon vous, euh toute déférence est forcément enfin, une déférence forcée, nécessairement une déférence forcée, donc une forme de soumission, d’assujettissement, qui euh pour l’esprit démocratique est en soi intolérable, et est-ce que avec cette déférence forcée dans le domaine de l’art, est-ce que nous avons liquidé une sorte de reste de dernier reste d’ultime avatar de l’Ancien Régime euh, ou bien et ça ce serait ma position ou bien pouvons-nous désormais redécouvrir la déférence, redécouvrir une déférence vraie, euh et libre d’une certaine façon, pour des choses qui appellent légitimement notre admiration. Donc déférence non-forcée, qui, elle, serait parfaitement compatible avec l’esprit démocratique ou avec l’esprit critique, car euh c’est tout de même par nos admirations que nous nous constituons comme sujet, c’est aussi notre capacité d’admirer qui euh, est liée à notre esprit critique donc, il me semble que là il y a là également un débat fondamental et d’ordre politique enfin, donc je vous rejoins sur ce terrain là, donc la liaison de l’arrêt du champs politique mais donc voilà ma question à propos de la, de la déférence

  • 013 F : alors Yves Michaux

  • 014 M : ouh là là

  • 015 D : ou la révérence

  • 016 F : comment répondez-vous à cette //question

  • 017 M : //alors alors dans la remarque de Jacques Devitte le problème c’est qu’il y a tellement de choses c’est que je ne sais pas par

  • tellement par //quel [inaudible]

  • 018 F : //toute révérence est-elle forcée voilà, voilà une formulation

  • //qui devrait être la question

  • 019 M ://certainement non, alors la réponse est aussi la question est aussi carrée, la réponse sera aussi carrée toute révérence toute révérence n’est pas forcée euh il peut y avoir des cas de co de communion euh et de communication autour d’oeuvres d’art de qualité, ça c’est certain. (...).

Dans l’extrait ci-dessus, la question posée en 012 par le débatteur (Jacques Devitte) n’est pas suivie de la réponse immédiate de son partenaire (Yves Michaux), mais, en 017, de la réponse métacommunicative : ’il y a tellement de choses c’est que je ne sais pas par quel... [bout prendre la question 75]’. Autrement dit, Yves Michaux, dans son intervention réactive, avoue à l’animateur et à son interlocuteur que la question est si complexe qu’il ne sait pas comment la prendre. Dans sa réponse Yves Michaux reprend un thème du discours de Jacques Devitte (’déférence’ et ’révérence’), ce qui montre que la question et la réponse sont soumises à une contrainte sémantique et/ou pragmatique. Dans notre corpus, les échanges s’enchaînent souvent en termes de couple question / réponse ; la question est généralement le fait de l’animateur mais elle peut se réaliser entre les débatteurs sous forme de «question piège» ou «question orientée».

Notes
75.

Notre interprétation