2. Acte d’accord

2.1. L’émergence de l’accord

Il est évident que la réaction d’accord est considérée comme un type d’acte qui se caractérise par les propriétés de l’enchaînement préféré, dans la mesure où elle peut fonctionner comme une stratégie de politesse permettant de valoriser la face positive du partenaire, et comme un signe de solidarité et de coopération entre les interlocuteurs. Dans le débat radiophonique, les participants recourent à divers moyens pour montrer leur accord avec ce qui vient d’être dit dans le tour précédent. Un de ces procédés est d’exprimer l’acte d’accord par des régulateurs verbaux au cours du tour du locuteur en place. Ces régulateurs se réalisent dans notre corpus sous diverses formes : ’ben oui’, ’voilà’, ’oui c’est ça’, ’oui voilà c’est ça’, ’tout à fait’, ’oui tout à fait’, ’oui bien sûr’, ’bien entendu’, ’absolument’, ’exactement’, etc. Ces formes d’accord se présentent comme évaluatives au niveau des contenus et comme confirmatives au niveau du déroulement de l’interaction. Elles fonctionnent également comme marqueurs d’approbation dans les tours de parole et surtout en début de tour.

Dans notre corpus français, les actes d’accord sont identifiés en cours de débat dans 36 tours de parole. Ils ne sont pas consécutifs mais plutôt ponctuels dans la mesure où l’acte initiatif favorable, après lequel un accord surgit dans la réaction, ne se produit pas souvent dans le contexte de débat. L’accord peut être une réaction, sous forme de commentaire court, à l’acte initiatif produit dans l’interruption, comme le montre l’exemple suivant :

(1) (Répliques 2 : 059-066)

  • 059 F : pensez que les hommes ne parleraient pas comme ça

  • 060 D : non je suis sûr que non, je pense que les hommes diraient euh, j’ai voulu aussi cette carrière, il y a une //une volonté

  • 061 P : //elles nous apprennent qu’elles l’ont mérité [rire]

  • 062 D : voilà je crois que /elles sont plus modestes dans leur réussite parce que elles ont,

  • 063 F : /vous croyez

  • 064 D : elles ne surinvestissent pas dans le politique je crois, /ou dans l’Etat, si vous voulez

  • 065 F : /hm hm

  • 066 D : actuellement compte tenu de ce que représente cet investissement et donc je crois qu’il y a les deux, il y a à la fois une certaine réserve des femmes en se disant peut-être que ce n’est pas fait pour moi parce que je suis pas au niveau il y a ça aussi hein, mais en même temps elles se disent après tout est-ce que le jeu en vaut la chandelle

L’exemple (1) est extrait de l’émission «Répliques (08/11/97)» où les participants débattent sur la représentation politique des femmes. Les deux débatteurs (Evelyne Pisier et Francine Demichel) étaient d’accord dans les tours précédents sur le fait que les femmes politiques disent ceci : ’j’ai eu de la chance à un moment de ma vie’. A propos de l’attitude des hommes, en 060, le tour de Francine Demichel, au moment où elle donne sa propre opinion, est interrompue en 061 par Evelyne Pisier. En 062, F. Demichel manifeste son accord à la contribution de sa partenaire en émettant le marqueur ’voilà’ et en reportant son argument (’les femmes ont une vision assez modeste’) au moment suivant. Ce type d’accord peut aussi être suivi d’une ’hétéro-reprise’ (’reprise diaphonique’), comme dans ce qui suit :

(2) (Répliques 2 : 193-197)

  • 193 D : oui, un article, dire que dans le respect du principe de la parité, au moment de, dans les premiers articles de la constitution, dans le respect du principe de parité

  • moi, je je //j’ai vu

  • 194 P : //il faudrait une révision

  • 195 D : ah oui, il faudrait une révision /constitutionnelle bon ça, c’est une première

  • 196 P : /voilà

  • 197 D : hypothèse il y a l’hypothèse de la loi ordinaire dont on sait que le conseil constitutionnel très traditionaliste ne veut pas. Troisièmement à mon avis, il y a l’hypothèse de la loi organique qu’on peut très bien ne pas exclure, qui évite une réforme de la constitution et qui permet la mise en oeuvre au niveau //des textes constitutionnels,

Suite au commentaire court qui fait interruption en 194, le débatteur (Francine Demichel) accepte en 195 le tour de sa partenaire et son opinion en marquant son accord par ’ah oui’. Ici, son accord est réitéré par la même construction syntaxique et sémantique que celle de son partenaire. Cette reprise diaphonique est accompagnée de la particule de régulateur (’voilà’) qui indique l’origine de l’énoncé réitéré (’énoncé-source’). Cette reprise montre simplement l’approbation envers l’opinion d’Evelyne Pisier mais elle n’est ni reformulée ni intégrée dans l’argument du locuteur.

L’accord se produit souvent dans la prise en compte du contenu du tour de parole du locuteur précédent. On peut distinguer les accords produits entre l’animateur et le débatteur qui se produisent dans 23 tours (64%) sur le nombre total de 36 tours, et les accords entre les deux débatteurs qui se produisent dans 13 tours (36%). Ces accords prennent place un peu partout dans le corps des débats accompagnés d’un marqueur et/ou de formules explicites.

(3) (Répliques 5 : 003-004)

  • 026 F : //enfin c’est pas c’est pas se sentir agressé, c’est une agression

  • invrai//semblable on met euh

  • 027 T : //dans la dans la dans l’affaire dans l’affaire Yann Piat j’approuve tout à fait ce que vous venez de dire c’était, c’est un acte isolé de journalistes irresponsables qui ont été condamnés y compris par la rédaction à laquelle ils appartenaient. (...)

(4) (Répliques 3 : 089-091)

  • 089 R : //et qui sait, j’aime bien parfois que mes élèves s’ennuient euh je fais exprès pour qu’ils s’ennuient aussi parce que ils imaginent, il réfléchissent, ils pensent, ils divaguent, ils sortent mais quand on est scotché à un écran euh ces dimensions là de, euh, parce que vous avez parlé d’information, de compilation, le but de l’école, c’est pas çà, c’est pas d’apporter des informations c’est c’est c’est pas une accumulation encyclopédique, c’est la construction de la pensée chez chez l’adolescent bon, scotché à un écran c’est impossible je suis désolé

  • 090 F : Bernard Gardeye

  • 091 G : l’ennui me séduit beaucoup et là je suis tout à fait d’accord avec la nécessité de l’ennui et je pense que les ordinateurs ne ne suppriment pas l’ennui. Ils suppriment l’ennui à quelqu’un qui a 35 ans ou 40 ans, rentre en contact avec l’informatique et ne la maîtrise pas, ne la domine pas et sera dominé par cette affaire-là, les enfants en prendront très vite la distance ils le prennent déjà donc je crois qu’ils garderont leur plage d’ennui et de distance, ils ne seront pas dominés par, mais cette je crois que c’est nécessaire qu’ils le connaissent et quand (...)

(5) (Répliques 1 : 247-254)

  • 247 T : toute une //part des agriculteurs a effectivement trahi le paysage rural traditionnel

  • 248 F : //Jean-Louis Trassard

  • 249 T : ça c’est évident /ils ils un bon nombre d’entre eux continuent encore mais

  • 250 F : /hm hm

  • 251 T : heureusement parmi ceux qui prennent conscience de la nécessité de protéger le paysage un bon nombre de jeunes agriculteurs en font partie maintenant

  • 252 F : alors Alain Roger //on est, pour conclure

  • 253 R : //je pense qu’on va terminer sur un accord total

  • parce que //sur le point je [rire] oui parce que nous avons eu des échanges

  • 254 F : //très bien

Dans les exemples ci-dessus, l’exemple (3) se produit au début du débat entre l’animateur (Alain Finkielkraut) et le débatteur (Denis Tilinac), l’exemple (4) se réalise au milieu entre les deux débatteurs, et l’exemple (5), à la fin, également entre deux débatteurs. Dans les exemples (3) et (4), les accords sont exprimés par des formules explicites : ’j’approuve tout à fait ce que vous venez de dire’ et ’je suis tout à fait d’accord avec la nécessité de l’ennui’. Ils peuvent s’exprimer également par de simples marqueurs tels que ’oui parce que...’, ’voilà’, ’bien sûr’, ’mais bien entendu’, ’voilà d’accord’, ’oui d’accord’, comme dans d’autres émissions. En revanche, dans l’exemple (5) la formule d’accord comporte en quelque sorte une modalisation par le terme ’je pense que’. Quand c’est le locuteur qui est d’accord avec son partenaire, la formulation de l’accord est souvent explicite comme dans les exemples (3) et (4) alors que lorsque l’accord concerne à la fois le locuteur lui-même et son interlocuteur, il s’accompagne d’un certain procédé de modalisation ou de litote, comme dans les exemples suivants :

(6) (Répliques 4 : 102-103)

  • 096 F : oui mais ce genre de chose qui n’est pas drôle à Londres et qui n’est

  • pas //plus drôle à Londres qu’à Paris

  • 097 D : //qui n’est drôle nulle part, qui n’est drôle nulle part

  • 098 F : ça existe aujourd’hui /alors encore une fois on revient au titre de votre essai

  • 099 D : /oui et alors ?

  • 100 F : ’la haine de l’art’ le le public étant assez souvent soumis à ce genre d’installation, à ce genre d’oeuvres décevantes à un moment euh, on arrête les frais et en effet à une conception que vous pouvez juger plus patrimoniale et plus frileuse et plus nostalgique de l’art, /mais parce que euh disons cette subversion institutionnelle ne

  • 101 D : /oui

  • 102 F : l’intéresse pas, est-ce qu’il a tort

  • 103 D : je crois que pour une fois nous pouvons être d’accord. En effet notre désaccord touche à ce que nous attendons, ça va paraître bête et un peu gros à dire. Mais touche à ce que nous attendons euh des oeuvres, si on en attend en effet certains confort, euh, certaines situations de contemplation euh, on entrera sans aucune difficulté dans la critique que vous venez de suggérer. Si on estime ce qui est, alors c’est peut-être tout à fait passéiste de ma part, si l’on considère que l’oeuvre d’art doit avoir une fonction critique une fonction de provocation, on peut me semble-t-il trouver davantage (...)

(7) (Répliques 7 : 091-094)

  • 091 C : les Belges mais parce que d’une part on ne peut pas évacuer l’importance et c’est un problème toujours actuel de l’idéologie de race quand on interprète ces pays, et que les gens étaient absolument fascinés par ce modèle racial euh hérité de Gobineau il s’agit pas de Cham d’ailleurs Cham on en faisait l’ancêtre de tous les noirs il s’agit de l’idéologie hamitique c’est très particulier, et ce qui est grave c’est que les jeunes ils sont très peu nombreux les jeunes qui ont été instruits à l’époque coloniale, mais la petite minorité qui a été instruite, surtout Tutsi mais aussi des Hutus a été instruite dans cette affaire d’où disons vanité cultivée en milieu Tutsi frustration en milieu Hutu mais sur la base d’une idéologie fort différente de celle qui existait auparavant. Il y a là une espèce de réinterprétation, de remodelage, d’évacuation des sphères du pouvoir et c’est particulièrement net au Burundi, des éléments Hutus qui y étaient, une Tutsisation généralisée moi j’ai vu des archives où on dit pour diffuser la culture du café, il faut des moniteurs Tutsis parce qu’ils sont plus intelligents que les Hutus dans la culture Tutsi il n’y avait pas il n’y avait pas

  • beaucoup de connaissance /du café c’est un préjugé //entretenu

  • 092 D : /oui alors //revenons voilà je trouve

  • que /nous, nous sommes pas loin de de des mêmes thèses euh moi je dis

  • 093 F : /Bernard Debré

  • 094 D : simplement qu’en 1900, un peu avant 1920 parce que les Allemands n’ont pas été tout à fait clairs dans ce domaine-là non plus à partir de 1885-1890, c’est vrai qu’ils ont profité de la situation disant c’est plus simple il y a des un régime monarchique on s’appuie dessus, ça sera plus calme on va signer les traités ensemble

Dans les extraits ci-dessus, l’exemple (6) se produit entre l’animateur (Alain Finkielkraut) et le débatteur (Philippe Dagen), alors que l’exemple (7) se réalise entre les deux débatteurs (Jean-Pierre Chrétien et Bernard Debré). Ces exemples montrent d’une façon plus explicite que dans l’exemple (5) il s’agit d’une forme d’accord qui suppose l’approbation mutuelle entre les interlocuteurs, par l’utilisation du pronom d’adresse ’nous’. La formule d’accord dans l’exemple (6) se caractérise par les modalisateurs (’je crois que’ et ’pouvoir’). L’exemple (7) comporte le modalisateur (’je trouve que’) et la litote (’nous sommes pas loin des mêmes thèses’). Par conséquent, il est évident que ces expressions d’accord ont une force d’assertion moins péremptoire, et qu’elles se rattachent donc au type d’accord ’affaibli’ (’downgraded’).