2.2. Répétition

Dans l’interaction verbale, les participants répètent souvent non seulement la parole du locuteur lui-même (’auto-répétition’), mais aussi la parole de leur interlocuteur (’hétéro-répétition’). La répétition peut être considérée comme une stratégie pour montrer son désaccord, comme le note Pomerantz (1984), mais aussi comme une stratégie de politesse pour rechercher le consensus au sens de Brown et Levinson (1987 : 112-113). En réitérant dans son tour une partie de ce que l’interlocuteur a dit, le locuteur en place lui donne statut de réponse et d’approbation de l’énoncé d’autrui. L’hétéro-répétition s’utilise aussi dans le sens de l’accord, comme le montrent les exemples suivants :

(1) (Répliques 2 : 005-007)

  • 005 P : (...), Alors aujourd’hui, aujourd’hui tout va mieux parce que après une longue lutte les femmes ont arraché le droit de vote, ça on le sait en 45 mais que surtout à mon sens c’est, c’est, c’est ce qu’apporte notre livre ’Femmes en tête’ elles ont fini d’arracher le droit au savoir, et le droit à accéder à cette espèce de méritocratie mise en place par la République

  • 006 F : autrement dit, elles ont arraché le droit à l’arrachement, //on pourrait dire...

  • 007 P : //elles ont arraché exactement, elles ont arraché le droit à l’arrachement. Le problème c’est qu’elles l’ont arraché en principe mais d’abord, vous l’avez rappelé, les dates sont absolument indécentes tellement elles sont récentes, quand vous avez cité les les dates les plus importantes qui sont en effet les dates de ce statut privé hein, que la femme encore [rire] euh, en 1965 est obligée de demander (...)

L’exemple (1) est un type d’échanges qui ont lieu entre le débatteur (Evelyne Pisier) et l’animateur (Alain Finkielkraut) dans un premier temps du débat radiophonique «Répliques (08/11/97)». Le débatteur prend en 005 son tour de parole, assez long, en réponse à la question de l’animateur. Au milieu de ce tour et plus précisément dans un ’interstice’ (’pause intra’), l’animateur commence en 006 son tour en reformulant une partie du discours de son invitée. Cette reformulation, marquée par le terme ’autrement dit’, suit une procédure finalisée : l’animateur sélectionne une partie du discours d’autrui (’après une longue lutte les femmes ont arraché le droit de vote’), afin d’attirer l’attention sur ce que l’interlocuteur a dit, et d’en montrer l’intérêt. La reformulation de l’animateur est en 007 suivie immédiatement par la ratification et l’approbation de la part de l’invitée (Evelyne Pisier), l’auteur de l’«énoncé-source» de cette reformulation. Pisier prend son tour dans l’interruption en réitérant exactement la reformulation de l’animateur (’elles ont arraché exactement, elles ont arraché le droit à l’arrachement’). Son tour se caractérise tout d’abord par la répétition de l’énoncé reformulé par l’animateur (’hétéro-répétition’), et également par l’«auto-répétition» dans la mesure où cette hétéro-répétition est réitérée par l’auteur de ce tour en raison du chevauchement. Dans ce cas, la répétition peut être interprétée comme un «signe d’accord»76, étant donné qu’elle se réalise en écho, avec ou sans marqueur d’accord (’oui’ et/ou ’bien sûr’) :

(2) (Répliques 3 : 098-102)

  • 098 R : pour ma part je crois que c’est l’effondrement de la lecture dans les classes de troisième, seconde, première qui font qu’on en arrive à la situation décrite par Monsieur Du Poeye bon, effondrement de la lecture euh,

  • 099 F : vous confirmez

  • 100 R : euh oui je confirme, c’est beaucoup plus grave que ce qu’il dit

  • 101 F : encore plus grave

  • 102 R : encore plus grave oui, effondrement de la lecture, il est très difficile aujourd’hui de demander aux élèves de lire hein, de lire chez eux. Bon euh, vous proposez un livre à lire euh euh, on va vous dire mais c’est trop gros euh, il y a trop de pages, on ne peut pas. Dans des classes littéraires, vous demandez de lire à haute voix une page et bien il y a des élèves qui vous disent c’est trop long et je ne vais pas y arriver et vous leur faites lire à haute voix ils déchiffrent /en classe de terminale littéraire,

(3) (Répliques 2 : 144-146)

  • 144 P : je je je n’ai pas très bien compris votre votre reproche sur les quotas dans la magistrature puisque vous êtes plutôt pour, euh, dans les autres ordres mais je je là, je suis obligé de faire une parenthèse étant en ce moment au jury de l’école nationale de la magistrature je ne peux pas laisser dire qu’il y a des quotas, alors que dans la tête de certains membres du jury il y ait

  • 145 D : ils le disent hein

  • 146 P : oui ils le disent bien sûr, il y a une véritable peur de la part des femmes que, on pratique une sorte de quotas de fait dès que le //contrôle

Dans les extraits ci-dessus, l’exemple (2) se produit entre l’animateur et le débatteur, alors que l’exemple (3) a lieu entre les deux débatteurs. Ces deux exemples montrent l’accord explicite exprimé dans la répétition de l’énoncé du locuteur précédent :

T1 – L1 : Enoncé-source (E0)

T2 –L2 : Reformulation de l’E0 (E1)

T3 –L1 : Répétition d’E1

En T2 le degré de modification n’est pas identique dans les exemples (2) et (3) : Dans le cas de l’exemple (2), du fait que le locuteur remplace l’adverbe ’beaucoup’ par ’encore’, la reformulation repose sur une modification assez légère et sur l’imitation syntaxique et sémantique de ce que son interlocuteur a dit, alors que la reformulation dans l’exemple (3) s’appuie sur l’idée que l’interlocuteur a proposée dans son tour précédent. En T3 ces reformulations sont réitérées par les débatteurs avec les marqueurs d’accord ’oui’ et/ou ’bien sûr’. Ici, il s’agit donc d’hétéro-répétitions qui ont pour fonction de lier l’énoncé du locuteur en place à celui de l’interlocuteur, en montrant comment les idées des deux énoncés s’attachent l’une à l’autre.

Notes
76.

Cf. S.-H. Kuo, ’Agreement and Disagreement : Strategies in a radio conversation’, in Research on language and social interaction, 1994, n° 27-2, p. 98.