1.2. Assertions

Dans le contexte de débat, les enchaînements des échanges sont formés non seulement par le couple question-réponse, mais aussi par les assertions, dans la mesure où «toute assertion incorpore», note Kerbrat-Orecchioni (1990 : 202), «en quelque sorte un ’n’est-ce pas ?’». Toutefois, d’une manière générale, les assertions sollicitent moins fortement une réaction que la question. Toujours d’après Kerbrat-Orecchioni, il y a des types d’assertions qui incitent plus que d’autres à réagir : les ’provocations’, attaques, ou contre-vérités éhontées, qui entraînent de la part de L2 une protestation ou une réfutation, souhaitée ou non par L1. En effet, il apparaît que l’assertion réactive est conditionnée par l’assertion initiative : celle-ci crée le système d’attente pour celle-là.

Dans notre corpus, l’animateur adresse à l’un des invités une «question principale» ou une «question dérivée» pour lancer le thème de discussion ; le débatteur à qui il parle développe dans sa réponse un argument concernant la question donnée, et l’autre débatteur prend la parole soit par l’auto-sélection, soit par l’hétéro-sélection, pour apporter sa propre évaluation positive ou négative. Autrement dit, avant ou après que le tour d’un débatteur arrive à la place transitionnelle, le locuteur suivant peut être l’animateur et/ou l’autre débatteur. S’il y a un démarrage simultané entre eux, c’est le plus souvent l’animateur qui cède la parole. Sinon, l’animateur sollicite l’autre débatteur pour qu’il prenne la parole. Dans ce cas, l’enchaînement entre l’assertion initiative et réactive est détendu. En revanche, lorsque l’autre débatteur se sélectionne lui-même comme locuteur suivant, l’enchaînement est tendu, comme le montre l’exemple (1) :

(1) (Répliques 3 : 018-023)

L’exemple (1) est extrait de l’émission «Répliques (15/11/97)» où les participants débattent sur Internet à l’école. Bien que l’intervention de l’animateur se présente en 018 comme une question, elle ne comporte pas d’indice de son allocutaire. Mais, étant donné que le contenu de cette intervention concerne la question de l’introduction d’Internet à l’école, il est évident que le tour de l’animateur s’adresse au débatteur (Bernard Gardeye) qui est favorable à l’emploi d’Internet dans le système éducatif. Lorsque le tour de B. Gardeye arrive en 019 à la position transitionnelle, l’enchaînement est relayé par l’animateur, dans la mesure où l’assertion de B. Gardeye n’est pas suivie directement de celle de son partenaire (Robert Rideker).

Un enchaînement plus dynamique peut pourtant se présenter dans les tours de parole entre les débatteurs, lorsqu’il y a auto-sélection, comme dans l’exemple (2) :

(2) (Répliques 7 : 43-59)

L’extrait ci-dessus montre que les enchaînements ont lieu par les assertions initiatives et les assertions réactives des deux débatteurs (Bernard Debré et Jean-Pierre Chrétien), avec interruption, chevauchement produit en fin de tour ou à la place de transition possible. Dans ces échanges, la distinction des interventions par l’adjectif ’initiatif’ ou ’réactif’ est toutefois ambivalente, dans la mesure où les assertions de cette séquence sont à la fois proactives et rétroactives, comme le montre la flèche qui marque la plupart des interventions ci-dessus. Une assertion appelle une autre assertion avec un fort degré de cohérence sémantique et/ou pragmatique au sens de Kerbrat-Orecchioni (1990). Par conséquent, il est difficile de déterminer dans cette séquence de discussion auquel des deux débatteurs revient le rôle de proposer l’argument, et auquel revient celui de s’y opposer et d’énoncer le contre-argument, dans la mesure où l’argument de chacun contredit celui de son partenaire. Cela revient à dire que l’auteur d’un argument devient dans la situation de discussion à la fois proposant et opposant, ce qui caractérise l’enchaînement tendu.